Le grand invité Afrique

Claude Assira: les «poutinophiles» africains «se trompent gravement»

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Pour ou contre l'attaque de l'Ukraine par la Russie ? Hier à l'Assemblée générale de l'ONU, 141 pays sur 193 se sont prononcés contre. Mais sur ces 141 pays, il n'y a eu que 28 pays africains. À l'exception de l'Érythrée, qui a voté contre la condamnation de l'invasion, les autres pays africains se sont abstenus ou n'ont pas pris part au vote. C'est la preuve que cette guerre divise les Africains. Claude Assira est avocat au barreau du Cameroun et enseigne le droit à l'Université catholique d'Afrique centrale. Il vient de publier une tribune contre les « poutinophiles ». En ligne de Yaoundé, il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

Standing ovation à l'issue d'un vote écrasant à l'Assemblée générale de l'ONU exigeant la fin de la guerre en Ukraine, à New York le 2 mars 2022
Standing ovation à l'issue d'un vote écrasant à l'Assemblée générale de l'ONU exigeant la fin de la guerre en Ukraine, à New York le 2 mars 2022 © TIMOTHY A. CLARY/AFP
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RFI : Pourquoi cette tribune contre les « poutinophiles », comme vous dites ?

Claude Assira : J’entends par « poutinophiles » ceux qui ont découvert en Poutine une sorte de saint homme à qui on reconnaît toutes les vertus, notamment des qualités de persévérance, de guerrier, de stratège, que je trouve, pour ma part, largement surfaites au regard du contexte. J’ai l’impression qu’il est considéré par une très grande partie d’Africains, et plus particulièrement de Camerounais autour de moi, comme étant une sorte de vengeur des frustrations qui peuvent être les nôtres, puisque c’est celui qui peut enfin tenir tête à cet Occident qui s’est montré par ailleurs particulièrement arrogant.

Justement, beaucoup d’Africains, beaucoup de Camerounais notamment, ont été choqués par la façon dont l’Alliance atlantique, l’Otan, a renversé et tué le colonel Mouammar Kadhafi il y a 11 ans, en 2011. Et du coup, aujourd’hui, ils ne sont pas fâchés de voir l’Otan en difficulté face à la Russie ?

Ce que vous dites est tout à fait exact. Donc, je peux comprendre que ceux, qui ont vu également en Kadhafi une sorte de sauveur, puissent se sentir vengés par l’intervention en Ukraine puisque [Vladimir] Poutine tient enfin tête à ceux qu’ils considèrent comme étant les bourreaux de [Mouammar] Kadhafi. Mais pour moi, c’est un tort pour une raison simple : je ne pense pas que le fait d’avoir commis une faute justifie une autre faute. Pour ma part, il était une faute majeure d’avoir entrepris de dépasser le mandat qui a été donné par les Nations unies à la coalition qui est intervenue en Libye, mais on ne peut pas, au nom d’une faute, perpétuer, justifier indéfiniment les violations des traités et annexer aussi allégrement un territoire indépendant. Donc, l’idéal pour le monde entier, où qu’on soit, ce serait qu’on s’en tienne au respect strict du droit international.

Et surtout, je crois que vous dites que cette annexion risque de donner de mauvaises idées en Afrique ?

Tout à fait. Je pense que l’Afrique a subi des violences, tout au long de l’histoire, qui devraient pouvoir rendre l’Afrique et les Africains relativement sensibles à la question de la violence, de la brutalité aveugle. La situation du plus fort qui peut éventuellement avoir des velléités annexionnistes pour le plus faible, cette situation, on la rencontre dans beaucoup de cas en Afrique. Et j’ai pris comme exemple le Cameroun précisément, dont je suis originaire, qui a à côté de lui un immense et puissant voisin, à la fois économique et militaire, le Nigeria, qui peut trouver effectivement un certain nombre de raisons pour franchir ce qui est la ligne jaune. Donc, il faut éviter des violations permanentes, comme c’est le cas actuellement avec les coups d'État. Il y en a eu un premier et, par effet d’entraînement, trois ou quatre pays sont aujourd’hui dans la même situation parce qu’il n’y a pas eu de condamnation, de réprobation suffisamment forte. Et je crains que l’annexion par la Russie de l’Ukraine ne développe également, auprès de ceux qui peuvent être tentés et n’ont jamais osé jusqu’à présent, ne les libère, ne les désinhibe et permette de libérer les mauvais penchants.

Et vous craignez que cela donne de mauvaises idées au Nigeria par rapport au Cameroun ?

C’est une illustration.

Alors vous dites que le droit international doit être respecté et qu’il y a une règle simple : on n’attaque pas son voisin. Mais que répondez-vous à ceux qui disent que ce même droit continue d’être violé par Israël dans les territoires palestiniens en cours d’annexion et que cela ne semble pas choquer les Occidentaux ?

Je dis, autant nous devons tous, nous autres Africains, condamner avec la dernière énergie toutes les agressions, y compris les actes qui sont entrepris par Israël et qui sont malheureusement souvent, très souvent soutenus et couverts par les États-Unis, autant cette réprobation doit évidemment s’étendre à d’autres qui sont commis par d’autres ailleurs.

Et doivent s’étendre bien sûr à l’agression de l’Ukraine par la Russie, c’est ça ?

Cela va sans dire.

Mais, tout de même, est-ce qu’il n’y a pas une indignation sélective de la part des Occidentaux selon qu’il s’agisse de la Palestine ou de l’Ukraine ?

Je suis entièrement d’accord avec vous, même si, dans les pays européens, occidentaux, j’observe que tous les pays n’ont pas le même degré d’asservissement à l’égard des comportements qui sont tout à fait répréhensibles de la part d’Israël.

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