«Le Soudan doit absolument régler son problème de dette pour freiner l'inflation galopante»
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Le président français Emmanuel Macron accueille ce lundi à Paris le général Abdel Fattah Al-Burhan, le président du Conseil souverain du Soudan et le Premier ministre Abdalla Hamdock, à l’occasion de la Conférence internationale d’appui à la transition soudanaise. Il s'agit d'attirer les investisseurs et de contribuer à effacer la dette extérieure du pays. Un appui dont le Soudan a le plus grand besoin, selon Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chercheure à l'IRD, l'Institut de recherche et de développement, et chercheure associée au Centre de recherche du CNRS à Khartoum.

RFI : Comment qualifiez-vous la situation de l’économie soudanaise, aujourd’hui, deux ans après la chute d’Omar el-Béchir ?
Raphaëlle Chevrillon-Guibert : Malheureusement, cette situation est absolument catastrophique. Il y a un taux d’inflation qui est galopant et une obligation pour le gouvernement de réduire beaucoup les subventions qui étaient faites aux produits de base. Donc on se retrouve avec des difficultés, à la fois pour les approvisionnements d’essence et pour le reste, mais aussi tout simplement avec des queues sans fin devant chaque boulangerie, pour pouvoir se procurer son pain quotidien.
Des pénuries de pétrole très graves…
Notamment, du fait des transports. C’est-à-dire que la capitale est une ville très étalée et vous avez besoin, pour vous rendre à votre travail, de prendre le bus et souvent d’en prendre plusieurs. Tous les prix de ces transports ont beaucoup augmenté, ce qui fait que pour les plus bas salaires, c’est un calcul que de savoir si c’est rentable pour eux, aujourd’hui, d’aller traverser la ville pour aller travailler.
Mais vous imaginez bien que c’est aussi central, pour tout ce qui est transport des produits de commerce et pour les vivres, même de première nécessité. Cela fait augmenter tous les prix du quotidien. En fait, c’est une espèce de boule de neige. C’est quelque chose qui n’est pas spécifique à ce qui vient d’arriver depuis la transition, mais cela avait déjà débuté avant. Ce qui a, d’ailleurs, nourri la colère et l’éclatement de la révolution d’il y a deux ans, mais qui continue aujourd’hui, avec vraiment une difficulté pour le gouvernement, d’arriver à trouver des alternatives, des solutions pour remettre en ordre de marche cette économie qui s’effondre.
Les services publics se dégradent également…
Oui, le manque de moyens pour le gouvernement fait qu’il est impossible d’avoir de quoi maintenir un certain niveau de services publics. Et en ce moment, du fait de la catastrophe économique que connait le Soudan, il y a des coupures extrêmement régulières. C’est-à-dire que le mois dernier, il y avait douze heures de coupure par jour pour chaque quartier, qui variaient d’un quartier à l’autre. C’est extrêmement compliqué pour l’économie, aussi, de perdurer. Donc c’est vrai pour l’électricité, mais il y a aussi de graves dysfonctionnements dans les services publics.
Par exemple, dans le nettoyage, il y a des tas de poubelles qui s’amoncellent un peu partout dans les villes. On sent vraiment un ras-le-bol et une désillusion qui est en train de poindre. C’est très inquiétant pour cette transition, pour ce gouvernement civil, qui a besoin de réussir aussi sur ces enjeux d’amélioration du quotidien ou, au moins, d’un maintien, et pas d’une forte dégradation comme celle que l’on est en train de connaitre, par rapport à l’ère Béchir.
Peut-on dire que l’économie soudanaise est aujourd’hui asphyxiée par le poids de la dette ?
C’est vrai que c’est un des problèmes majeurs de cette économie. On a une dette qui est extrêmement importante, une des plus importantes du continent africain : plus de 50 milliards de dollars. Et surtout, on a une dette qui est principalement extérieure et qui est libellée en monnaie étrangère. On a une pénurie de ces monnaies étrangères, et du coup, un écart qui se creuse avec une devise soudanaise qui s’écroule, des monnaies étrangères qui sont de plus en plus chères à acheter au Soudan…
De fait, la dette devient plus grosse, en plus de tous les arriérés qui s’enchaînent et des taux d’intérêt qui augmentent sur cette dette. On a vraiment une dette extrêmement forte et avec une impossibilité, pour l’instant, avec le niveau de difficultés de l’économie, de pouvoir la combler. Il y a vraiment un problème majeur à ce niveau-là.
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Le Soudan a besoin de bien plus qu’un simple bol d’oxygène…
Le Soudan a vraiment besoin de régler son problème de dette, notamment parce que cela va réellement lui permettre de freiner cette inflation galopante et tellement forte, qu’elle rend finalement très peu rentable un certain nombre d’activités économiques. On a vraiment besoin d’avoir cette dette qui s’arrête et d’avoir la possibilité d’investir au Soudan, sans prendre de risques et notamment de risques liés à l’inflation, au-delà même des risques de sécurité bancaires, de gouvernance économique de base. Mais on a vraiment besoin que la stabilité générale s’améliore.
Est-ce que la levée récente de l’embargo américain change la donne pour les entreprises soudanaises ?
C’est un grand espoir pour vraiment fluidifier les transactions, à la fois au sein du pays et avec l’international, parce qu’à cause de cet embargo, il n’était pas possible de faire des transactions, par exemple, en dollars. Du coup, pour les nouvelles entreprises, on avait besoin de ce souffle vers l’extérieur qui était impossible avec l’embargo américain.
Est-ce que ces difficultés économiques mettent en péril la transition ? Des manifestations contre la cherté de la vie sont régulières au Soudan…
Oui, c’est vraiment un enjeu central, aujourd’hui, pour que la transition réussisse et que la transition réussisse côté civil. Parce que, sinon, cela va être une façon, pour les militaires, de dire : « Regardez l’échec total de ce gouvernement civil ! » Et vous imaginez bien que cela risque de peser très fort dans la balance finale et peut-être d’empêcher la venue définitive d’un régime civil pérenne.
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