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Niger: «On est passé d'une gestion administrative à une gestion judiciarisée de la migration»

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Lisbonne vient d'accueillir ces deux derniers jours une conférence ministérielle sur la gestion des flux migratoires. Cette réunion était destinée à approfondir le dialogue politique entre l'Union européenne et les pays africains. Le Niger est l'un des pays particulièrement concernés par cette question migratoire. Les autorités nigériennes ont mis en avant à Lisbonne leur bilan, mais elles appellent aussi les Européens à maintenir leur soutien, car le problème n'est pas encore réglé. Le ministre nigérien de l'Intérieur Alkache Alhada répond aux questions de Laurent Correau.

Un groupe de migrants, principalement du Niger et du Nigéria, se repose à côté de certains véhicules lors d'une pause de leur voyage à travers le désert de l'Air, au nord du Niger, en route vers la frontière libyenne, le 22 janvier 2019.
Un groupe de migrants, principalement du Niger et du Nigéria, se repose à côté de certains véhicules lors d'une pause de leur voyage à travers le désert de l'Air, au nord du Niger, en route vers la frontière libyenne, le 22 janvier 2019. © AFP
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RFI : Est-ce que vous diriez que le Niger, et dans le Niger la ville d’Agadez, est toujours un carrefour migratoire entre le Sahel et le Maghreb ?

Alkache Alhada : C’est vrai qu’Agadez, c’est la ville phare sur la route de la migration en direction de l’Europe. Agadez le reste toujours. Évidemment avec le Covid, avec aussi un certain nombre de mesures que nous avons prises, la situation s’est améliorée. Au lendemain de Lavalette, déjà — on parle de 2015 —, l’ancien président Mahamadou Issoufou avait pris des mesures assez volontaristes, ambitieuses. On a renforcé le contrôle aux frontières, on a équipé des nouveaux postes de police frontaliers, on a créé des patrouilles sur les frontières avec la création aussi de la Compagnie mobile de contrôle des frontières. Et on est aussi passé d’une gestion administrative à une gestion judiciarisée de la migration avec un dispositif peut-être un peu plus répressif, mais en tout cas qui a permis d’arriver à certains résultats. Si je prends Agadez, on était à plus de 1 600 migrants en janvier 2020. On est à 660 en décembre. Une baisse drastique quand même.

Est-ce que vous savez si les flux migratoires se sont réorganisés avec ces mesures de lutte contre l’immigration clandestine, est-ce que les routes justement se sont transformées ?

C’est sûr qu’il y des routes de contournement du dispositif qui a été mis en place. Les passeurs sont très ingénieux et trouvent toujours le moyen de se faufiler. Mais de façon globale, on va dire quand même que les mesures qui ont été prises ont vraiment permis pas seulement de réduire les flux, mais aussi de sauver des vies humaines. Les forces de défense et de sécurité du Niger ont sauvé plus de 3 000 migrants qui avaient été abandonnés par des passeurs dans le désert et qui étaient destinés à une mort certaine.

L’un des effets de la lutte contre les passeurs, c’est que ceux qui tentent malgré tout l’aventure de la traversée par le désert sont de plus en plus exposés…

Oui, absolument. Et c’est ça qui fait parfois des pertes en vie humaine dans le désert, parce que ceux qui arrivent toujours à contourner les mécanismes de contrôle se retrouvent souvent dans des impasses. Et lorsque les passeurs se trouvent dans des situations où ils sont totalement dépassés, qu’est-ce qu’ils font ? Ils abandonnent les pauvres migrants qu’ils ont avec eux et qui se retrouvent évidemment dans des situations mortifères.

Est-ce que la protection des populations qui tentent malgré tout l’aventure est prise en compte par les autorités par certaines mesures ?

Oui, absolument. Il y a un certain nombre de dispositifs par exemple qui permettent la protection des femmes et des enfants, etc. Et cela donne des résultats probants.

Un des dispositifs qui a été mis en place, c’est le Mécanisme d’évacuation d’urgence et de transit de la Libye vers le Niger. Quel bilan faites-vous de ce Mécanisme qui vise à rapatrier des migrants qui ont été prisonniers du piège libyen ?

Le Niger est le premier pays à avoir accepté depuis 2017 d’accueillir un tel dispositif, ce qui a permis quand même de sauver plus de 3 000 personnes, et parmi ces 3 000 personnes, 2 847 ont été réinstallées dans des pays d’Europe et d’Amérique.

L’un des volets de la question migratoire, ce sont les expulsions de migrants par l’Algérie vers le Niger. Ces migrants trop souvent sont encore déposés au milieu de nulle part, selon les ONG, dans un endroit qui s’appelle « point zéro », à partir duquel ils doivent marcher une quinzaine de kilomètres pour rejoindre la frontière, et notamment la localité nigérienne d’Assamaka. Est-ce que la gestion de ces expulsions est un point dont vous pouvez parler avec les autorités algériennes ?

À l’occasion de la rencontre à Lisbonne, j’ai eu à échanger avec le ministre algérien des Affaires étrangères et évidemment, nous avons convenu de nous revoir sur des questions de ce type. C’est une question extrêmement difficile et je comprends évidemment les Algériens qui reçoivent un flux massif. Mais de l'autre côté aussi, nous également, nous avons des difficultés lorsque notamment les Algériens rapatrient des ressortissants non seulement nigériens, mais aussi d’autres pays qui ne sont pas forcément passés par le Niger et qu’il va falloir par la suite faire repartir dans leur pays.

Est-ce qu’une plus grande humanisation de ces expulsions est à l’agenda de vos entretiens avec l’Algérie ?

Le ministre algérien s’est vraiment montré très disposé et donc, je suis très confiant quant aux discussions qu’on aura ultérieurement.

La prise en charge des migrants était une activité économique importante pour la région d’Agadez. Est-ce que la ville a pu rebondir sur un nouveau projet économique ?

À Agadez, l’activité phare, c’était le tourisme. Évidemment les questions de sécurité ont plombé tous les projets qu’on avait dans ce sens-là. C’est aussi une zone en réalité également d’agriculture où peut se développer, une agriculture bio qui pourrait éventuellement intéresser l’Europe en termes d’exploitation. C’est une piste, de mon point de vue, qu’il va falloir qu’on approfondisse.

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