Invité Afrique

Adamou Foumakoye Gado, médecin: il faut «des centres de réponse aux grandes épidémies»

Publié le :

Lors du congrès des anesthésistes réanimateurs urgentistes d’Afrique francophone, qui s’est déroulé à Dakar fin novembre, la profession a tenté de déterminer comment établir les priorités de l’accès aux soins critiques, dans un contexte de pandémie. Notre invité, ce matin est Adamou Foumakoye Gado, médecin anesthésiste réanimateur, en poste à l’hôpital général de référence de Niamey, au Niger. Il répond aux questions de Théa Ollivier. 

Vue de l'hôpital de référence de Niamey, au Niger, où exerce le docteur Adamou Foumakoye Gado. Selon lui, la mise en place de grands centres d'accueil et de traitement en cas d'épidémies permettrait aux hôpitaux de continuer à accueillir les patients du quotidien.
Vue de l'hôpital de référence de Niamey, au Niger, où exerce le docteur Adamou Foumakoye Gado. Selon lui, la mise en place de grands centres d'accueil et de traitement en cas d'épidémies permettrait aux hôpitaux de continuer à accueillir les patients du quotidien. © Hama Boureima/AFP
Publicité

Quelles sont les pathologies qui ont tendance à être négligées, où il y a eu un recul de la prise en charge ?

Adamou Foumakoye Gado : C’est d’abord tout ce qui est pathologie respiratoire chronique. Les patients asthmatiques, les patients qui ont été opérés des poumons, tous les patients qui ont de l’insuffisance cardiaque et toutes ces choses, ce sont des patients qui ont tendance à être négligés, et les patients diabétiques.

Quel est l’impact du Covid-19 sur le comportement des patients et comment les convaincre à continuer de venir se faire soigner ?

La première année, les patients ne venaient pas parce qu’ils avaient peur d’être contaminés. Et ils ne venaient pas aussi à cause de la stigmatisation. Je vais vous citer l’exemple du Niger, à l’hôpital général de référence : à un moment de la pleine crise, il y avait moins de dix personnes qui osaient venir à l’hôpital alors qu’avant la crise, il pouvait y avoir 200, 300 consultations dans la journée. Pour vous dire, à quel point les gens ne voulaient plus venir à l’hôpital. [Il y a eu] plusieurs campagnes de communication à la télé, à la radio pour expliquer aux gens que l’hôpital a été scindé en deux, qu’on a défini des circuits, qu’il n’y avait aucun risque de se faire contaminer et les gens ont commencé à revenir petit à petit. Mais, on n’est pas encore à la fréquentation d’avant. On est toujours, disons, à 50, 60% de fréquentation de l’hôpital. Les patients qui ont des pathologies chroniques et qui ne viennent plus à l’hôpital pour se faire suivre, ça les complique et ça nous rend la tâche beaucoup plus difficile. Et ça fait en sorte que finalement, lorsqu’ils se décident à venir à l’hôpital, ils ont besoin de lits, de soins intensifs, et ces lits sont malheureusement, soit occupés par des patients Covid graves, soit, si jamais vous avez un Covid grave qui arrive, on veut se les réserver.

Justement pour le personnel de santé, comment établir les priorités ?

C’est très difficile parce qu’une vie, c’est une vie. Donc, ce que nous essayons de faire, c’est de considérer tous les patients avec les mêmes degrés de priorité et on fait notre tri sans tenir compte du caractère Covid. C’est le protocole que nous avons mis en place au Niger dans notre hôpital et, de par le Congrès d’où nous venons de sortir, c’est pratiquement ce que fait tout le monde.

Les médecins urgentistes et les anesthésistes réanimateurs sont en première ligne de la lutte contre le coronavirus, contre le Covid-19. Quels sont les défis pour les soignants justement, pour s’adapter à cette charge de travail supplémentaire ?

Cela a montré vraiment qu’il est nécessaire dans tous les pays d’avoir quand même un gros pool de ces spécialistes-là et on a essayé de se réorganiser. D’abord, on a essayé de concentrer toutes ces spécialités. Malheureusement, cela n’a pas été vraiment possible très longtemps, parce que les autres structures qui continuent à fonctionner normalement reçoivent un afflux chez elles et donc ont besoin de ces mêmes profils-là pour gérer leurs urgences, pour gérer les interventions chirurgicales qui n’ont rien à voir avec le Covid. On n’est pas du tout assez nombreux. Je vous donne l’exemple du Niger : on est 21 médecins anesthésistes réanimateurs pour un peu plus de 23 millions d’habitants. Lorsqu’on a une surcharge de travail, on prend de plus en plus de risques. On a eu énormément de collègues qui, au bout d’un certain temps, ont fini par attraper le Covid-19.

Et comment on se réorganise alors ?

En réa, voilà ce qu’on fait : au début, on réduit le programme opératoire pour pouvoir récupérer les médecins anesthésistes qui s’occupaient normalement du bloc opératoire. Cela nous fait déjà quand même une bonne bouffée d’oxygène et de la main d’œuvre de qualité. Si cela ne va pas, on arrête ces programmes opératoires. Et nous l’avons fait pendant près de 8 mois où nous avons arrêté toutes les interventions chirurgicales non urgentes. Et lorsque vous êtes en insuffisance, en déficit de ressources humaines, vous n’avez pas le choix.

Et quelles sont les solutions alors pour améliorer la prise en charge ?

Il va de soi qu’il faut former. Mais la formation diplômante de spécialiste rend du temps et le Covid ne va pas nous attendre. Donc, c’est vraiment la formation accélérée, le renforcement des capacités, c’est ça actuellement qui peut nous aider, ainsi que le rappel des réservistes. Mais maintenant, cela ne sera pas suffisant. Il va falloir que l’on puisse avoir des centres de réponse aux grandes épidémies. J’imagine par exemple des très grands complexes qui seront le lieu d’accueil de prédilection en cas de grandes catastrophes, en cas d’afflux massif de blessés, en cas d’épidémie ou de pandémie. Cela pourrait permettre qu’à chaque fois, la réponse sanitaire se fasse au niveau de ces centres en laissant les hôpitaux continuer à fonctionner comme ils le faisaient avant. De cette façon, on fait très facilement le distinguo entre la prise en charge des pathologies communes au quotidien et la prise en charge des catastrophes.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes