Madagascar: «Nul ne s’était préparé à cette irruption du Capsat dans la donne»
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À Madagascar, après quinze jours de manifestations réprimées par la force et qui ont fait au moins 22 morts, ce week-end a marqué un tournant, riche en rebondissement. Pour la toute première fois, le mouvement Gen Z – à l’origine des revendications pour un accès à l’eau et l’électricité – a obtenu le soutien d’une partie de l’armée, le Capsat. Pour en parler, Ketakandriana Rafitoson, vice-présidente mondiale de Transparency international, enseignante chercheuse en sciences politiques à l’université catholique de Madagascar répond aux questions de RFI.

RFI : Ce matin à Madagascar, on a donc une unité de l'armée qui est stratégique, le Capsat, qui a déjà joué un rôle lors du putsch de 2009, et qui est aux côtés des manifestants malgaches depuis samedi. Cette unité semble prendre le dessus. « Pas un coup d'État », nous a dit celui qui en porte la parole, le colonel Randrianirina, mais un coup de force quand même au sein de l'armée malgache ?
Ketakandriana Rafitoson : Tout à fait. Ça a été quelque peu une surprise qui a pris tout le monde de court, je pense, le samedi matin, lorsqu'ils ont déclaré vouloir répondre à l'appel du peuple et puis qu'ils ont rejoint les manifestants, les ont amenés, encadrés jusqu'à la place du 13-Mai. C'est en effet quelque chose d'assez surprenant puisqu’on a vu le déploiement de forces de la gendarmerie depuis le début des manifestations, le 25 septembre dernier, et puis le déploiement surtout de la violence et de la force. Mais nul ne s'était préparé à cette irruption du Capsat dans la donne, si vous voulez.
Et donc tout est allé très vite, parce qu'au début, la gendarmerie a combattu, a tiré sur le Capsat dans un premier temps, samedi matin. Et finalement, 24h plus tard, un peu plus, le ministre de la Défense valide en quelque sorte le nouveau chef d'état-major qui est imposé, presque, on peut dire, par le Capsat ?
C'est ça. Et c'est ce qui est surprenant dans cette histoire et interroge sur ce qui se passe réellement, parce que c'est surprenant. Après, dans l'historique, l'histoire de Madagascar, les mouvements populaires, les soulèvements aussi, il y a toujours eu un rôle joué par l'armée. Donc, aujourd'hui, on se réveille en ce lundi matin en se posant des questions, en se disant : quelles seront les étapes qui vont venir suite à cette recomposition et cette unification de l'armée ? Quel rôle joue l'armée ?
Pour vous, l’armée est unifiée ce matin ? L'ensemble des corps, des forces de sécurité, la police, la gendarmerie, toute l'armée, un n'est pas encore sûr ?
On n'en est pas encore complètement sûr, mais en tout cas, c'est cette bénédiction, presque, si vous voulez, qui a été donnée par le ministre de la Défense nationale, qui venait d'être nommé la semaine dernière par le nouveau Premier ministre, qui est lui-même issu de l'armée aussi. C'est ce qui surprend un peu, parce que, dans ce climat de tension aussi, on se serait attendu à ce que le ministre nommé se dise : « Non, il n'est pas question de passer le pouvoir à Démosthène Pikulas ». Et donc là, nous nous posons des questions.
Il y a donc des inquiétudes, des questions : quel va être le rôle de l'armée, puisque semble-t-il, tout se joue pour l'instant au sein de l'armée ? On a aussi vu des responsables politiques sur la place du 13-Mai, l'ancien président renversé, justement, Marc Ravalomanana. Certains manifestants sur RFI disent leur inquiétude par rapport à ça, une forme de récupération. Qu'est-ce que vous en pensez ?
C'est le gros souci qui se présentait depuis le début même de ce mouvement mené par les jeunes de la génération Z. C'est la récupération politique peut-être évitable ou inévitable, on verra bien. Mais on met en avant souvent la jeunesse des manifestants, leur manque d'expérience politique et leur organisation horizontale. C'est-à-dire qu'ils n'ont pas de leaders avérés. C'est un choix qu'ils ont fait et que je trouve personnellement courageux. Mais là, maintenant, nous sommes dans un moment stratégique, si vous voulez, où le mouvement doit se structurer politiquement justement pour ne pas se laisser phagocyter, je dirais, par ses intérêts politiques.
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