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Succès Masra: au Tchad, «nous devons retrouver le chemin de la démocratie»

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Au Tchad, la junte au pouvoir a annoncé le report de trois mois du dialogue national. Il est maintenant prévu qu'il commence le 10 mai 2022. Le « pré-dialogue » avec les groupes rebelles qui doit avoir lieu au Qatar a, quant à lui, été repoussé au 27 février. Le parti d'opposition Les Transformateurs est l'un de ceux dont la participation au dialogue politique reste soumise à condition. Comment Les Transformateurs perçoivent-ils ce report ? Que demandent-ils avant de se joindre à ce processus ? De passage à Paris, le président du parti, Succès Masra, répond aux questions de Laurent Correau.

Les militants des Transformateurs juste avant la marche, à N'Djamena, le 2 octobre 2021 (photo d'illustration).
Les militants des Transformateurs juste avant la marche, à N'Djamena, le 2 octobre 2021 (photo d'illustration). © RFI / Madjiasra Nako
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RFI : Comment réagissez-vous au coup d’État qui a lieu au Burkina Faso ?

Succès Masra : Pour nous, tout est parti du Tchad. En entérinant le coup d’État au Tchad, on a d’une certaine manière libéré la possibilité de coups d’État sur le continent africain. Il appartient à l’Union africaine aux partenaires du Tchad comme la France, l’Union européenne, tous les grands pays de démocratie sénior de plaider du côté des peuples africains qui veulent la démocratie. Si on continue à soutenir des systèmes qui confisquent le pouvoir par l’armée, nous n’y arriverons pas.

Plaider en faveur du peuple, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Qu’attendez-vous de l’Union africaine, de la France ? Qu’est-ce qu’elles doivent demander ?

Un retour clair à la démocratie. Cela veut dire par exemple, aujourd’hui, pour ce qui concerne le Tchad, nous nous conditionnons notre participation au dialogue à ce que la junte au pouvoir dise clairement que ceux qui assurent la transition militaire ne peuvent pas être candidats pour les élections qui suivront. La France n’est pas très audible sur cela aujourd’hui. L’Union africaine n’est pas très audible sur cela aujourd’hui.

Quels types de garanties concrètes attendez-vous pour participer à ce dialogue ?

Trois éléments. Premier élément, c’est que le président du Conseil militaire de transition, qui avait dit oralement qu’il ne serait pas candidat, le dise par écrit et de manière irrévocable qu’il ne sera pas candidat, ni lui ni le Premier ministre de transition ni le président de l’Assemblée nationale de transition, parce qu’on ne peut pas être juge et partie. Deuxième élément, c’est la question de l’agenda. Avant d’aller s’asseoir dans une salle et discuter, il faut savoir de quoi vous allez discuter. Et troisième et dernier élément, c’est la question de la juste représentation. Il ne s’agit pas de prendre les mêmes personnes venant d’une seule partie du pays, d’une seule famille, et de leur donner la parole dans la salle. Ils ne sont pas représentatifs de tous les Tchadiens.

Quel bilan faites-vous maintenant de la transition telle qu’elle est gérée ?

Moi, j’ai 17 de mes militants qui ont été abattus en marchant. Aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, on parle d’une dizaine de personnes abattues dans des cimetières dans l’est du pays, dans le Ouaddaï, alors qu’ils ne faisaient que marcher pour exiger la révision d’un certain nombre de choses. Donc, on abat des gens, des Tchadiens, qui marchent démocratiquement. La semaine dernière, après que nous ayons eu la possibilité de remplir le plus grand stade du Tchad, apparemment la junte a pris…

Cela était tout de même un point positif, c’était un point positif…

Oui, mais la junte a donc pris peur. Hier soir, je vous fais la révélation, j’ai reçu la correspondance du ministre de la Sécurité publique qui refuse de nous donner la place de la Nation que nous avons demandée pour le 29.

Donc, vous n’allez pas tenir le meeting du 29 qui était prévu place de la Nation ?

Ni le meeting du 29 ni même la rencontre avec les étudiants tchadiens ni les manifestations pacifiques à l’est du pays. Mais, il est encore temps de se ressaisir et de travailler avec tous. Et nous, nous sommes prêts à contribuer pour que la transition se passe bien pour aboutir à une seule chose : des élections libres et transparentes. Et si nous gagnions, nous allons garantir à la junte, au président militaire de transition, mais aussi à tous les militaires, une place à nos côtés pour travailler sur les questions sécuritaires. Personne ne doit avoir peur de l’avenir. Il y a un peuple qui est debout, qui a soif du changement. Un changement qui peut se passer sans casse et c’est pour cela que nous plaidons…

Il y a une nouvelle date pour le dialogue national qui a été communiquée dans la journée de jeudi. On parle maintenant du 10 mai 2022. Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose ?

C’est un indicateur du fait qu’on a perdu du temps. On peut continuer à différer autant de fois qu’on veut, si on n’a pas pris la peine en tout cas d’écouter les exigences qui sont les exigences de tous les Tchadiens pour permettre que ce dialogue enfin soit différent de tous les autres dialogues qu’on a organisés, on va faire perdre du temps à toute notre nation.

Il faut que nous parlions de la situation à Abéché. Donc, depuis le début de la semaine, on a assisté à des manifestations et à une dispersion violente de ces manifestations. Il y a plusieurs morts. Comment réagissez-vous à ce qui s’est passé à Abéché ?

Je suis triste. Depuis des décennies, Abéché n’a même pas l’eau potable à boire. Est-ce que, dans la période de transition, la chose la plus importante à faire, c’est d’installer les cantons ? Ce n’est pas cela l’essentiel. Et lorsque les gens disent qu’ils ne sont pas d’accord avec la manière dont tout cela est créé, même au cimetière quand ils sont allés pour enterrer les gens qui ont été abattus la veille, on est venu encore les abattre. C’est un détachement de l’armée. Et on nous dit que la junte est là pour la sécurité ! Donc, je demande à ce que tout cela cesse immédiatement.

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