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Abdoulaye Barry: «c'est la crise sécuritaire qui menace l'existence du Burkina»

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Au Burkina Faso, le régime démocratique du président Roch Kaboré a été renversé hier par les militaires. Après le Mali et la Guinée, un troisième pays d'Afrique de l'Ouest est dirigé maintenant par une junte. Qui est le nouvel homme fort, le colonel Sandaogo Damiba ? Pourquoi les gens qui ont voté Roch Kaboré applaudissent aujourd'hui à sa chute ? Abdoulaye Barry est doctorant à l'Université pour la paix (Upeace) une institution académique de l'ONU. En ligne de Ouagadougou, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Paul-Henri Sandaogo Damiba, en béret rouge au centre à gauche au premier plan, lors de la déclaration du MPSR à la télévision nationale burkinabè, le 24 janvier 2022.
Paul-Henri Sandaogo Damiba, en béret rouge au centre à gauche au premier plan, lors de la déclaration du MPSR à la télévision nationale burkinabè, le 24 janvier 2022. © RTB/Capture d'écran
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RFI : Est-ce que vous connaissiez le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba ?

Abdoulaye Barry : Oui. Je le connais de loin. Il fait partie de cette nouvelle génération de jeunes officiers burkinabè, on va dire très décomplexés. Les hommes qui l’ont côtoyé parlent d’un très bon militaire qui connaît le terrain. Il est passé aussi par le Régiment de la sécurité présidentielle, qui est une force d’élite.

Est-ce que l’arrestation il y a deux semaines, le 10 janvier, du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana peut avoir poussé son camarade de combat, le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, à prendre le pouvoir ?

On va dire que c’est essentiellement la crise sécuritaire qui menace l’existence du Burkina en tant qu’État et qui est l’élément mobile de ces jeunes officiers, parce qu’aujourd’hui, des pans importants du territoire burkinabè sont sous le contrôle de groupes jihadistes qui dictent leur loi à des populations prises en otage à ciel ouvert.

Est-ce que le massacre des 53 gendarmes à Inata le 14 novembre 2021 a été un déclic ?

Oui. C’est le drame le plus horrible que l’armée burkinabè a vécu depuis 2015. Depuis lors, l’armée burkinabè ne s’en est pas remise, et tout le monde est encore sous le choc. Cela fait partie des éléments qui ont poussé l’armée à prendre conscience de sa responsabilité historique.

Est-ce que le général Gilbert Diendéré, accusé d’être l’un des cerveaux du coup d’État manqué de 2015, arrêté et condamné à vingt ans de prison le 2 septembre par le tribunal militaire de Ouagadougou, donc en prison depuis 2015, peut être derrière ce putsch d’hier ?

À priori, on n’a pas d’éléments pour dire que le général Diendéré est derrière ces jeunes officiers qui ont pris le pouvoir. Mais évidemment, que ce soit finalement ces jeunes officiers ou d’autres personnes, le coup d’État allait finir par arriver parce qu’il y a une véritable exaspération au Burkina Faso aujourd’hui.

Et les nostalgiques de Blaise Compaoré vont-ils profiter de cet évènement pour essayer de revenir aux affaires ?

Le coup d’État redistribue les cartes. Donc, on va dire que le compteur est remis à zéro désormais. En tout cas, [ces nostalgiques] font partie des gens aujourd’hui qui applaudissent la chute de ce régime, parce que ce régime est présenté comme un parti qui est à l’origine de leur malheur.

Cela dit, le président Roch Marc Christian Kaboré, qui vient d’être renversé, avait été élu démocratiquement en 2015 et réélu démocratiquement en 2020, l’opposition avait même salué sa victoire…

Oui, tout le monde l’a saluée ici et là. C’est le principe démocratique. Mais la gouvernance de Roch Kaboré en six ans n’a pas permis d’apporter une réponse adéquate aux aspirations du peuple burkinabè. Au contraire, la crise sécuritaire s’est aggravée et les Burkinabè sont dans une véritable angoisse désormais.

Mais, êtes-vous certain que tous les gens, qui ont voté Roch Marc Christian Kaboré il y a 15 mois, sont d’accord aujourd’hui avec les militaires qui le renversent ?

Ils ne sont pas forcément d’accord avec les militaires qui l’ont renversé. Mais tous les Burkinabè étaient quand même exaspérés par cette situation inédite, parce que vous avez quand même pratiquement deux millions de déplacés internes, des milliers d’écoles qui sont fermées. On va dire que tous les Burkinabè vivent de plein fouet cette crise sécuritaire. Donc, en même temps, ils s’attendaient à un véritable changement au Burkina.

Est-ce que depuis le général Aboubacar Sangoulé Lamizana en 1966 et depuis le capitaine Thomas Sankara en 1983, il y a une tradition putschiste au Burkina Faso qui rencontre les souhaits d’une partie de la population ?

Il faut faire la part des choses. En 1966, c’était une insurrection populaire. Et finalement, le plus ancien dans le grade le plus élevé, le chef de l’armée, a pris les commandes. En 1983, on avait un officier visionnaire et révolutionnaire qui a pris le pouvoir pour servir loyalement son peuple. Mais malheureusement en 1987, on a un autre homme qui a fait un coup d’Etat contre les révolutionnaires, un coup d’État jamais accepté par le peuple burkinabè. Et ensuite, on a eu, en 2014, une insurrection populaire qui a chassé Blaise Compaoré après 27 ans de règne.

Est-ce que les putschistes d’aujourd’hui peuvent rester 27 ans au pouvoir comme Blaise Compaoré ?

Ce serait difficile, parce que les contextes ont changé, les peuples ont changé. Il serait difficile qu’ils passent 27 ans au pouvoir. Ce n’est pas leur objectif, parce qu’ils l’ont dit. Ils vont organiser des élections dans un délai raisonnable et puis partir.

Est-ce que ce coup d’État au Burkina Faso ne fragilise pas le blocus de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre le Mali ?

Absolument, parce que désormais, c’est comme si les sanctions contre le Mali n’étaient pas parvenues à décourager d’autres militaires sur le continent. Et il reste que le Burkina constitue un autre cas grave pour la Cédéao.

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