Invité Afrique

Catherine Coquery-Vidrovitch: «Le racisme, c’est le mal absolu, or il est sous-jacent partout»

Publié le :

C'est un livre à la première personne du singulier que vient de signer Catherine Coquery-Vidrovitch. Dans Le choix de l'Afrique, cette chercheuse pionnière de l'histoire africaine raconte son parcours, ses combats et sa lutte constante contre le racisme. Quand elle a commencé la recherche, il a notamment fallu aller contre certaines idées reçues héritées de plusieurs décennies de savoir colonial. Catherine Coquery-Vidrovitch est notre invitée.

Couverture du livre «Le choix de l'Afrique».
Couverture du livre «Le choix de l'Afrique». © Edition La découverte
Publicité

RFI : Dans le choix de l’Afrique, on découvre tout d’abord votre enfance, celle d’une petite fille juive pendant la Seconde Guerre mondiale. Comment est-ce que cette enfance a contribué à vous amener à l’histoire africaine ?

Catherine Coquery-Vidrovitch : J’étais vraiment enfant -j’avais entre 4 et 9 ans- mais ce qui m’a guidée profondément, toujours, c’est la sensibilité à ce scandale épouvantable qu’est le racisme… racisme que j’ai connu, bien entendu. J’avais une copine, en venant de classe, qui me disait : « Tu sais, les juifs, on les reconnaît à l’odeur, tellement ils sentent mauvais ». Et moi, je lui disais : « Raconte-moi quelle odeur ils ont, pour que je puisse les reconnaître », alors que je l’étais... Et je me suis dit : c’est pareil. En réalité, les Africains, dans la colonisation, ils ont été occupés, comme nous, nous avons été occupés. Nous avons été occupés par les nazis et les Africains ont été occupés par les colonisateurs. C’est à dire qu’ils n’avaient pas de pouvoir, ils n’étaient pas reconnus… Ce n’était plus leur pays. Et je me suis sentie un peu en sympathie avec tous ces gens qui avaient été colonisés, comme moi j’avais été méconnue dans mon enfance… toute petite, mais très consciente de l’être.

Quels étaient les préjugés qui existaient sur l’Afrique dans le milieu universitaire, quand vous avez commencé à la recherche ?

J’ai beaucoup entendu : l’histoire de l’Afrique cela n’existe pas. C’était absurde. Les Africains avaient vécu leur histoire, cette histoire n’avait pas été écrite, mais elle était dite. On s’en souvenait… Et c’était fascinant d’essayer de reconstituer et de comprendre tout ce qui avait été tellement méconnu, en particulier par les chercheurs français. Et cela aussi me plaisait beaucoup, le fait de ne pas avoir été tout à fait comme les autres faisait que je n’avais pas envie de faire comme les autres.

Vous faites votre premier terrain en Afrique subsaharienne en 1965. On est frappé, à vous lire, par le comportement des fonctionnaires français et même des chercheurs que vous rencontrez sur place.

Absolument. Kwame Nkrumah, qui était le président du Ghana à cette époque, avait défini ce que c’était. Il appelait cela le néocolonialisme. Effectivement, c’était des néocoloniaux. Quelquefois, je me pinçais en me disant : mais nous sommes en 1880 ou nous sommes en 1965, cinq ans après l’indépendance ? C’est à dire que cela dépendait -je pense- du pays. C’était moins visible au Sénégal. Mais au Gabon et en Côte d’Ivoire, où je suis allée aussi à cette époque, c’était un racisme naturel qui s’exprimait dans le langage et qui ne cherchait même pas à se cacher… Pas pour tout le monde, bien entendu. Mais disons que la majorité des civils, des fonctionnaires, des politiques -y compris chez les chercheurs d’ailleurs- m’avaient vraiment surpris par des réflexes hérités et souvent inconscients, de gens par ailleurs tout à fait généreux.

La France elle-même, a des difficultés à se débarrasser de ces vieux oripeaux coloniaux. Vous indiquez dans votre ouvrage, qu’au début des années 2000, on a encore, dans les milieux intellectuels et médiatiques dominants, une tendance à prendre la défense de la colonisation…

Ah oui, bien sûr ! Au début du XXIe siècle, vous aviez encore beaucoup d’historiens de l’époque coloniale et spécialisés en histoire de la colonisation, qui pensaient qu’il fallait plutôt être très discret, sinon silencieux, sur tout ce qui n’était pas honorable pour l’histoire française. Or, le point de vue de l’historien ce n’est pas un point de vue moral. L’historien essaie de comprendre pourquoi tout ceci a eu lieu. Que ce soit bien ou mal, on met cette question-là de côté. On a son avis, bien entendu.

On assiste à la montée d’un sentiment anti-français dans plusieurs pays du continent. Quelle lecture faites-vous de ce mouvement de rejet, à la lumière de ce que vous avez observé du continent, ces dernières années ?

Le sentiment anti-français, vous pouvez avoir d’un côté une méconnaissance de l’histoire, justement, qui va tendre à dire que tout est la faute de la colonisation. Beaucoup de choses sont la faute de la colonisation. L’héritage colonial est un héritage complexe. Seulement, tout ne résulte pas de la colonisation. C’est une réponse insuffisante. Il y a aussi, dans le sentiment anti-français, des parts objectives réelles. D’abord, les maladresses de la diplomatie française et de la politique française. Jusqu’à très récemment, la politique française a été une politique de type France-Afrique néocoloniale, avec une pointe de mépris sur les partenaires. Et donc ils réagissent violemment. Donc des deux côtés, cela repose sur une absence de connaissance. Le racisme c’est le mal absolu. Or, le racisme est sous-jacent partout. Il est sous-jacent du côté occidental, pratiquement toujours… Y compris dans les initiatives politiques les plus louables. Il y a quand même l’idée de dire : nous on va montrer qu’on est meilleurs. Nous, on est plus intelligents, nous on est Européens, etc. Et puis il existe aussi, bien sûr, du côté africain, tout pareil, mais dans l’autre sens. C’est contre cela qu’il faut lutter.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI