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Afrique du Sud: «La crise économique structurelle du pays ne peut être résolue par le gouvernement»

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L’Afrique du Sud, pays le plus touché du continent par le coronavirus, et qui avait déjà pris des mesures drastiques pour lutter contre la propagation du virus de mars à juin de cette année, fait de nouveau face à un rebond de la pandémie de Covid-19. Le président Cyril Ramaphosa a annoncé lundi 28 décembre de nouvelles restrictions dans un pays déjà soumis à rude épreuve, notamment sur le plan économique. Thierry Vircoulon, coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe à l’IFRI, séjourne en ce moment dans le pays.

Des candidats au dépistage dans la salle d'attente d'un hôpital de Soweto, en Afrique du Sud, le 30 novembre 2020.
Des candidats au dépistage dans la salle d'attente d'un hôpital de Soweto, en Afrique du Sud, le 30 novembre 2020. AP - Jerome Delay
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RFI: 27 000 morts du Covid-19 depuis le début de la pandémie, 14 000 cas de contamination par jour la semaine passée, l’Afrique du Sud, qui est le pays africain le plus touché par la crise du nouveau coronavirus et qui était donné en exemple pour sa réaction rapide en mars, connaît aujourd’hui une deuxième vague. Pourquoi ?

Thierry Vircoulon : Parce qu’il y a eu un relâchement d’une part des mesures de précaution. Il faut dire qu’on a passé la barre des un million de personnes contaminées en Afrique du Sud et qu’ici, c’est l’été en fait. Les gens sont en vacances et donc, comme on a pu le voir pendant les vacances en Europe, ça facilite la circulation du virus, car les gens circulent beaucoup plus dans le pays.

Qu’est-ce qui explique pourquoi l’Afrique du Sud est aujourd’hui, et de loin, le pays africain le plus touché par cette pandémie ?

Je pense que c’est surtout à cause de la qualité de son système de santé, c’est-à-dire que l’Afrique du Sud a probablement un des meilleurs ou le meilleur système de santé du continent africain et qu’évidemment, si on la compare avec des pays sahéliens ou des pays d’Afrique centrale, ces pays sont des déserts médicaux à côté de l’Afrique du Sud alors qu’en Afrique du Sud, il y a une capacité de détection et il y a une capacité de soins. La capacité de soins, comme l’a dit le président Cyril Ramaphosa, est en train d’arriver à saturation et c’est pour cela qu’il a décidé de prendre les mesures qu’il a annoncées.

L’économie sud-africaine se serait effondrée de 51% entre avril et juin, lors du premier confinement, selon les chiffres de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED). Les conséquences du Covid-19 sur l’économie de ce pays sont catastrophiques…

Oui. L’économie du pays est vraiment au ralenti. On voit qu’il y a seulement une petite fraction des magasins qui sont ouverts, il y a très peu d’activité économique. Evidemment, le secteur touristique, qui est très important en fin d’année, est très sinistré. Donc, l’impact économique est vraiment brutal.

Est-ce que l’Afrique du Sud peut se permettre un nouveau confinement au vu de ces conséquences ?

On peut se demander s’il peut l’éviter surtout. Comme je le disais, le cap des un million de personnes contaminées a été passé. Il y a une nouvelle variante mutante du virus qui a été détectée en Afrique du Sud et qui est apparemment beaucoup plus contagieuse. La question, je pense que c’est plutôt : est-ce que l’Afrique du Sud pourrait ne pas se permettre le confinement qui a été annoncé par le président Cyril Ramaphosa ? C’est plutôt dans ce sens-là qu’il faut le voir.

Je veux parler d’un confinement comme le premier avec fermeture des usines, des bureaux, de tout…

Là, les entreprises ont le droit de continuer à fonctionner évidemment. Ce qui n’est pas là, c’est la demande parce que c’est une épidémie globale et qu’il y a une récession mondiale. Donc, les mines du coup vont tourner moins parce que la demande est moindre. Mais ce n’est pas un confinement comme le premier. En fait, les autorités sud-africaines, comme en Europe, ont tiré les leçons du premier confinement et ont décidé de faire maintenant un confinement qui n’interdit pas le fonctionnement des entreprises.

La crise sanitaire est tombée au pire moment pour l’Afrique du Sud alors que son économie était déjà en récession, notamment à cause d’une corruption institutionnalisée, selon des spécialistes. De quelle marge de manœuvres dispose le président sud-africain pour y faire face ?

Il a déjà pris un certain nombre de mesures pour lutter contre la corruption systémique, notamment à l’intérieur de l’ANC, puisqu’ils sont en train de mettre en place un certain nombre de règles qui forceraient les gens qui sont compromis à quitter leur mandat. Mais surtout actuellement, ce qui fait la Une, c’est la question de la corruption liée aux fonds spéciaux pour la lutte contre le coronavirus qui ont tendance à s’évaporer. C’est que le fait que l’appartenance à l’ANC permette aussi d’accéder à la commande publique, à des marchés publics et on voit, en fait ce qui s’est passé en Afrique du Sud, c’est ce qui s’est passé dans beaucoup de pays africains, c’est-à-dire que l’élite au pouvoir a en même temps essayé de mettre la main et de contrôler l’économie, en tout cas de prendre une fraction de l’économie. Et c’est cela qui est le cœur du problème de corruption.

Que peut faire le gouvernement sud-africain pour venir à bout de cette crise dans un avenir proche ?

Il y a un contexte économique mondial qui est une crise liée directement à la pandémie. Et donc, la solution à ce niveau-là est globale, c’est le vaccin. Mais je crois que la crise économique structurelle de l’Afrique du Sud ne peut pas être résolue par une action gouvernementale seulement d’une part, et d’autre part va nécessiter probablement plus longtemps que cinq ans, parce qu’elle remonte à 1994. Elle remonte à des décisions lourdes qui ont été prises à cette époque. Par conséquent, il faut probablement un travail sur une ou plusieurs générations pour résoudre ces problèmes structurels.

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