Le grand invité Afrique

Dr Ibrahima Traoré (Mali): «le président IBK pensait que tout le monde était forgé à son image, ça lui a joué des tours»

Publié le :

Ce vendredi 21 janvier, l'ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta, décédé dimanche dernier à son domicile de Bamako, à l'âge de 76 ans, est inhumé. Est-il vrai qu'il ne voulait pas se représenter en 2018 ? Pourquoi avait-il parfois des querelles avec son homologue français Emmanuel Macron ? Pourquoi n'a t-il opposé aucune résistance aux militaires qui l'ont renversé en 2020 ? Le médecin chirurgien Ibrahima Traoré a été son directeur de cabinet pendant cinq ans, de 2015 à 2020. Il nous livre quelques uns des secrets du palais de Koulouba.

L'ex-président malien Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, décédé le dimanche 16 janvier 2022 à Bamako. (Illustration)
L'ex-président malien Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, décédé le dimanche 16 janvier 2022 à Bamako. (Illustration) Pierre Rene-Worms/RFI
Publicité

RFI : Qui était l’homme Ibrahim Boubacar Keïta ?

Ibrahima Traoré : Le président IBK était un homme bon, honnête, patriote, républicain… Il aimait le genre humain, au point de ne pas pouvoir faire de reproches aux gens auxquels il avait confié une mission, quand celle-ci n’avait pas été bien exécutée.

Il était chaleureux…

Il était chaleureux. Il était capable de donner tout ce qu’il avait à son prochain et de tomber lui-même dans le besoin. Il a toujours été comme ça ! C’est quelqu’un qui m’a connu au berceau, donc je le connais bien.

Oui, parce que je crois que vous êtes proche par son épouse, c’est cela ?

Exactement. Son épouse est ma cousine.

Jusqu’à son élection du mois d’août 2013, c’était un homme de bon sens, mais est-ce que la cérémonie d’investiture de septembre 2013 ne lui a pas un petit peu tourné la tête ?

Moi, je pense que oui. Et cela, c’est vraiment mon interprétation des phénomènes, quand on voit tous ces présidents, le président Hollande, le roi du Maroc et tant d’autres chefs d’État et de gouvernement… Je pense qu’humainement, cela peut vous monter à la tête. Et je pense que moi, mon interprétation, c’est ce jour-là qu’il a perdu le pouvoir.

Pourquoi ?

Parce qu’après, il n’a pas su faire le choix des hommes. Et je crois que chacun doit faire son examen de conscience et prendre sa part de responsabilité. Qui est celui qui lui a dit un tant soit peu « Monsieur le président, ça ne va pas » ? Moi je n’en connais pas beaucoup.

Mais il n’était pas un peu dilettante ?

Moi, je ne l’ai pas connu dans le dilettantisme. Honnêtement. J’ai eu des rapports des fois très difficiles avec lui, parce que je disais ce que je pensais. Quand j’allais prendre mes fonctions, j’étais quand même chirurgien des hôpitaux, chef de pôle de chirurgie, donc j’avais un métier sûr, en France. Et donc je lui disais ce que je pensais. Je ne l’ai pas connu dans le dilettantisme.

Il faisait trop confiance ?

Il faisait énormément confiance ! Et sans contrôle !

D’où les affaires de mauvaise gouvernance et de corruption ?

Absolument ! Et quand on le lui disait, il ne pouvait pas croire ! Lui, il pensait que tout le monde était forgé à son image. Et c’était une erreur ! Et cela lui a joué des tours.

Mais est-ce qu’il a quand même limogé des collaborateurs qui avaient failli dans leur mission ?

Oui, il les a limogés, mais beaucoup trop tard !

Et ça, c’était un sujet de dispute entre vous, non ?

Et c’était un sujet de dispute entre nous, parce que je me souviens d’avoir fait irruption dans son bureau pour lui dire qu’il y a beaucoup de ses ministres qui font n’importe quoi, ils sont en train de mentir, ils ne réalisent rien ! Il m’a répondu : mais non - il m’appelait par mon petit nom, You - non, non… Toi tu es méchant ! Il n’aimait pas qu’on dise du mal sur quelqu’un.

À partir du mois de juin 2020, IBK a donc affronté de grandes manifestations de rue. Est-ce qu’il a compris à ce moment-là qu’il était en train de perdre la main ?

Je pense qu’il n’a pas compris pour différentes raisons, certaines que je tairai par pudeur et d’autres parce qu’on ne lui a pas bien remonté les informations…

Mais a-t-il compris à ce moment-là que la popularité de son fils, Karim Keïta, risquait de lui coûter le pouvoir ?

C’est quelqu’un qui ne veut tellement pas faire de mal, qu’il a préféré tomber, plutôt que d’enlever certaines personnes.

Le coup d’État du mois d’août 2020, est-ce qu’il l’a vu venir ou pas ?

Je pense honnêtement qu’il ne voulait plus du pouvoir. Je pense que tout le monde a vu venir le coup d’État, c’était inévitable. Je pense qu’il l’a vu venir.

C’est à dire que, le matin du 18 août 2020, il n’a pas été surpris par les coups de feu qui ont éclaté dans Bamako ?

La seule chose qui lui importait, c’était la paix au Mali. Si sa chute devait amener la paix au Mali, il était prêt à démissionner. Franchement, c’est… Alors là… Cela ne l’a pas surpris. Vous avez vu comment cela s’est passé d’ailleurs. Il n’a opposé aucune résistance. Il a demandé aux gens de ne pas résister, à sa garde de ne pas résister…

Il était usé par la maladie aussi…

Aussi. Mais en tant que médecin, j’ai prêté un serment, je n’aimerais pas parler de cela.

On connaît notamment sa forte amitié avec François Hollande, mais est-ce que les choses ne se sont pas dégradées avec l’arrivée au pouvoir à Paris d’Emmanuel Macron ?

Honnêtement, je ne pense pas. Qu’ils aient eu des échanges, comme ça, notamment à Nouakchott, pendant le Sommet du G5… Oui, mais bon… Même dans une famille, il arrive que l’on se dise la vérité sans se fâcher et le ton peut monter, mais on reste unis.

Cela, c’était le 30 juin 2020, deux mois avant sa chute…

Absolument, oui.

Mais alors, qu’est-ce qu’ils se sont dit ce jour-là ?

Puis-je tenir cela secret ?

Mais cela portait peut-être sur la conduite des opérations militaires au nord du Mali ?

Oui, la conduite des opérations militaires, tout le monde le savait. Mais bon, c’est présenté comme si c’était le président IBK qui devait aller faire la guerre au nord. Il y a l’armée qui est là, il ne pouvait pas aller faire la guerre à la place des militaires !

Peut-être a-t-il fait, en 2018, le mandat de trop ?

Je pense. Et six mois avant les élections, il ne voulait pas partir.

Ah oui, mais il était bien candidat !

Oui, mais on a dû quand même le forcer un petit peu à être candidat. Les gens pensent que c’est un homme de pouvoir, qui veut le pouvoir pour le pouvoir. Ce n’est pas vrai du tout.

Donc c’est son entourage, peut-être sa famille, qui la convaincu de se représenter…

Pas forcément la famille ! Il y a les politiques. Je peux vous dire que ma cousine - sa femme -, franchement, en avait marre de tous ces flonflons et ne voulait même pas qu’il se présente au deuxième mandat.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes