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Mort de Ghislaine Dupont et Claude Verlon: «Deux priorités s'affrontent: celle de la justice et celle de l'armée»

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Le 2 novembre 2013, nos confrères de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient enlevés et assassinés lors d'un reportage à Kidal, dans le nord du Mali. Huit ans après, beaucoup de zones d’ombre demeurent, mais l'enquête judiciaire progresse, même si l’un des ravisseurs a été éliminé par l'armée française en juin 2021. Où en est la procédure ? Maître Marie Dosé, avocate de l'Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, l’une des parties civiles, répond aux questions de RFI.

Portraits de Claude Verlon et Ghislaine Dupont, lors d'une cérémonie à Abidjan, le 2 novembre 2018.
Portraits de Claude Verlon et Ghislaine Dupont, lors d'une cérémonie à Abidjan, le 2 novembre 2018. © AFP - SIA KAMBOU
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Marie-Pierre Olphand : Quelles sont les dernières avancées durant cette dernière année d’enquête ?

Maître Marie Dosé : Il s’est passé beaucoup de choses, mais beaucoup d’éléments sont couverts par le secret de l’instruction et ce serait dommageable à la manifestation de la vérité que de les révéler aujourd’hui. Des personnes ont été auditionnées, d’autres doivent l’être. Et c’est très important de respecter le secret de l’instruction à ce stade justement pour ne pas dissuader les personnes de témoigner. Donc les magistrats ont beaucoup travaillé. Je peux vous dire qu’on a récupéré les fadettes qu’on attendait quand même depuis très longtemps. Elles sont en cours d’exploitation et cela est très intéressant.

M.P.O. : Vous parlez des fadettes de Malitel, l’opérateur qui a tardé à les fournir…

Oui, c’est tout le problème dans ce dossier de la coopération internationale. C’est juste très difficile de travailler avec le Mali, d’abord parce que la justice malienne n’a pas énormément de moyens. Le magistrat instructeur malien est très courageux, très motivé, mais ne dispose pas de moyens suffisants pour aller au bout de la coopération internationale que nécessiterait une telle instruction. Mais voilà, finalement, on est arrivé à récupérer ces données et donc nous attendons avec impatience leur exploitation.

David Baché : Un autre évènement cette année, mais qui constitue cette fois plutôt un recul dans la recherche de la vérité, c’est la mort de Baye Ag Bakabo, l’homme qui dirigeait le commando qui a enlevé, puis assassiné Ghislaine Dupont et Claude Verlon…

Là, c’est terrible parce que ce sont vraiment deux priorités qui se confrontent l’une à l’autre : d’un côté la manifestation de la vérité, ça, c'est la priorité de la justice. Et puis, de l’autre, l’élimination, et ça, c'est la priorité de l’armée. J’ai été très choquée par les déclarations de Florence Parly…

Il ne faudrait pas que la ministre des Armées considère que ce type d’élimination réjouit les parties civiles

D.B. : La ministre des Armées, qui a annoncé la mort de Baye Ag Bakabo en juin 2021…

Qui l’a annoncée, s’en est réjouie, et notamment pour les parties civiles, c’est-à-dire pour les proches et pour la famille de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Sauf que c’est un drame pour les parties civiles ! Ce type d’élimination, c’est peut-être d’un point de vue symbolique une forme d’impunité, puisque jamais on ne pourra l’interroger, savoir et comprendre. Donc, il y a deux priorités qui s’opposent et qui s’affrontent : l’une, c’est la quête de vérité et l’autre, c’est l’élimination. Il ne faudrait pas que la ministre des Armées considère que ce type d’élimination réjouit les parties civiles. Ce n’est pas du tout le cas.

M.P.O. : Est-ce qu’on sait s’il y avait une volonté de l’armée française de tuer Baye Ag Bakabo ? Est-ce qu’on sait comment il a été identifié ? Comment s’est passé cet évènement ?

Cela reste très nébuleux, et il semblerait qu’il n’était pas visé. Il semblerait que ce ne soit pas lui qui ait été visé en priorité, mais qu’il se serait trouvé dans un groupe de personnes qui, elles, étaient visées, et qu’on n’avait pas connaissance de sa présence dans ce groupe de personnes. Maintenant, nous le saurons bien un jour ou l’autre. De toute façon, il y aura des demandes de déclassification pour essayer de comprendre comment tout cela s’est passé… et probablement qu’on ne les obtiendra pas ! Mais ce type de dossiers rencontre régulièrement le secret défense. Avec le temps, on parvient parfois à obtenir ce dont on a besoin. Nous verrons bien.

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D.B. : Il ne reste donc plus qu’un seul membre du commando en vie. Il reste aussi le commanditaire de l’assassinat de nos deux confrères, Seidane Ag Hitta, un bras droit d’Iyad Ag Ghali…

Oui. [Concernant] Seidane Ag Hitta, ce qui est parfait, c’est qu’il a joué un rôle prépondérant dans la libération de madame [Sophie] Pétronin en échange de celles de… 100 otages ?

D.B. : Près de 200 prisonniers. Il y avait 4 otages en échange, également, de Soumaila Cissé. C’était en octobre 2020…

Là, c’est assez compliqué parce que : qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’il est en train de travailler à sa réhabilitation, de travailler à son propre blanchiment dans son propre pays ? C’est très inquiétant, quelque part. Et cela, il faut vraiment avoir conscience que les magistrats instructeurs anti-terroristes, qui sont chargés de ces dossiers, n’ont aucune information sur tout cela ! Ils l’apprennent à l’instant T. Moi, je considère que c’est absolument scandaleux et qu’il faut essayer de comprendre exactement à quel jeu ce personnage est en train de se prêter, auprès de qui et pourquoi.

M.P.O. : L’ancien chef des services de renseignements maliens, le général Moussa Diawara, a été arrêté à Bamako le 29 juillet. C’était dans le cas d’une autre affaire, celle du journaliste Birama Touré. Est-ce que ce serait une bonne chose dans l’affaire Ghislaine Dupont et Claude Verlon qu’il soit entendu, qu’il soit questionné sur ce qui s’est passé le 2 novembre 2013 ?

Nous pensons que oui, que c’est important. Maintenant, cela ne veut pas dire que c’est possible. Il est incarcéré effectivement à Bamako depuis cet été. La coopération internationale encore une fois est compliquée. Puis, va-t-il parler ? Et en échange de quoi ? Prendre ses déclarations avec précaution et ne pas être assuré qu’il parlera. Mais en tout cas, essayer de l’entendre, nous pensons que c’est important pour la manifestation de la vérité, parce que c’est quand même celui qui était, au moment de l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, chef de la sécurité d’État au Mali. Et il a été évidemment destinataire d’informations forcément importantes pour la manifestation de la vérité. Donc, oui. Il faut essayer de l’entendre.

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