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Assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon: «On attend le desserrement du secret-défense»

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Cela fait près de huit ans que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal, dans le nord du Mali, et de nombreuses questions restent sans réponses. Le silence n’est cependant qu’une apparence. Beaucoup de gens savent des choses et le secret pèse sur cette affaire, notamment le secret d’État. Le journaliste et écrivain Jean-Pierre Campagne vient de signer un ouvrage qui rend compte de cette situation. Il est intitulé « Deux corps ». Et sa publication intervient alors que l’armée française vient d’éliminer Baye Ag Bakabo, l’un des acteurs clés de l’enlèvement de nos deux confrères. Jean-Pierre Campagne est ce matin notre invité, il répond aux questions de Laurent Correau.

Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon. RFI
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RFI : Dans votre livre*, on entend de nombreux personnages parler de l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, se parler d’ailleurs à eux-mêmes, de cet assassinat, de ce qu’ils en ont vu. Est-ce que c’est parce que vous avez le sentiment qu’il reste encore beaucoup à découvrir que beaucoup de choses sont tues dans cette affaire ?

Jean-Pierre Campagne : Oui. On est toujours un petit peu dans l’inconnu, dans une sorte de mystère. On tourne un petit peu en rond. Cela fait bientôt huit ans qu’ils ont été assassinés à Kidal. Pourquoi ont-ils été enlevés ? Par qui ont-ils été enlevés ? Pourquoi ont-ils été tués ? On ne le sait toujours pas.

Pourquoi avoir choisi le genre du récit fiction ?

Je pouvais écrire un roman. Mais quand vous écrivez un roman, vous êtes obligé de donner une conclusion, d’assener une conclusion. Or là, on est encore dans l’inconnu. C’est une fiction qui est nourri de beaucoup d’éléments, c’est très documenté. Et en même temps, je prête à chacun des acteurs sa propre vision, son propre point de vue, sa propre interprétation des choses.

Donc, vous n’assenez pas de vérité dans ce récit. C’est plutôt une mosaïque de textes courts derrière ce que disent les personnages de l’avocate, de l’ami, du tireur, du chef de la Katiba et tous les autres. Ce sont surtout des points d’interrogation qui se dessinent. Et dans ces points d’interrogation, la question de la rançon des otages d’Arlit revient avec insistance. Il s’agit de Thierry Dol, Daniel Larribe, Pierre Legrand et Marc Féret enlevés à Arlit au Niger par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en septembre 2010, des Français, collaborateurs des groupes Areva et Satom (filiale de Vinci), prisonniers d'Aqmi pendant trois ans. Pourquoi ?

Parce que leur assassinat intervient quatre jours après la libération des otages d’Arlit. C’est un enlèvement effectué par des jihadistes. On sait maintenant qu’il y a quand même eu une très forte rançon qui a été délivrée. Il y a plusieurs hypothèses : soit des gens qui ont participé à la négociation se sont sentis floués et donc, ont enlevé Ghislaine et Claude ; soit ce sont des personnes qui se sont dit que de nouveau, deux Blancs qui sont dans le coin, ça représente énormément d’argent ; donc, on va les enlever et on verra après ce qu’on en fera.

De manière régulière, on voit aussi toutes ces interrogations autour d’un hélicoptère qui a été entendu par certains, mais qui n’apparait nulle part dans le récit officiel sur la mort de nos deux collègues…

Oui. L’hélicoptère, c’est le bruit qui dérange, c’est-à-dire qui dérange peut-être l’armée française, le gouvernement, parce qu’ils sont quand même très muets sur cette affaire. Cet hélicoptère a été entendu. Il pourrait être celui qui a pris en chasse les ravisseurs. On est un petit peu encore une fois dans l’inconnu. On s’ensable un peu comme si à chaque fois, il y avait des éléments qui eux savent ce qui s’est passé, qui auraient intérêt à cacher la vérité.

Dans son rapport de mars dernier, l’ex-rapporteur de l’ONU sur les crimes extra-judiciaires a dénoncé les excès du secret-défense qui entravent, à ses yeux, l’enquête du juge français. Vous l’évoquez également dans votre livre, puisque le secret-défense, c’est même l’un de vos personnages, à quel point y a-t-il excès dans cette affaire du secret-défense ?

C’est très compliqué le secret-défense. Oui, je le fais parler et j’imagine qu’il parle, qu’il s’exprime. Justement, il s’exprime pour ne rien dire. Mais il s’exprime quand même pendant un bon moment pour expliquer pourquoi il est né, pour les raisons pour lesquelles le secret-défense existe. Il y a parfois de bonnes raisons pour que le secret-défense soit activé, soit opposé à la recherche de la vérité. Souvent, quand même, cela cache beaucoup de choses et beaucoup de négligences, beaucoup d’erreurs. Si on considère l’hypothèse selon laquelle l’armée française a pris en chasse les ravisseurs, ce qui a priori n’est absolument pas condamnable, bien au contraire, et qu’il y a eu un ratage, que l’affaire a très mal tournée pour nos deux confrères, on peut considérer que l’armée à ce moment-là ne veut plus rien dire, ne veut plus rien dire, certes elle se défend. Mais, c’est une défense qui n’est pas très honorable.

Suite à l’élimination de Baye Ag Bakabo, le chef du commando responsable de l’enlèvement, l’association Les Amis de Ghislaine et Claude Verlon, dont vous faites partie, vient de publier une lettre ouverte à la ministre française des Armées, Florence Parly : « Nous attendions la justice, pas la vengeance ». Quelle est votre interpellation ?

En réalité, on constate que petit à petit, les principaux présumés ravisseurs de Ghislaine et Claude sont éliminés par l’armée française qui est présente dans la région. Cela signifie pour nous que petit à petit, tout cela ressemble à un jeu de quilles. Vous abattez les quilles les unes après les autres, et au bout d’un moment, il n’y aura plus personne pour dire, pour accepter de narrer la tragédie. Cela est un gros problème, mais dans ma fiction, je fais parler le juge qui dit que cette histoire devient de plus en plus compliquée parce que, à mesure que les militaires français tuent les présumés ravisseurs, la vérité petit à petit s’échappe, s’obscurcit et disparait.

Qu’attendez-vous, vous en tant qu’auteur, et de manière plus générale, qu’attend l’association des Amis de Ghislaine et Claude des autorités françaises aujourd’hui ?

On attend qu’elle desserre le secret-défense, que les autorités françaises arrivent à dire davantage ce qui s’est passé, si l’armée française par exemple a engagé la poursuite et si elle a échoué, il faut le dire à un moment.

* « Deux corps » peut être commandé sur le site de l’auteur, Jean-Pierre Campagne.

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