Le grand invité Afrique

Peter Maurer (CICR) : Au Tigré, «on peut se douter qu'iI y a eu des dérapages de tous les côtés»

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Le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, est à ce jour la seule organisation humanitaire à avoir pu accéder à la région éthiopienne du Tigré, après un mois de conflit. Un convoi d'approvisionnement de l'hôpital de la capitale provinciale, Mekele, a atteint la ville ce lundi 14 décembre. Notre invité est le président du CICR, Peter Maurer. Il était de passage à Paris pour rencontrer le président français Emmanuel Macron, mardi. Il a répondu aux questions de Léonard Vincent.

Peter Maurer, le président du Comité international de la Croix-Rouge. (Photo d'illustration)
Peter Maurer, le président du Comité international de la Croix-Rouge. (Photo d'illustration) AFP/Steffi Loos
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RFI :Aujourd’hui, que vous disent vos équipes sur place dans le Tigré ? Quelle est la situation qu’ils vous décrivent ?

Peter Maurer :Ce sont surtout nos équipes à Mekele, qui quand même aussi sortent un tout petit peu dans les environs… Elles me brossent un tableau très sérieux de la situation humanitaire, surtout sanitaire et médicale. Il existe un hôpital de référence avec lequel nous avons travaillé depuis longtemps. Cet hôpital était complètement dysfonctionnel ces dernières semaines. Il n’a plus d’instruments médicaux. Tel était son besoin urgent, étant donné le grand nombre de blessés qui sont arrivés, étant donné aussi les maladies chroniques que cet hôpital a soignées ces derniers temps. Donc nous sommes très heureux d’avoir pu enfin acheminer un convoi humanitaire substantiel de remplacement de médicaments, d’instruments chirurgicaux, et tout ce qu’il faut pour des situations de crise.

L’ONU s’est plainte des difficultés à négocier avec les autorités éthiopiennes l’accès au Tigré pour les agences humanitaires de l’ONU et d’autres. Pourquoi est-ce que c'est si difficile ?

Je dirais qu’il n’est jamais facile, nulle part au monde, de négocier les accès humanitaires. Vous avez toujours des logiques militaires qui priment à certains moments. Les militaires veulent toujours faire la guerre d’abord et après laisser entrer les humanitaires. Alors il faut expliquer, négocier, qu’on a été créé pour être là quand il y a des difficultés et pour acheminer des biens. Peut-être le feu vert que nous avons obtenu en Ethiopie est aussi dû au fait qu’on travaille étroitement avec la Croix Rouge éthiopienne. Donc, on est local et international en même temps. Et ça nous permet peut-être d’avoir un accès aux pouvoirs qui nous ont permis d’avoir ce feu vert. Mais la situation reste compliquée. Tout ce que les conventions de Genève préconisent, c’est-à-dire que les belligérants doivent faciliter le travail des organisations neutres et indépendantes, cela ne se fait pas en Éthiopie, comme cela ne se fait pas dans d’autres foyers de crises, malheureusement.

Beaucoup d’informations sont parvenues, mais de manière un peu éclatée, sur la situation dans les camps de réfugiés du Tigré. Le CICR, il y a deux semaines, avait dit avoir reçu environ un millier d'Erythréens parvenus à pied jusqu’à Mekele. Que vous disent ces gens ? Est-ce que vous pouvez le partager avec nous ?

Il est vrai que nous recevons des nouvelles et des rapports assez perturbants qui nous viennent des gens des camps de réfugiés. Il est vrai aussi que distinguer entre le vécu, ce qu’ils nous disent, et la réalité de la situation, est souvent très difficile. Vous savez que ce conflit, comme beaucoup d’autres conflits, se fait aussi sur les réseaux sociaux avec des accusations qui sont parfois correctes et parfois ne le sont pas. Donc, on essaye maintenant, dans un travail assez méticuleux, d’avoir une vision plus claire et plus granulaire des exactions qui ont été commises. On peut se douter que, de tous les côtés, il y a eu des dérapages, vu le nombre consistant de d’informations fournies par les réfugiées de différents foyers. Donc il faut partir de l’idée que cette guerre a été cruelle. Elle a été vécue comme très cruelle par les populations affectées de part et d’autre.

Pour clore ce chapitre éthiopien, si vous aviez en quelques mots un message à adresser au Premier ministre Abiy Ahmed, ce serait lequel aujourd’hui ?

Il est clair que le message principal serait un message réitérant notre demande d’accès, de respect du droit international humanitaire, d’engagement que l’on aimerait plus proactif du gouvernement et des forces armées.

Le Mozambique est un des sujets de grande inquiétude des organisations humanitaires. Aujourd’hui, quelle est l’image que vos équipes sur place vous renvoient ?

Nous avons, depuis quelques mois ; des soucis accrus par rapport à la situation en Mozambique. Nous avions espéré pendant des années que le conflit dans le nord était quelque part suffisamment gelé pour peut-être permettre au pays de sortir peu à peu de cette conflictualité qui nous a occupés pendant des années. Malheureusement, nous avons vu la dynamique conflictuelle s’accroître. Et ce qui nous préoccupe également, c’est que ce n’est pas nécessairement exclusivement un conflit intérieur aujourd’hui, mais un conflit qui touche toute l’Afrique, toute la région qui est une zone d’instabilité depuis le Sahel jusqu’au Mozambique qui nous préoccupe, en passant par le Lac Tchad, le Soudan du Sud, mais aussi la RDC et d’autres foyers de crise.

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