Ambroise Wonkam: «Séquencer plus de personnes d'origine africaine a un intérêt majeur pour l'Afrique»
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20 ans après la publication du premier séquençage de l’ADN humain, Ambroise Wonkam, professeur de génétique médicale à l’université du Cap en Afrique du Sud et président de la Société africaine de génétique humaine, souhaite lancer un projet d’une ampleur inégalée en Afrique : le séquençage de l’ADN de trois millions d’Africains en dix ans, pour un coût de plusieurs milliards de dollars qui serait financé surtout par les États africains.

Vous souhaitez mieux connaître le code génétique des Africains. Pourquoi ?
Ambroise Wonkam : Séquencer plus de personnes d’origine africaine a un intérêt majeur pour l’Afrique et pour le monde. On sait que nous sommes tous Africains. Le premier être humain est né en Afrique. Il colonise l’Europe et l’Asie. Et c’est seulement une petite proportion des humains qui ont quitté le continent, l’immense majorité est restée sur le continent. Cela veut dire que la majorité des variations que nous avons dans notre code génétique n’a jamais quitté le continent.
La deuxième raison, qui est la raison écologique, est due à la nature du continent africain d’un point de vue géographique. Il est orienté Nord et Sud, contrairement aux continents européen et asiatique qui sont orientés horizontalement. Et l’axe Nord-Sud du continent africain signifie qu’on a le climat méditerranéen, on a un climat tropical au milieu du continent africain. Et cette variabilité écologique est associée à une variabilité d’infections, une variabilité de produits alimentaires, une variabilité de conditions environnementales qui mettent la pression sur le génome humain au fil des 300 000 années d’histoire du génome africain.
Par exemple, la présence de la malaria au milieu du continent a fait que le variant génétique qui est responsable de la drépanocytose soit nettement plus fréquent sur le continent que sur d’autres régions du monde. Cette variabilité écologique fait que le continent est un endroit particulier pour étudier le variant du génome humain qui impacte la santé et la maladie chez tous les humains.
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Donc, une grande diversité génétique unique au monde. Pourtant, vous expliquez que seulement 2 % des codes génétiques qui sont étudiés actuellement sont africains…
Par exemple, sur une publication qui est sortie il y a deux ans, où l'on a séquencé 910 personnes venant des Caraïbes d’origine africaine, on a trouvé que 10% de leur contenu génétique n’existait pas du tout dans les bases de référence que nous utilisons en génétique. Cela veut dire que les données que nous avons maintenant de la recherche scientifique appliquée à la médecine ne sont pas toujours pertinent pour la population d’origine africaine, et c’est quelque chose que nous avons tous besoin de corriger.
Et quels seraient les enseignements d’une telle étude, avec quelles retombées concrètes pour les populations africaines ?
Le premier enseignement, c’est déjà raconter l’histoire de l’homme, raconter l’histoire de l’humanité en utilisant les informations génétiques pour comprendre mieux d’où on vient, comprendre pourquoi et comment, et quand l’homme a quitté le continent pour s’installer sur le continent européen ou asiatique, comprendre s’il y a eu des retours. Nous avons des indices qu’il y a eu des retours du continent européen vers le continent africain.
Et l’intérêt de comprendre cela a un impact direct sur la façon dont nous manageons la santé et la maladie. Par exemple, nous savons que l’intolérance au lactose est plus commune dans les populations qui parlent les langues bantoues que dans les populations européennes, sauf par exemple les populations Fulani. On sait que le chromosome Y des populations Fulani est plus proche du chromosome Y des Européens d’aujourd’hui, ce qui semble indiquer que c’est une population qui est retournée d’Europe vers le continent africain assez récemment. Et cette population justement a moins de problèmes d’intolérance au lait. Un exemple simple où étudier les mouvements humains a un impact direct sur la maladie.
Le deuxième bénéfice direct en dehors de l’histoire de l’homme, c’est un bénéfice sur la santé. Nous sommes convaincus par nos travaux qu’en étudiant la population africaine, on va découvrir de plus en plus de nouveaux gènes associés à certaines maladies, y compris les cancers et de développer des traitements pour ces cancers-là.
Vous pensez que les États africains pourraient financer ce projet, mais est-ce réaliste sachant qu’ils peinent déjà à financer leur système de santé et à répondre aux différentes épidémies, dont celle du Covid-19…
Nous pensons que, pour chaque individu inclus dans ce programme, on a besoin d’à peu près 1 500 dollars qui va inclure le coût du séquençage, le coût de récolter quelques données épidémiologiques de base, le coût du stockage et de l’analyse. Pourquoi faire un projet aussi ambitieux qui prendra minimum 10 ans, qui va requérir des milliards de dollars, probablement 4 milliards de dollars ? C’est une chose qu’il faut faire d’un point de vue de la connaissance.
Nous avons vu l’importance de la génomique par exemple dans la gestion de l’épidémie du Covid-19. Si par exemple, il n’y avait pas le séquençage du virus, on n’aurait jamais découvert le variant en Afrique du Sud qui a permis de changer radicalement la prise en charge épidémiologique de l’épidémie. Donc, je pense que l’impact d’un tel projet ne serait pas seulement la connaissance des variants génétiques pour les pathologies génétiques, mais aussi leur impact sur les pathologies infectieuses.
►À écouter aussi : Autour de la question - Pourquoi l'humanité est façonnée par les virus ?
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