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Félix Kabange Numbi (RDC): le 1er ministre a démissionné «parce qu'il a voulu porter la paix et la stabilité»

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En République démocratique du Congo, deux ans après l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, le nouveau chef de l'État a repris la majorité parlementaire à son prédécesseur Joseph Kabila. L'Union sacrée revendique près de 400 députés sur 500 et a obtenu la démission du Premier ministre Sylvestre Ilunga. Le Front commun pour le Congo, FCC de Joseph Kabila ne cesse de protester contre des violations de la Constitution par son ancien allié. Pour en parler, RFI reçoit Félix Kabange Numbi, membre du comité de crise du FCC.

Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le Premier ministre de la République démocratique du Congo a déposé sa démission.
Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le Premier ministre de la République démocratique du Congo a déposé sa démission. © Présidence RDC
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Rfi: Pourquoi le Premier ministre a finalement démissionné après avoir critiqué le bureau provisoire de l’Assemblée, la procédure et avoir dit, pendant un certain temps, qu’il ne démissionnerait pas ?

Félix Kabange Numbi : Il s’est comporté en homme d’État. Il faut, à un certain moment, faire des choix. Il faut être sélectif dans les batailles. Parfois, on se rend compte que la paix vaut mieux que d’avoir raison, parce qu’en réalité, la situation qui est en train de se passer maintenant, c’est la même situation que celle que la RDC a vécue en 1960, 1963 et 1965 à savoir une crise institutionnelle qui était liée au non-respect des accords, au non-respect de la Constitution et au non-respect des lois. Et vous savez ce qu’a entraîné ce qui s’est passé entre 1960-1965. Ce sont des guerres, ce sont des mutineries, ce sont des coups d’État institutionnels et des coups d’État de l’armée. Le Premier ministre n’a pas voulu porter le sang. Il a préféré la paix et la stabilité.

Est-ce que la réalité n’est quand même pas que Félix Tshisekedi qui, au départ,  paraissait faible dans cet accord, a réussi à retourner la situation à son avantage et que Joseph Kabila n’est pas parvenu à tenir ses troupes ?

Comment est-ce que nous pouvons parler de renverser la vapeur, lorsque tous les moyens utilisés sont des moyens illégaux ? On a utilisé la corruption. Elle est manifeste. On a utilisé les menaces sur des gens. Il y a eu des marchandages et tout cela au cours de cette transhumance…

Et à l’époque de Joseph Kabila, il n’y avait rien de tout cela ?

Est-ce que, quand on veut changer les choses, on va prendre les mauvais exemples du passé ? Supposons qu’il y ait eu des mauvais exemples lors de notre gestion, est-ce qu’il faut justifier la mégestion, aujourd’hui, par les mauvais exemples du passé ? Je dis non. Ici, nous sommes en train de parler du changement d’une majorité parlementaire en cours de législature, alors que la majorité est constituée en début de législature et pour toute la législature. Mais là, si on veut changer la majorité, vous savez ce qu’il faut faire. Il faut aller vers des élections générales.

Vous auriez préféré qu’il aille jusqu’à la dissolution du Parlement ?

Mais naturellement. S’il se rend compte que la majorité parlementaire n’est pas avec lui, la Constitution prévoit, justement au cas où il y a une crise persistante entre le gouvernement et l’Assemblée nationale, qu’il puisse dissoudre et aller vers des élections anticipées.

Pourquoi est-ce que le Premier ministre a démissionné ? Parce que Premier ministre, implicitement, reconnaît que le vote de 367 députés se retrouve à avoir une certaine légitimité ?

Non. Le Premier ministre a démissionné mais sa démission ne veut pas dire qu’il renie tout ce qu’il a dit. La première des choses, c’est sur cette motion. C’est une motion tout à fait politicienne. Le Premier ministre l’a démontré. Il a présenté un programme de gouvernement de cinq ans et il est évalué quinze mois après.

Les neufs premiers mois, c’était la gestion de CACH, seul. Quand il arrive en septembre, il se retrouve avec les réserves internationales qui sont complètement consommées, une inflation galopante, une situation de trésorerie très difficile.

Les six premiers mois, le Premier ministre et son gouvernement ont travaillé, justement, pour rééquilibrer le cadre macroéconomique et six mois après, il s’est retrouvé dans la Covid-19. Donc, aujourd’hui, on est en train de condamner le Premier ministre, par rapport à la motion, comme responsable de tous les malheurs de la République démocratique du Congo.

Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que vous respectez la Constitution et de l’autre, de ne pas reconnaître que le vrai responsable devant le Parlement de la politique de l’exécutif, c’est le Premier ministre, ce n’est pas le président.

Effectivement, mais vous avez suivi. Il a rappelé aussi que 52 réunions du Conseil des ministres se sont tenues et, chaque fois, il y avait la communication du président. La communication du président a donné des orientations aux ministres. L’exécutif doit assumer. S’il y a eu échec du gouvernement, c’est qu’il y a eu échec de l’exécutif, le président de la République y compris.

Deuxièmement, nous avons le problème du bureau d’âge. C’est le bureau provisoire qui a des missions et la session extraordinaire devait examiner deux points seulement à savoir, un : vider le dossier du questeur-adjoint. Deuxièmement: élection et installation du bureau définitif. Le bureau d’âge n’avait pas le droit de traiter de la motion.

Dans la décision de la Cour constitutionnelle que vous évoquez, il y a aussi le fait que justement pendant cette session extraordinaire, il était possible de faire du contrôle. C’était noté noir sur blanc.

C’était dans les moyens… Quand le bureau d’âge a écrit, il était demandé de pouvoir faire également le contrôle parlementaire. Malheureusement, la Cour constitutionnelle s’est limitée à lui assurer juste les affaires courantes.

Pourquoi ne pas aller tout simplement devant la Cour constitutionnelle pour établir ce point ? Pourquoi ne pas faire ce recours ?

Merci madame… Les Cours, y compris la Haute Cour, sont en train de traduire des jugements qui sont préparés dans des officines politiques.

C’est la même Cour que vous critiquez qui a pourtant rétabli dans ses fonctions Albert Yuma, le président de la FEC, qui est quand même assez proche du président Kabila…

Madame, il y a des questions qui sont évidentes. C’est le cas du dossier d’Albert Yuma où tout le monde sait que la décision qui a été prise par le Conseil d’État, était une décision inique. Mais si nous rentrons sur le cas sous-espèce, revenez sur le règlement intérieur de 2006, de 2011… ces dispositions ont toujours existé parce que ce sont des us et coutumes. On ne change pas une majorité parlementaire en cours de législature. Vous savez, maintenant, la conséquence de ce qui va se passer ? Cela veut dire que, prochainement, celui qui a une plus grande mise… Je vais donner un exemple: 100 000 dollars, c’est 300 députés, cela fait trente millions de dollars et vous avez un courant politique de la majorité. Ce qui veut dire que cela ne servira à rien d’aller dans le jeu démocratique.

Qu’est-ce que vous tirez de cette expérience de coalition CACH-FCC ? Quel est le bilan que vous en faites, deux ans après, maintenant que vous êtes séparés ?

La première des choses, c’est vrai qu’au sein de notre famille politique, nous avons décidé d’aller vers une coalition pour éviter les erreurs du passé, notamment de 1960-1965 où la cohabitation a créé des problèmes. Nous nous sommes rendu compte que malheureusement, aujourd’hui comme hier, comme en 1960, on ne sait pas respecter les accords, on ne sait pas respecter les textes de loi, parce que si on les avait respectés, je ne pense pas que l’on serait arrivés à ce que nous sommes.

S’agissant du bilan, justement, vous allez voir qu’il y a deux parties dans ce bilan. La première partie, c’est celle qui court de janvier à septembre, où CACH a dirigé seul. Vous allez vous rendre compte que cette période n’est caractérisée que par des scandales de gestion. Nous avons eu l’utilisation des réserves internationales de la République démocratique du Congo et jusqu’à aujourd’hui, nous ne savons pas ce que l’on a fait de cet argent: plus de 400 millions.

On a eu des procès autour de Vital Kamerhe pour 56 millions et nous nous sommes rendus compte, d’ailleurs, que le ministère public a eu du mal à prouver que c’est Kamerhe qui a détourné cet argent.

La plupart des personnes qui ont été condamnées avec Kamerhe sont aujourd’hui en dehors de la prison. Ils ont été libérés. Soit graciés soit par d’autres méthodes, ils sont tous dehors. Presque tous. Et Kamerhe reste en prison.

Ces dix-sept, dix-huit ans de Joseph Kabila au pouvoir ont été marqués par un nombre de scandales. Il y a eu des rapports d’ONG qui parlaient de milliards détournés…

On a établi les faits par l’IGF [Inspection générale des Finances]. Si l’IGF a établi les faits pour les 400 millions, c’est supposer justement que toutes ces personnes incriminées devraient être poursuivies en justice. On a besoin d’un procès. Vous savez, il y a encore une chose. Aujourd’hui, on nous parle du changement. Ils ont voulu démontrer, effectivement, qu’ils veulent changer les choses. Si on veut changer les choses, on va jusqu’au bout. On ne fait pas de deux poids deux mesures. On a des ministres qui sont concernés. On a arrêté un directeur de cabinet. Mais pourquoi on ne veut pas arrêter les ministres qui sont incriminés dans la mauvaise gestion ?

Qu’est-ce qui vous gêne dans la manière dont se passe à ce jour l’élection du bureau définitif de l’Assemblée ?

Je pense qu’il y a une succession d’événements qui nous mettent très mal à l’aise au niveau du FCC. D’abord, vous avez remarqué que depuis que la session extraordinaire a commencé, la parole n’a jamais été accordée au FCC. Première chose.

Nous nous retrouvons avec un calendrier, un calendrier où on ne prévoit pas un seul jour pour le dépôt des recours. Nous nous rendons compte également que le président du bureau provisoire lui-même et un de ses membres sont candidats mais ils ne se déportent pas. Ils devraient se déporter, au moment du dépôt de leur candidature.

Donc, il y a un certain nombre d’irrégularités pour lesquelles le FCC, en tant que famille politique, a dit: nous ne déposons pas de candidature en tant que famille politique mais le député étant libre, nous avons dit que, s’il y a des députés FCC qui préfèrent concourir, ils peuvent le faire à titre d’indépendant.

 

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