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Aboubacrine Cissé, maire de Tombouctou: «L'insécurité, ennemi commun des différentes communautés»

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Au Mali, les autorités de transition et la Cour pénale internationale organisent mardi 30 mars une cérémonie de réparation symbolique dans l’affaire des mausolées de Tombouctou. Elle fait suite à la condamnation par la CPI, en 2016, d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi, cadre d’Ansar Dine. Également connu sous le nom d’Abou Tourab, il avait commandé la destruction des mausolées de Tombouctou en 2012, pendant l’occupation du nord du pays par des groupes jihadistes liés à Aqmi. À cette occasion, l’envoyé spécial de RFI à Tombouctou David Baché a rencontré Aboubacrine Cissé, le maire de la ville. Il est question de cette cérémonie, des réparations prévues pour les habitants de Tombouctou mais également de la situation actuelle, sécuritaire et politique. 

Aboubacrine Cissé, le maire de Tombouctou, le 23 mars 2021, à Tombouctou.
Aboubacrine Cissé, le maire de Tombouctou, le 23 mars 2021, à Tombouctou. © RFI / David Baché
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Rfi : Les mausolées de Tombouctou ont été détruits pendant l’occupation jihadiste en 2012, ils ont été reconstruits en 2015. Leur destructeur, Abou Tourab, a été condamné par la Cour Pénale internationale et aujourd’hui il y a cette cérémonie de réparation aux victimes de Tombouctou. En tant que maire de la ville, est-ce une satisfaction, un soulagement ?

Aboubacrine Cissé : Effectivement, les mausolées ont été détruits, ce qui a fait beaucoup de mal aux Tombouctiens. Fort heureusement, les partenaires ont reconstruit ces mausolées, donc c’est une satisfaction. Satisfaction encore totale, lorsqu’il y a une cérémonie qui est consacrée à la réparation de tout ce mal à l’ensemble des populations de Tombouctou. Et c’est une fête.

Il y a eu la destruction des mausolées, mais de nombreuses mosquées ont aussi été endommagées pendant l’occupation jihadiste. Des manuscrits ont été détruits. Ce patrimoine culturel, la ville le retrouve petit à petit ?

Oui, le patrimoine culturel est en train de se reconstituer, si je parle de ces manuscrits qui ont été détruits.

Ils ont commencé à être numérisés et préservés ?

Oui, bien sûr. C’est ce qui est en train de se faire.

Aujourd’hui, pendant cette cérémonie, il y a le versement d’un euro symbolique aux victimes de Tombouctou. Mais dans son jugement, la Cour pénale internationale a aussi ordonné le versement de 2 millions 700 000 euros aux victimes de Tombouctou, qui sont débloqués par la CPI, elle-même. Cet argent a été versé aux personnes qui sont en lien direct avec les mausolées, mais il n’a pas servi à l’ensemble de la population de la ville. Est-ce qu’il n’aurait pas pu servir, par exemple, à la construction d’infrastructures, d’égouts, à la rénovation de bâtiments, pour que toute la ville en profite ?

Oui, c’est l’idée, d’ailleurs. Parce que, quand il y a un versement d’une telle somme, ce qu’il aurait été bien de faire pour toute la ville, c’est la construction d’une mosquée. C’est, d’aller dans des actions de ce genre, qui vont servir toute la population.

Est-ce qu’après la condamnation d’Al Faqi Al Mahdi, vous attendez d’autres condamnations ? À ce jour, il est le seul. Est-ce que ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt ?

Oui, parce que, ce qui est certain, c’est qu’il n’était pas seul, ici. Il y avait quand même d’autres gens qui étaient là. On doit continuer à pouvoir en identifier d’autres, aussi.

Aujourd’hui, sur le plan sécuritaire, Tombouctou connaît moins d’attaques terroristes que par le passé. Ce sont surtout le centre du Mali, la région des Trois frontières, qui sont visés actuellement. Est-ce que, pour autant, vous diriez que la situation s’est apaisée dans la ville, dans la région ?

Nous constatons avec beaucoup de satisfaction et de joie cette accalmie. Mais c’est une accalmie relative.

Aujourd’hui, la présence des groupes radicaux jihadistes se fait quand même sentir ?

Je ne parlerais même pas de jihadistes. Parce que c’est une insécurité qui est alimentée par d’autres gens. Parce que, nous assistons à des braquages sur les routes et ce ne sont pas les jihadistes qui le font. C’est le banditisme. Parce que, nous assistons à des braquages, nous assistons à des enlèvements… Nous assistons à beaucoup d’actions que je n’attribuerais pas au jihadisme, mais je les attribuerais tout simplement au banditisme.

Justement, ce banditisme n’aide pas à la réconciliation intercommunautaire, qui était une priorité, après l’occupation jihadiste de 2012, entre les communautés songhai, arabes, tamasheq, peules… Aujourd’hui, par exemple, lorsqu’il y a des actes de banditisme, on voit des boutiques de commerçants arabes se faire prendre pour cible, en termes de représailles. Cela veut dire que cette réconciliation est toujours difficile à atteindre 

Non, cette réconciliation n’est pas difficile à atteindre. Les populations ont compris qu’elles ont un ennemi commun : l’insécurité. Et pour cela, les populations se remettent petit à petit ensemble, pour combattre le mal qui se présente à elles.

Il y a quand même eu des marches, organisées ces derniers mois par les peaux claires - Arables, Tamasheq - pour justement, demander la fin des discriminations à leur égard.

Je ne parlerais pas de discriminations. Seulement de cette méfiance créée par l’insécurité. Les arabes, les touaregs, les songhai… Nous sommes tous les mêmes. Cette situation, qui va créer une division entre nous, on n’en veut pas. On veut vraiment être ensemble, parce nous avons toujours été ensemble.

Une dernière question plus politique : depuis le coup d’État du mois d’août dernier, la mise en place des autorités de transition, est-ce qu’ici, à Tombouctou, cela a changé quelque chose ? Est-ce que vous avez des attentes ?

Les seules attentes que nous avons - en tout cas la population de Tombouctou et du Nord du Mali, en général - c’est surtout le retour de la sécurité, de la paix et de la réconciliation. Le changement de régime, déjà, c’est un changement politique. Et nous avons les autorités de la transition qui ont passé un message, celui de ramener la paix dans tout le pays. Nous sommes en train de vivre ce calme, en tout cas pour le moment, à Tombouctou.

Je suis optimiste, parce que les populations mêmes, à la base, n’entendent plus se laisser faire. S’il y a quelque chose qui ne va pas, elles sont prêtes à se révolter. C’est pourquoi, les autorités de la transition sont astreintes à faire en sorte qu’il y ait cette accalmie, qu’ils travaillent pour le bonheur de la population. C’est à ce sujet-là que je suis optimiste.

Ce changement était attendu ?

Il était attendu, je ne sais pas. Mais en tout cas il y a eu du changement, quand même.

 

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