Congo Hold-up: «Il faut changer le système en RDC pour empêcher que cela se reproduise»
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Avec plus de 3,5 millions de documents bancaires analysés pendant 9 mois par 5 ONG et 19 médias internationaux, dont RFI, Congo Hold-up est la plus importante fuite de données bancaires jamais réalisée en Afrique. Elle montre que, de 2013 à 2019, des sociétés appartenant à l’ancien président congolais Joseph Kabila et à son premier cercle, ont reçu au moins 138 millions de dollars d’argent public. Depuis vendredi 19 novembre 2021 et durant deux semaines, RFI vous dévoile tous les secrets de ces transferts douteux. Ce lundi, nous nous arrêtons sur une société boîte aux lettres, la compagnie congolaise Sud Oil – qui est au cœur de tous ces mouvements financiers. Décryptage par Jason Stearns, le directeur du GEC, le Groupe d’étude sur le Congo, à l’Université de New York.
RFI : Dans l’enquête sur les détournements de fonds publics au Congo-Kinshasa, vous vous êtes intéressé tout particulièrement à la société congolaise Sud Oil, c’est cela ?
Jason Stearns : Oui, c’est cela. En 2013, les propriétaires de cette société la vendent à deux membres de la famille de Joseph Kabila, sa sœur Gloria Mteyu et sa belle-sœur Aneth Lutale.
Et à partir de 2013, il y a donc à la tête de cette société un homme-clé, Francis Selemani Mtwale. Ce monsieur, les Congolais le connaissent bien puisqu’il est aussi à l'époque le directeur général de la banque BGFI Kinshasa, et il n’est autre que le frère adoptif de l’ancien président Joseph Kabila…
Exactement, et c’est cette relation entre Sud Oil et BGFI qui est clé. Donc la BGFI est établie à Kinshasa en 2010, et 40% de cette banque appartient à la sœur [de Kabila] Gloria Mteyu et le directeur est donc Francis Selemani. C’est à partir de 2013 qu’on constate, dans les comptes de Sud Oil à BGFI, des transferts douteux. Et à partir de là, jusqu’à 2019, on constate 85 millions de dollars d’argent des agences et institutions publiques qui arrivent dans les comptes de Sud Oil à BGFI.
Et d’où viennent ces quelque 85 millions de dollars ?
Cet argent provient directement de la Banque centrale du Congo, mais aussi de la Commission électorale, de l’Assemblée nationale, de la société chargée de la gestion des ports, donc de plusieurs institutions congolaises.
Vous dites par exemple que le 29 septembre 2016, un versement de 30 millions de dollars est fait depuis la Banque centrale à la société Sud Oil via la BGFI. Est-ce que vous avez la preuve de ce versement ?
Oui, il s’agit des analyses de 3,5 millions de documents et de millions de transactions qu’on a obtenus à travers une ONG qui s’appelle Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique [PPLAAF]. C’est une fuite qu’on a reçue et ces fuites donnent des preuves documentaires de toutes les allégations qu’on fait dans nos investigations.
Parmi les hommes-clé, il y a donc Francis Selemani Mtwale qui contrôle la société Sud Oil. Et puis bien sûr, le gouverneur de la Banque centrale Deogratias Mutombo. Est-ce que vous avez contacté ces deux personnalités ?
On a essayé de contacter toutes les personnes qu’on a citées dans le rapport, y compris les personnes que vous citez. Malheureusement, on n’a pas reçu de réponses de la plupart. Il y a quelques personnes qui ont répondu, mais dans leurs réponses, elles ont juste nié les faits. La plupart de tous les hommes-clé et des membres de la famille présidentielle n’ont pas répondu.
La Banque centrale, l’Assemblée nationale, la Gécamines… Est-ce qu’on peut dire que ces institutions paient en réalité une sorte de taxe qui ne dit pas son nom ?
C’est possible. Pour nous, ce qui est évident, c’est qu’il y a un possible détournement d’argent.
Et au bout de la chaîne, vous dites qu’il y a de gros retraits d’argent en liquide. Peut-on parler de Sud Oil comme d’une cash machine ?
Oui, le gérant de Sud Oil, David Ezekiel, qui est un partenaire de la famille présidentielle de Joseph Kabila, tire plus de 50 millions de dollars en espèces pendant cette période de 2013 à 2019.
Et au total, quel est le montant d’argent public qui a pu être détourné au profit de l’ancien président Kabila et de son premier cercle ?
Si on prend toutes les sociétés ensemble dans ce réseau de la famille présidentielle, il s’agit de 138 millions de dollars.
Mais, ce que vous craignez en fait, c’est que ce type de pratique ne se répète de président à président…
Oui, exactement. Le problème pour nous, c’est que le système n’a pas changé… dans le sens où les institutions qui sont chargées en principe de veiller à ce que ce genre de pratiques ne se fassent pas n’a pas été renforcé. Il y a l’Inspection générale des finances (IGF) qui est de plus en plus active, cela est vrai. Mais, il y a les autres institutions : la Cour des comptes, la Cénaref qui est cette Cellule nationale des renseignements financiers, et la Banque centrale pour réguler les banques. Et on ne voit pas un grand changement dans le comportement de ces institutions. Donc oui, il faut cibler la famille présidentielle, mais il faut surtout changer le système pour empêcher que cela puisse se faire dans l’avenir.
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