Le grand invité Afrique

Durant le confinement, «on a vu une montée de toutes les violences faites aux femmes et aux filles»

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Ce mercredi 25 novembre, c'est la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Des violences trop souvent passées sous silence par pudeur ou par peur des représailles. Et pourtant, des études ont montré que ces violences s'étaient multipliées au cours du confinement dans de nombreuses régions du monde. Qu'en est-il sur le continent africain ? Laurent Correau a posé la question à Oulimata Sarr, directrice du bureau de l'ONU Femmes pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre.

Une rue d'Abidjan où les commerces étaient fermés pendant le confinement, en Côte d'Ivoire, qui fait partie de la zone UEMOA.
Une rue d'Abidjan où les commerces étaient fermés pendant le confinement, en Côte d'Ivoire, qui fait partie de la zone UEMOA. AFP Photos/Issouf Sanogo
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RFI: Est-ce que les mesures du confinement liées au Covid ont conduit à une accélération ou à une réduction des violences faites aux femmes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ?

Oulimata Sarr : Les violences faites aux femmes durant la période du Covid-19, on appelle cela « l’épidémie de l’ombre » puisque, effectivement, on a vu une montée en puissance de toute forme de violence faite aux femmes et aux filles. Les données dont on dispose révèlent que 20% des femmes et des filles, âgées de 15 à 49 ans, ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un proche sur une période de 12 mois en Afrique de l’Ouest et du Centre.

Quelles sont les violences qui se développent le plus pendant cette période de confinement ?

Les violences sont physiques, donc des femmes battues par leur conjoint ou leur partenaire, en raison de désaccords, etc. Il semblerait que même les problèmes financiers dans le couple aient exacerbé certaines formes de violences. En ce qui concerne les jeunes filles, nos collègues, les associations de la société civile nous ont fait remonter des informations sur les mariages forcés, l’excision, les abus sur ces petites filles là... Et tout cela peut se passer dans l’ombre durant cette période où les gens sont un peu enfermés, avec un accès limité aux services médicaux et services sociaux de base.

C’est-à-dire qu’il y a eu des pratiques comme l’excision, comme le mariage forcé, qui se sont développées pendant le confinement ?

Absolument. Nos bureaux nous ont fait remonter l’information qu’il y a un certain nombre de pratiques traditionnelles qui se sont tenues à huis clos durant cette période de la pandémie, puisque l’attention des services publics était plutôt dans la riposte, dans la gestion de la pandémie. Et comme d’habitude, les femmes et les filles sont extrêmement vulnérables. Vous vous souvenez que pour prévenir le mariage des jeunes filles, notre fer de lance était de les garder à l’école. Vous imaginez, lorsque les écoles sont fermées durant des mois, que les communautés n’ont plus cette contrainte liée à l’éducation pour ces jeunes filles.

Quels sont les pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale dans lesquels la violence faite aux femmes a augmenté le plus ?

Au-delà du Sahel où on a une crise chronique sur les pratiques traditionnelles, nous avons aussi un pays comme la Centrafrique et d’autres pays comme le Nigeria qui nous ont marqués.

Qui sont aujourd’hui les auteurs des violences faites aux femmes la plupart du temps, est-ce que ce sont des étrangers ou des personnes qui font partie de la cellule familiale en Afrique de l’Ouest et du Centre ?

La recherche à travers le monde montre que la violence faite aux femmes et aux filles commence par la famille. Et donc, ce n’est pas forcément un harcèlement de rue. Non, ce sont des personnes avec qui les femmes sont ensemble à la maison, des personnes qui, en principe, devraient les protéger.

Est-ce qu’on peut dire aussi que les femmes de manière croissante témoignent de tout cela, parlent de leur situation. Est-ce que cela est en train de changer ?

Je pense que cela est en train de changer, parce que maintenant, nous avons les réseaux sociaux. Vous vous souvenez sûrement de la campagne #MeToo qui a été une campagne mondiale. Et aujourd’hui, je pense que le huis clos est plus difficile, tout le monde est connecté, le digital est là. Donc, ce qui se faisait sans que personne ne puisse le savoir, il est de plus en plus difficile de continuer à le faire. Et nous, nous pensons que les réseaux sociaux, les influenceurs, les organisations de la société civile ont aidé justement à sortir les femmes de ce silence-là pour qu’elles puissent dénoncer.

Qu’est-ce qui vous semble le plus urgent de faire changer pour lutter contre ces violences faites aux femmes, est-ce que c’est le droit, est-ce que ce sont les mentalités ?

Je pense que c’est un tout. C’est un travail qui demandera la participation active de plusieurs acteurs. D’abord les Etats, les politiques publiques qui devront créer le cadre réglementaire qui dénonce et qui criminalise un certain nombre de comportements. Il faut aussi qu’il y ait des services sociaux comme des abris, un appui psychosocial avec des capacités qui peuvent répondre à ça. Il nous faut des financements, puisque nous jugeons en tant qu’ONU Femmes que les financements, qui sont reçus par les associations, les organisations féminines, sont marginaux, comparés aux conséquences de ces violences-là, ne serait-ce que sur l’économie et le bien-être des populations.

Quel est votre message aujourd’hui aux femmes qui sont victimes de ces violences ?

Nous sommes mobilisés, vous n’êtes pas seules. Ce qui nous a le plus marqué durant cette période du Covid-19, c’est que le phénomène est mondial. Il n’est pas seulement africain, il a été européen, il a été américain. Je pense que le monde entier s’est rendu compte que cette violence faite aux femmes et aux filles est quotidienne et qu’il faut apporter une réponse forte. Aujourd’hui, nous avons besoin de la participation des hommes dans notre plaidoyer, parce que nous n’y arriverons pas toutes seules. Nous avons besoin d’hommes forts, engagés à nos côtés pour justement changer la donne, puisque cette violence vient d’hommes, vient de leurs pairs, et je pense qu’ils peuvent les influencer.

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