Patrick Atohoun (Emmaüs): le néolibéralisme «détruit nos sociétés et accentue la pauvreté»
Publié le :
#OurVoicesMatter, « nos voix comptent » c’est le mot d’ordre sur lequel la branche internationale de l’organisation Emmaüs fait campagne jusqu’à la fin du mois de novembre. Dans un rapport mondial, l’ONG fondée par l’abbé Pierre dénonce l’accentuation des inégalités et propose des solutions concrètes pour améliorer la situation des plus pauvres. Le Béninois Patrick Atohoun, président d’Emmaüs International, est notre invité.

RFI : Quel constat faites-vous, à Emmaüs international, sur l’évolution des situations de pauvreté en Afrique pendant la pandémie de Covid-19 ?
Patrick Atohoun : La Covid-19 est venue aggraver des situations qui existent. Dans les associations Emmaüs nous n’avions jamais fait de distributions alimentaires. Aujourd’hui, les gens n’arrivent même pas à manger. Je suis responsable d’un groupe Emmaüs, au Bénin, et ce que nous vivons dans notre groupe c’est que, le matin, vous avez dix, quinze, vingt personnes qui viennent, qui vous disent : « Aidez-moi à payer une facture, aidez-moi pour l’hôpital, j’ai des ordonnances, aidez-moi… », alors qu’on n’avait pas ça ! Et ça, nos amis du Togo nous le disent, nos amis du Congo, n’en parlons pas… Dans les neuf groupes Emmaüs, en Afrique, ce sont les mêmes situations, les gens viennent taper à notre porte pour dire : « Aidez-nous à vivre ». Et malheureusement, dans nos pays on n’a pas l’aide de l’État. On n’a rien reçu au niveau de l’État, pour ces populations vulnérables, ce qui fait que la situation s’est vraiment dégradée.
La Covid-19 est un des éléments d’explication de cette situation, mais ce que vous décrivez dans votre rapport, ce sont des causes plus profondes, plus structurelles, de cette pauvreté. Quelles sont-elles, ces causes ?
Les décideurs sont souvent aveugles à la misère des peuples. Dans nos différents pays, ce qui importe à nos gouvernements, c’est de pouvoir faire du profit. C’est quelque chose qui n’est pas en adéquation avec ce que veut la population. On ne prend pas en compte les préoccupations des populations.
Mais quels sont les intérêts qui sont mis en avant ?
C’est l’intérêt qui est lié peut-être à nos décideurs politiques, c’est l’intérêt de quelques-uns et ce n’est pas souvent en adéquation avec ce que la population veut. Je pense que c’est quelque chose qui est déplorable et il faut lutter contre.
Dans votre rapport, vous pointez trois causes structurelles de la pauvreté : l’absence ou le désengagement de l’État, un droit affaibli et asymétrique et puis une propension à privatiser les biens communs et les services publics. Au total, c’est le modèle néolibéral que vous critiquez…
Le néolibéralisme ne fait que détruire le fondement même de nos pays. Parce que, faire du profit, faire du profit… C’est peut-être bien, mais c’est certains seulement qui accaparent cette richesse, ce qui fait que la population pauvre, qui vit dans cette situation, n’en sort presque jamais.
Vous nous expliquez également, dans ce rapport, que l’injustice sociale se double d’un net recul des principes démocratiques…
Cela, c’est quelque chose que nous déplorons. Si nous, en Afrique, on change les constitutions et on essaie de modifier des choses… Excusez-moi, c’est le sport le plus adoré ! Et je pense que, quelle que soit la situation où on ne respecte pas les engagements que l’on a eus vis-à-vis du peuple, c’est le fiasco.
Vous décrivez donc une pauvreté de plus en plus forte, un recul démocratique. Comment est-ce que l’on peut sortir de cette situation, selon vous ?
Tant que vous ne prenez pas en compte les aspirations, les besoins de la population à la base, il y a un échec. Écoutons ces personnes-là, qui sont dans des situations difficiles et faisons quelque chose ! Nous, nous remontons toujours à notre fondateur l’abbé Pierre, qui a lancé, en 1954, cet appel par rapport à la crise du logement. Aujourd’hui, face à la crise de la précarité, nous demandons à toutes ces associations -à toutes ces personnes- de nous rejoindre, pour que nous puissions faire du bruit, pour que nous puissions aller vers ces pouvoirs politiques, pour leur dire : « Il y a une solution, venez avec nous et on pourra en discuter ».
Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples concrets de projets par lesquels vous avez essayé, à Emmaüs, de faire avancer cette vision des choses ?
L’un des projets que nous avons, c’est le projet Nokoué.
Donc sur le lac Nokoué, au Bénin…
Oui, c’est une population -100 000 personnes- qui vivent sur l’eau. Cela fait douze ans qu’on est là. Ce qui est remarquable, dans ce projet, c’est que, ce sont des besoins de la population que nous avons identifiés, que nous avons travaillés avec ces populations-là. Aujourd’hui, ces populations boivent l’eau potable, ces populations aussi, ont accès à des latrines… Parce que, ce ne sont pas les autorités de la mairie qui nous ont dit : « Il faut installer des bornes fontaines ici ». Ce sont les habitants, par rapport à leur vécu qui nous disent : « Il faut faire ci, il faut faire ça ». Il y a aussi un autre projet qui a été fait, c’est la mutuelle santé, qui se fait au Bénin, au Burkina et dans les pays asiatiques. C’est de permettre à ces populations qui n’ont pas accès à la santé, de pouvoir bénéficier des soins primaires et c’est quelque chose qui est primordial dans nos pays. Il y a aussi l’éducation. Nous disons à Emmaüs : « Oui, aller à l’école, c’est bon, mais ces populations qui n’ont pas eu cette chance-là, comment développer des outils pour que ces populations puissent s’épanouir ? »
Donc sur une formation continue ?
Continue… On n’a pas besoin de parler le français, avant de pouvoir se prendre en charge pour développer vraiment des activités. Voilà autant d’actions qui ont été menées. Nous pensons que, si elles sont menées à une grande échelle, cela pourra peut-être alléger la souffrance des populations.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne