Martin Ziguélé (RCA): «le dialogue sans les groupes armés, est une chose complètement vide de sens»
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L'ancien Premier ministre centrafricain et aujourd'hui opposant, Martin Ziguélé, est l'invité Afrique. De passage à Paris, il s'est exprimé sur plusieurs questions de l'heure du pays. Martin Ziguelé pose notamment les conditions pour que l'opposition revienne à la table du dialogue, qu'elle a claquée récemment. Martin Ziguélé estime également qu'un dialogue sans les groupes armés ne sert à rien.
RFI : Dans un premier temps opposant, vous avez ensuite soutenu le président Touadera. Aujourd’hui, vous vous retrouvez encore une fois dans son opposition ferme. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Martin Ziguélé : Le parti qui m’a présenté aux élections présidentielles, le MLPC - aux élections de 2015 nous n’étions pas au second tour - le parti a décidé de soutenir le candidat qui pouvait donner de l’espérance à notre population. Et nous avons donc signé un accord politique pour soutenir le candidat indépendant, à l’époque Touadéra, qui était en deuxième position. Il a gagné, après avoir respecté en toute loyauté nos engagements. Nous nous sommes présentés aux élections de 2020. Il n’y a aucune contradiction à cela.
Depuis, il y a une demande de levée d’immunité par le président de l’Assemblée nationale. Qu’est-ce qu’on vous reproche ?
Lorsque j’ai su par hasard, à l’occasion d’une invitation à l’investiture du président Mohamed Bazoum du Niger, que j’étais interdit de sortie, mon avocat a demandé la production du dossier. Il n’y avait aucun dossier ! C’est de la provocation pure et simple ! L’objectif, c’est de nous décrédibiliser devant l’opinion !
Cette demande de levée d’immunité vous a conduit à vous retirer du processus de dialogue. Maintenant que l’Assemblée nationale a retiré sa circulaire pour votre levée d’immunité, est-ce que cela veut dire que vous allez revenir dans ce dialogue ?
La première étape, c’est qu’il faut qu’on règle cette affaire. Il faut qu’il soit mis fin à cette chasse aux sorcières ! Et une fois que cette étape sera remplie, nous devons nous asseoir avec le pouvoir pour que nous puissions discuter des conditions du retour de l’opposition, dans son ensemble, dans le comité préparatoire et dans le processus de dialogue. Parce que c’est le pouvoir lui-même qui a sorti cette provocation !
Le dialogue, aujourd’hui, tel qu’il est conçu, c’est-à-dire sans les groupes armés, qu’en pensez-vous ?
Mais je pense que c’est quelque chose de complètement vide de sens ! Qui crée l’insécurité dans le pays ? A qui le président a déclaré la guerre ? Aux groupes armés ! Quelle est la condition de la paix ? Que les groupes armés acceptent de rentrer dans le processus de paix et de déposer les armes ! Donc il faut qu’il y ait un dialogue inclusif ! Ce qui est important, c’est que chacun d’entre nous doit comprendre que l’objectif de ce dialogue - ce que la population attend - c’est que demain il n’y ait plus de coups de feu dans le pays. Deuxième objectif de dialogue : il s’agit de remettre un pays debout ! Cinq millions d’habitants, dont plus de la moitié ont besoin d’une assistance pour vivre quotidiennement ! Ce sont les statistiques du PNUD et de la Banque mondiale ! Ce sont des défis qui ne nous autorisent pas à nous laisser aller dans cette forme d’irresponsabilité et de déni de réalité.
Aujourd’hui, les relations entre la Centrafrique et son allié traditionnel français sont au plus mal depuis le recours à Wagner. Qu’en pensez-vous ?
Notre pays doit avoir des relations d’État à État avec tous les pays qui souhaitent nous aider, avec qui nous pouvons coopérer conformément aux pratiques et aux usages diplomatiques reconnus, parce que nous faisons partie du monde. Mais nous ne pouvons pas accepter que notre pays se permette d’avoir un accord écrit ou tacite avec des mercenaires, notamment ceux du groupe Wagner, et qui commettent des exactions qui sont reconnues d’ailleurs par les autorités, qui font l’objet de rapports et tout… Et qui risquent d’être la cause d’autres problèmes !
Les relations sont également tendues avec la Minusca, si on s’en tient à l’incident qui a eu lieu la semaine passée avec les Casques bleus égyptiens devant la présidence centrafricaine. Quelle est votre réaction ?
N’oublions pas le rôle que la Minusca a joué et continue de jouer pour notre pays ! Y compris dans la protection des personnalités ! S’il y a un incident, confions l’affaire à la justice ! A quoi ça sert de créer une atmosphère délétère, de s’en prendre aux gens violemment ? Est-ce que nous voulons tous réellement la paix ? C’est la question que je me pose…
Il y a aussi des problèmes financiers qui seraient dus à ces mauvaises relations avec la Communauté internationale. Vous avez entendu parler, notamment des difficultés de fin de mois. Qu’est-ce que vous en pensez ?
En 2015, quand le président Touadéra a été élu, lorsque j’ai vu l’élan, l’engouement de la Communauté internationale, en 2016, pour mettre en place un « trade fund » (un fond de soutien) pour aider la RCA, j’ai pleuré de joie ! Et par nos propres actions ! Nous avons détricoté toute cette solidarité en moins de cinq ans ! Et aujourd’hui, nous nous retrouvons « Gros-Jean comme devant » ! Nous voulons être appuyés pour faire face aux défis réels d’un pays qui est avant-dernier, en matière de classement à l’indice de développent humain. Et en même temps, nous insultons les mains qui nous donnent !
Vous l’avez évoqué, vous avez eu des difficultés à quitter Bangui il y a quelque temps, il y a un peu plus d’un mois… Est-ce que vous allez y retourner et pourquoi faire ?
Mais je suis venu de Bangui avec un ordre de mission officiel de l’Assemblée nationale pour la réunion de Saint ‘Egidio, pour préparer, justement, le dialogue. Et comme je ne suis pas arrivé… En France - depuis trois ans, je n’ai pas vu mon médecin - je suis en train de faire un parcours d’examens médicaux et à la fin de ce mois, je vais rentrer au pays. J’ai entendu des rumeurs selon lesquelles j’aurais fui le pays. Pourquoi j’aurais fui le pays ? Ou bien c’est le souhait de ceux qui ont instrumentalisé toute cette cabale. C’est, de voir que je puisse dire : « Oui, j’ai fui le pays ». Non ! Je ne fuirai jamais mon pays. Que ce soit en prison, que ce soit dans la tombe… Je serai… Au pays !
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