Akram Belkaïd, éditorialiste décrypte la crise franco-algérienne
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Entre la France et l'Algérie, est-ce que la crise est terminée ? La visite surprise du ministre français Jean-Yves Le Drian à Alger, le 8 décembre dernier, peut le laisser croire. Mais ce n'est pas si simple. La preuve, les avions militaires français sont toujours interdits de survol au-dessus du territoire algérien. Paris et Alger peuvent-ils au moins se retrouver sur la question des mercenaires russes de Wagner au Mali ? Akram Belkaïd, éditorialiste au Monde diplomatique et au Quotidien d'Oran, est notre invité.
RFI : Est-ce que l’on peut parler de réconciliation après la visite de Jean-Yves Le Drian à Alger ?
Akram Belkaïd : Est-ce qu’on pouvait parler de dispute définitive ? Plutôt non. Je pense qu’effectivement, oui, c’est une réconciliation, mais cela fait partie du cycle classique des brouilles passagères, des réconciliations entre les deux pays.
Oui, mais tout de même, ces dernières semaines, les Algériens étaient en colère après les propos d’Emmanuel Macron qui semblait remettre en question l’identité de la nation algérienne.
Oui, c’est vrai que la réaction a pu paraître très vigoureuse et elle a été en même temps très relayée par les réseaux sociaux, ce qui est nouveau dans le paysage entre les deux pays. Mais si on se penche sur l’historique entre les deux pays, on voit qu’à chaque fois on a eu des crises où on pensait que la ligne rouge avait été franchie. Donc il s’agit de relativiser aussi l’importance de ce qu’a été cette brouille déclenchée, encore une fois, par plusieurs facteurs. Notamment les déclarations du président Macron, mais pas simplement. Il y a tout un contexte aujourd’hui de contentieux entre les deux pays, contentieux mémoriel, mais aussi contentieux géostratégique lié en grande partie à la question du Maroc et du Sahara occidental. Et tout cela a fait qu’effectivement à l’automne dernier, on a eu cette tension franco-algérienne.
Alors sur le contentieux mémoriel, la France décide d’ouvrir avec 15 ans d’avance ses archives judiciaires sur la guerre d’Algérie. Quelles sont les zones d’ombre qui restent aujourd’hui à éclairer ?
Il y en a encore beaucoup, je crois que, par exemple, les dossiers individuels de tous les soldats ou de toutes les personnes qui ont été concernés de près ou de loin par la guerre d’Algérie sont encore inaccessibles ou, en tout cas, pour ceux qui sont vivants. Il y a aussi toute la question des archives saisies entre la période 60 et 62, que l’Algérie réclame et dont on ne sait pas où elles sont exactement, mais qui pourraient aussi donner leur lot de révélations. Bien entendu, de l’autre côté de la Méditerranée, il y a toutes les archives détenues par le Front de libération national, le FLN, détenues aussi par l’Organisation des anciens moudjahidines, par le ministère des Anciens moudjahidines. Il y a tout un lot d’archives auquel les chercheurs algériens revendiquent un accès en toute transparence.
Autre point qui fâche : en septembre dernier, la France a réduit de moitié le nombre de visas octroyés aux Algériens et ceci en réaction à la mauvaise volonté de l’Algérie de récupérer ses ressortissants en situation irrégulière en France. Est-ce que les Algériens peuvent profiter de ce début de réconciliation pour essayer de faire plier la France sur cette question des visas ?
L’affaire est compliquée parce que, là aussi, on n’a pas du tout le même discours des deux côtés de la Méditerranée. Côté algérien, on réfute totalement le fait d’avoir refusé de récupérer des clandestins algériens et on insiste sur le fait que ce sont souvent des êtres humains qui n’ont plus de papiers, qui se sont débarrassé de leurs papiers, dont il est difficile d’identifier la nationalité, et donc il serait hors de question de les rapatrier s'ils ne se déclarent pas eux-mêmes en tant qu’algérien. Il y a beaucoup de mauvaise foi, il y a beaucoup de discussions autour de ce sujet et ça prend en otage la question des visas. Rappelons que la circulation entre l’Algérie et la France est une des plus importantes du bassin méditerranéen et qu’elle est aussi souvent d’ordre touristique, économique et que les perdants sont des deux côtés de la Méditerranée.
Depuis quelques mois, l’Algérie entretient des relations exécrables avec le Maroc. Est-ce que cela peut compliquer encore plus les relations entre l’Algérie et la France ?
C’est effectivement une question fondamentale dans la mesure où l’un des reproches que l’Algérie fait régulièrement à la France, au-delà des autres dossiers bilatéraux, c’est le fait que Paris s’est toujours systématiquement aligné au côté du Maroc en ce qui concerne la question du Sahara occidental. Donc, la position française est très malaisée parce qu’elle ne peut pas apparaitre en tant qu’acteur neutre susceptible de ramener les deux pays à la raison. Et d’ailleurs, on le voit bien dans le discours qui circule à Alger, la mise en cause du Maroc s’accompagne souvent de la mise en cause de la France et bien entendu d’Israël, qui est aujourd’hui le nouvel élément, je dirai, supplémentaire dans la tension entre l’Algérie et le Maroc.
Mais est-ce que l’Algérie peut se payer le luxe d’être fâchée à la fois avec le Maroc et avec la France pendant très longtemps ?
Effectivement, ça ne peut pas durer très longtemps, mais ça peut durer dans la mesure où l’Algérie a suffisamment de ressources et de partenaires autres pour tenir. Et cela va même dans le sens, je dirai, d’une espèce de splendide isolement, qui permet de dénoncer un complot extérieur, de dénoncer des manœuvres extérieures. Et pour le régime, c’est à court terme un bénéfice certain. L’Algérie a des contrats avec l’Europe, des contrats gaziers, bien entendu, mais ses partenaires sont aussi chinois, turcs, russes, et avec eux il n’y a aucun problème de relations bilatérales. C’est ce qui donne aussi à l’Algérie une espèce d’assise et de confiance par rapport à la suite.
Selon Africa Intelligence, les deux présidents, Tebboune et Macron, se sont parlés fin novembre au téléphone. Il y a donc une vraie décrispation, mais l’Algérie interdit toujours le survol de son territoire aux avions militaires français qui veulent ravitailler le dispositif Barkhane au Mali. Est-ce que cela ne reste pas une pierre d’achoppement ?
La décision algérienne d’autoriser ce survol en 2012, si mes souvenirs sont bons, avait surpris beaucoup de monde, c’est quand même une rupture assez importante dans la manière de voir le monde par l'Algérie, dans la manière de voir ses relations avec la France. Autoriser des avions militaires à survoler le territoire algérien, c’était tout de même une nouveauté. Et effectivement, cette suspension prend à la fois des allures de représailles à l’égard de la France, dans la crise actuelle, mais aussi de retour vers une position plus, je dirai, conservatrice, qui rencontre l’adhésion d’une bonne partie de l’appareil politico-militaire qui est au pouvoir en Algérie. Donc, je pense que c’est aussi une question de politique intérieure algérienne.
Donc la mesure risque de durer en fait...
En tous les cas, elle fait partie de ces éléments qu'Alger veut bien négocier, mais ça se fera dans le cadre d’un donnant-donnant. C’est-à-dire que les reproches, à l’époque, qui avaient été adressés à Abdelziz Bouteflika, alors président, ça avait été d’avoir accepté ce survol sans grande contrepartie, je dirai, soit économique, soit politique, soit géopolitique.
L’arrivée possible des mercenaires russes de Wagner au nord du Mali, est-ce que c’est un sujet sur lequel l’Algérie et la France peuvent être en désaccord ou au contraire en accord ?
Je pense que cela va être une position assez mitigée côté algérien. Certes, ce sont des gens de nationalité russe, donc venant d’un pays avec lequel l’Algérie a des relations notamment de défense militaire. Je rappelle que la Russie est le premier fournisseur d’armement à l’Algérie. Néanmoins, en Algérie et à Alger plus exactement, au niveau du pouvoir, on n’aime guère savoir qu’il y a des éléments étrangers armés sur le sol des pays voisins, que ce soit en Libye ou que ce soit au Mali. Donc, je pense que côté algérien, il y a déjà des pressions sur le Mali pour que cette option ne soit pas prise. Par ailleurs, côté algérien, sans vraiment l’encourager, sans vraiment inciter à cela, on regarde avec beaucoup d’attention les déboires français actuellement au Mali, mais aussi au Burkina Faso, dans tout le Sahel, et ce sentiment d’impopularité auquel la France fait face depuis plusieurs mois.
C’est-à-dire que les Algériens se frottent les mains en voyant les difficultés que rencontrent les Français au Sahel ?
Je ne dirai pas qu’ils se frottent les mains, mais pour eux c’est un élément de plus dans la situation régionale qui pourrait inciter la France à considérer l’Algérie comme étant un allié potentiel, et donc à négocier sérieusement avec elle un vrai partenariat dans la région, et donc in fine à faire des concessions à la fois politique, économique, à l’Algérie, ce qui implique un recentrage potentiel de la France dans la région.
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