Le grand invité Afrique

Décès du cardinal Monsengwo: «Il y a eu une contribution importante et ferme» de l'Église dans l'alternance en 2019

Publié le :

Les obsèques du cardinal Monsengwo auront lieu à la cathédrale de Kinshasa. Mais il faut d'abord que sa dépouille soit rapatriée, car le prélat congolais est décédé dimanche en France. Quelle empreinte va-t-il laisser ? Quel héritage va défendre son successeur, le cardinal Ambongo ? L'historien Isidore Ndaywel, qui enseigne à l'Université de Kinshasa, dirige le Comité laïc de coordination (CLC) et vient de publier chez L'Harmattan Le Congo dans l'ouragan de l'histoire, un ouvrage préfacé par le cardinal Monsengwo, dont il était très proche, est l'invité de RFI.

Le cardinal Laurent Monsengwo au Vatican en novembre 2010.
Le cardinal Laurent Monsengwo au Vatican en novembre 2010. © Associated Press - Pier Paolo Cito
Publicité

RFI : La dernière passe d’armes entre Laurent Monsengwo et le pouvoir politique, c’est à la fin du régime de Joseph Kabila, avec les grandes marches des chrétiens fin 2017-début 2018. Le cardinal Laurent Monsengwo a-t-il joué un rôle particulier à ce moment-là ?

Isidore Ndaywel : Il a joué un rôle extrêmement important, bien que discret. J’ai vécu cette période de manière assez particulière. Le Comité laïc de coordination, qui a eu à mener ces actions, avait au moins eu ses assises juridiques et canoniques par l’archevêque de Kinshasa, c’est-à-dire par Laurent Monsengwo. Et à partir de là, il y avait donc une légitimité pour mener ces actions, qui [autrement] auraient pu être traitées d’action purement sauvages, incontrôlées, alors que cela se faisait dans le cadre vraiment de la reconnaissance de l’Eglise catholique. Et ça, c’est Laurent Monsengwo qui a assuré cela.

Et le 2 janvier 2018, en conférence de presse, le cardinal Laurent Monsengwo a cette formule : « Il est temps que les médiocres dégagent». Peut-on dire qu’à ce moment-là, il est le numéro un de l’opposition au régime de Joseph Kabila ?

C’est-à-dire que Laurent Monsengwo a toujours eu des expressions devenues populaires sur le plan politique. On ne peut pas dire qu’il était vraiment au premier plan de l’opposition, mais en tous les cas, ensemble avec la Conférence épiscopale (Cenco), la position avait été prise qu’il n’était pas question qu’on puisse mettre en cause la Constitution en instaurant un passage en force du président en place pour avoir un troisième mandat.

► À lire aussi : Violences en RDC: le cardinal Laurent Monsengwo monte au créneau

Et le ton monte avec le pouvoir puisque le ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende, traite Laurent Monsengwo d’« apôtre de l’insulte »

Oui. C’est de bonne guerre. Monsengwo, je dois dire aussi, on ne le dit pas suffisamment, c’est un personnage qui a beaucoup souffert, parce que déjà, pendant la conférence nationale, il a été plusieurs fois insulté. Et donc, il était en quelque sorte déjà immunisé contre ce genre d’éléments. Et lorsque cela intervient à nouveau en 2017-2018, je pense que cela passait au-dessus de sa tête, il ne s’arrêtait pas à cela.

Quel est le mot qui le caractériserait le mieux ? Obstiné ? Courageux ? Têtu ?

Courageux, homme de conviction. Lorsqu’il avait pris une option, c’était difficile qu’il change d’avis.

L’alternance politique de janvier 2019, est-ce le résultat de cette action de l’Eglise catholique, de votre Comité laïc de coordination (CLC) et de Laurent Monsengwo ?

Très modestement, je dirais qu’il y a eu une contribution extrêmement importante et ferme pour que cela le soit. Maintenant, il y a eu également toute la conjoncture internationale qui a aussi joué en faveur de ce changement.

Est-ce que Laurent Monsengwo aurait pu aller en prison ?

Tout à fait. Cela aurait pu arriver. Mais probablement qu’aucun homme politique n’aurait osé prendre une telle décision. Nous sommes dans un pays très christianisé et cela aurait été difficile. Le président Mobutu en son temps, avait décidé d’envoyer le cardinal Malula à Rome en confisquant sa résidence, en en faisant une maison du parti. On a vu quand même que, quelques mois après, il a dû faire marche arrière parce qu’il y avait des neuvaines organisées dans les églises dans l’ensemble du pays. Et donc, cette action était vraiment impopulaire au point qu’il a dû changer d’avis.

Succéder à un homme de la trempe de Laurent Monsengwo, n’est-ce pas une tâche difficile pour un homme comme le cardinal archevêque Fridolin Ambongo ?

Le défi est réel. Mais pour le cardinal Fridolin Ambongo, déjà actuellement, on voit par ses prises de position qu’il se situe dans la filiation directe de Monsengwo et de Malula.

A l’heure où certains députés congolais veulent obliger tous les candidats à la future présidentielle d’être de père et de mère congolais, à l’heure où ils veulent réduire les chances d’être éligible, quel aurait été le message de Laurent Monsengwo, quel peut être le message de l’église catholique ?

Le message, qui aurait été celui de Laurent Monsengwo, est celui déjà exprimé par son successeur, le cardinal Fridolin Ambongo, qui a déclaré à Lubumbashi qu’il fallait que le pays n’aille pas dans cette voie, que c’est une voie extrêmement dangereuse. Et le pays ne pourrait pas s’y engager, parce que la « congolité », on a vu déjà les effets de ce concept en Côte d’Ivoire, et le Congo est essentiellement une société pluriculturelle, c’est contre le progrès que d’arriver à énoncer une idée comme celle-là.

► À lire aussi : RDC: répression meurtrière de la marche du Comité laïc de coordination

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes