Le grand invité Afrique

Alain Karsenty (chercheur): en Afrique, «l'essentiel de la déforestation vient de la petite agriculture»

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À l'occasion de l'ouverture de la Conférence internationale de Glasgow sur les changements climatiques organisée par les Nations unies, la COP26, focus sur la forêt d'Afrique centrale, deuxième plus grand massif de forêt dense humide de la planète après la forêt amazonienne. Elle s'étend sur six pays, la RDC, le Gabon, le Cameroun, le Congo, la Centrafrique et la Guinée équatoriale. Longtemps préservée, elle est de plus en plus menacée. Deux millions d'hectares sont déboisés chaque année. Alain Karsenty, chercheur économiste au Cirad, est notre invité.

A l'image de la forêt amazonienne, certaines forêts d'Afrique centrale sont aussi en danger (illustration).
A l'image de la forêt amazonienne, certaines forêts d'Afrique centrale sont aussi en danger (illustration). DeAgostini/Getty Images
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RFI : Dans un article pour la revue Hérodote vous rappelez que la première cause de destruction de la forêt en Afrique centrale ce n’est pas l’exploitation industrielle du bois, c’est d’abord l’agriculture et même la petite agriculture…

Alain Karsenty : Contrairement à d’autres régions du monde où il y a de la grande agriculture industrielle, il y en a assez peu en Afrique centrale. L’essentiel de la déforestation vient de la petite agriculture, qui elle-même est nourrie par les dynamiques démographiques de l’accroissement de la population et également la fabrication de charbon de bois, puisque c’est une des premières sources d’énergie, notamment pour la cuisson des aliments des populations.

Et vous écrivez que c’est en 2010 et particulièrement en RDC, que la déforestation prend de l’ampleur dans la région…

Oui, jusqu’à avant cette date, la RDC, qui a le premier massif forestier d’Afrique centrale, avait une déforestation qui restait relativement modérée. Et en fait, avec l’accroissement démographique, l’attribution aux concessions minières et autres, la déforestation s’est mise à vraiment augmenter et on est à des pertes de plus d’un million d’hectares par an, ce qui fait que la RDC est aujourd’hui le deuxième pays, en termes de déforestation, après le Brésil.

Et dans cette déforestation en Afrique centrale, quel poids pèse l’exploitation industrielle du bois, qui est souvent pointée du doigt par les ONG ?

Elle pèse peu. Si vous prenez l’exemple du Gabon, c’est sans doute le pays qui a l’industrie du bois la plus développée, avec un pays qui est couvert de concessions, mais c’est un pays qui n’a pratiquement pas de déforestation. Lorsqu’il n’y a pas derrière une dynamique agricole pour aller s’installer dans des forets qui ont été ouvertes par l’exploitation, la forêt, simplement, va se régénérer, comme c’est le cas au Gabon.

Donc si cette pression de l’agriculture sur la forêt est un enjeu majeur, comment y faire face pour protéger la forêt, tout en conciliant le besoin d’alimenter une population de plus en plus nombreuse ?

Il va falloir absolument donner aux paysans et aux cultivateurs, les aider à se former à de nouvelles pratiques, leur apporter du capital, leur apporter des engrais, leur apporter différents moyens d’intensifier de manière écologique, c’est-à-dire, sans détruire le sol avec des produits chimiques et des pesticides, donc une intensification écologique de l’agriculture…

Il va falloir également trouver des solutions pour résoudre le problème des prélèvements de bois et du charbon de bois, probablement avec de l’électricité, avec peut-être du gaz naturel… Il va donc également falloir travailler sur les questions du foncier pour éviter que la déforestation ne soit liée aussi au fait que les gens créent des droits de propriété, en coupant la forêt et en s’appropriant des espaces qui sont assez déboisés.

Et sur ces questions-là, quelles sont les différentes stratégies mises en œuvre par les pays de la région ?

L’un des problèmes, c'est que, la logique d’amélioration de la production agricole, suivie par les pays d’Afrique centrale, est beaucoup trop orientée, à mon avis, vers la grande agriculture industrielle. C’est-à-dire, chercher à attirer des investisseurs qui vont faire du palmier à huile, ou qui vont faire des grandes productions tournées vers l’exportation. Or, la cible, ce sont vraiment les petits paysans, ceux qui ont un demi-hectare, un hectare, et qui véritablement sont aujourd’hui dans des situations où ils n’ont pas d’autre choix que de déboiser pour nourrir leur famille et assurer leur avenir.

Au niveau mondial, il y a ce mécanisme REDD, qui existe maintenant depuis quinze ans, pour inciter les grands pays forestiers à éviter la déforestation et la dégradation. Mais vous l’avez dit, cette déforestation continue en Afrique centrale. Donc c’est quoi les limites de ce mécanisme ?

D’abord, c’est sa complexité. Donc de ce point de vue, ce n’est pas un mécanisme qui est véritablement très performant. Le deuxième problème, c’est que c’est un mécanisme qui ne s’intéresse pas à la qualité et à la cohérence des politiques publiques qui sont mises en œuvre. Le mécanisme, effectivement, est censé rémunérer uniquement les pays qui ont une baisse de la déforestation, par exemple, mais sans s’interroger sur d’où provient cette baisse de la déforestation.

Par exemple, d’une baisse des prix agricoles, qui fait qu’il y a moins d’incitation à déforester. À mon avis, la manière la plus intelligente de travailler serait, d’une part, d’abord un volet de l’investissement très important pour transformer les pratiques agricoles, sécuriser le foncier, trouver des sources alternatives d’énergie, par exemple… Mais également, il faudra qu’il y ait une dimension de rémunération des pays, en fonction de la qualité des politiques publiques qui ont des impacts sur les forêts.

Et pour cela, est-ce que vous croyez à une solution multilatérale dans le cadre de conférences, comme celle de la COP26 ?

Non justement. C'est-à-dire que, je crois qu’en multilatéral, on est obligé de travailler sur des consensus, on a beaucoup de mal à trouver des instruments qui rémunèrent pour la qualité des politiques publiques. Donc je pense beaucoup plus à des coalitions de bailleurs de fonds, des coalitions de partenaires...

En Afrique centrale, nous avons l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale, qu’on appelle CAFI, qui est menée par la Norvège. Mais d’autres pays : la France, l’Union européenne, font partie effectivement de cette coalition et d’autres sont en train de la rejoindre. L’idée, c'est de pouvoir, à la fois, investir dans des programmes qui sont des programmes agricoles, des programmes de maître de la démographie, des programmes d’aménagement du territoire, de sécurisation du foncier - d’une part - et qui commencent à faire des paiements aux résultats, c'est-à-dire de payer pour les politiques publiques qui sont menées.

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