Moncef Djaziri: la division des institutions rend «la stabilité précaire» en Libye
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C'est un événement dont tout le monde se souvient... Il y a dix ans, jour pour jour, le colonel Kadhafi était lynché et tué par ses opposants armés, après 42 ans d'une dictature implacable. Où en est la Libye aujourd'hui ? Le clan Kadhafi peut-il revenir au pouvoir à l'occasion de la présidentielle prévue le 24 décembre prochain ? Le professeur Moncef Djaziri, qui enseigne à l’Institut d’études politiques internationales de Lausanne, en Suisse, est notre invité.

RFI : Qui va gouverner la Libye après la présidentielle prévue en décembre ? Il y a un certain nombre de favoris, on parle notamment du Premier ministre actuel de Tripoli, Abdel Hamid Dbeibah…
Moncef Djaziri : D’abord, on peut se poser la question vraiment, sincèrement, si l’échéance du 24 décembre prochain est une échéance réaliste. Vous savez, la loi électorale n’a pas été publiée encore de manière officielle, on ne sait pas les conditions dans lesquelles vont se dérouler ces élections, les candidats ne sont pas annoncés pour l’élection présidentielle, les listes des candidats pour les élections parlementaires ne sont pas connues… Donc, il y a des doutes concernant le déroulement de ces élections.
Maintenant, concernant les chances du Premier ministre Dbeibah, d’abord vous savez qu’il s’était engagé à assurer la période de transition et en aucune manière à se présenter aux élections. Et d’autre part, il est très mal vu. Vous savez qu’il n’a plus de soutien au niveau du Parlement à Benghazi depuis déjà plusieurs semaines et donc, à mon avis, il a très peu de chances d’être élu.
Autre candidat potentiel dans l’Ouest de la Libye, l’ancien ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha. On dit que c’est l’homme fort à Tripoli et d’ailleurs à Misrata.
C’est surtout à Misrata. Vous savez, il est originaire de Misrata et donc il a, bien sûr, un soutien dans cette ville. Il a également le soutien d’une manière plus large des islamistes, surtout dans la partie Ouest, en Tripolitaine. Mais franchement, il aura très peu de soutien à l’Est, compte tenu de ses engagements passés et compte tenu de sa proximité avec les islamistes. Et dans la mesure où l’influence des tribus, à l’Est, est importante et leur capacité de mobilisation également, je pense que ses chances sont quand même très réduites, en tout cas pour ce qui concerne l’élection présidentielle.
Du côté de l’Est, est-ce que le maréchal Khalifa Haftar pourra se présenter et si oui, a-t-il des chances ?
D’abord, est-ce qu’il pourra se présenter ? La clause qui interdirait la candidature à un double national – vous savez qu’en l’occurrence Haftar a les nationalités américaine et libyenne – cette clause a disparu. Et donc, il pourrait, de ce point de vue, tout à fait légalement se présenter. Vous savez par ailleurs qu’il est maintenant en disponibilité, c’est-à-dire qu’il a cédé sa place de commandant en chef à un deuxième personnage important de l’armée, à l’Est, et donc il n’est formellement plus à la tête de l’armée libyenne, à l’Est.
Et il se montre en civil…
Et il se montre également en civil… Maintenant, l’objection principale, c’est que les islamistes ont porté plainte contre lui aux États-Unis pour crime de guerre, crime contre l’humanité. Le Premier ministre pousse la ministre libyenne des Affaires étrangères à déposer formellement une plainte contre lui. Donc la candidature de Haftar est incertaine, mais s’il pouvait se présenter, alors il aurait beaucoup de chances du côté de l’Est et au Sud du pays. À l’Ouest, c’est plus incertain. Donc dans la mesure où les tribus auraient une force de mobilisation importante, c’est peut-être celui qui aurait le plus de chances, en réalité, avec les incertitudes en Tripolitaine et les capacités de résistance des islamistes, qui sont fermement opposés à Haftar.
Et toujours à l’Est du pays, quelles seraient les chances du président du Parlement de Tobrouk, Aguilla Saleh ?
C’est difficile à dire, parce qu’en fait, c’est un personnage assez controversé, très habile quand même, très manœuvrier… Mais à mon avis, objectivement, il n’a pas énormément de chances.
Dix ans après la mort du colonel Kadhafi, est-ce qu’un membre du clan Kadhafi pourrait revenir sur la scène politique ?
Il y a des possibilités, pour Saïf al-Islam Kadhafi, de revenir sur la scène politique, mais avec beaucoup de réserves. C’est-à-dire qu’il y a quand même le veto des États-Unis, peut-être aussi de la France, de la Grande-Bretagne, il y a toujours la Cour pénale internationale, qui cherche à le juger… Donc c’est une situation un peu confuse, mais il y a quand même, pour Saïf al-Islam Kadhafi, un soutien de la part d’une grande partie des tribus libyennes – je pense que c’est un fait – et de la part d’une partie de la jeunesse. S’il se présentait à ces élections, il aurait quand même de fortes chances, dans la mesure où on ne peut pas exclure non plus une alliance entre lui et le maréchal Haftar, ça ce n’est pas impossible. Mais il y a le veto américain, il y a la Cour pénale internationale et les islamistes aussi, qui n’en veulent pas, en réalité.
Et les milices libyennes dans tout cela ?
Eh bien ces milices, une grande partie reste encore armée et constitue une menace, même encore aujourd’hui. Cela, c’est vraiment une des difficultés, parce qu’à supposer que les élections puissent avoir lieu, élections – comme vous savez – que les islamistes ne veulent pas organiser, on peut supposer qu’ils n’accepteraient pas les résultats et, dans cette perspective-là, les milices proches des islamistes pourraient reprendre leurs activités, en tout cas en Tripolitaine.
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