Kessy Ekomo: «Les femmes centrafricaines sont actives et actrices du changement»
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En cette Journée internationale des droits des femmes, RFI donne la parole à l'une des voix montantes de la société civile centrafricaine. Kessy Ekomo dirige le cabinet Peace and development Watch Centrafrique. Elle est basée à Bangui. Selon elle, s'il faut dénoncer les exactions subies par les femmes en Centrafrique, il faut aussi saluer le rôle croissant qu'elles jouent dans le relèvement du pays. Kessy Ekomo est interrogée par Laurent Correau.

RFI : De quelle manière les femmes sont-elles touchées à l’heure actuelle par la crise centrafricaine ?
Kessy Ekomo : Principalement à travers les violences basées sur le genre… donc les exactions, les viols, mais aussi les agressions psychologiques et physiques venant de la part, non seulement des groupes armés, mais aussi malheureusement des Faca et d’autres groupes alliés, comme les derniers rapports des Nations unies ont pu le souligner. Il y a aussi le fait que les hommes s’en prennent à leur propre femme, au sein de la maison. La pandémie de Covid-19 a conduit le pays à prendre des mesures assez drastiques de couvre-feu. Et on a vu que, pendant cette période, le taux de violence vis-à-vis des femmes a énormément augmenté au sein des foyers. Et là, il s’agit surtout des violences physiques des maris qui abusent physiquement de leur femme. Cela, on l’a vu dans les différents hôpitaux de la capitale et aussi en province. Au-delà -et en plus- des violences que les femmes subissent de la part des groupes armés.
On parle beaucoup du statut de victime de nombreuses femmes dans la crise centrafricaine. On parle beaucoup moins des combats qui sont menés par ces mêmes femmes centrafricaines pour avancer vers une solution… et des succès qu’elles ont pu remporter. De quelle manière sont-elles actrices dans la recherche de solutions ?
Effectivement, les femmes centrafricaines, de plus en plus, se considèrent comme des survivantes, au-delà d’avoir été des victimes de la crise -elles le sont encore aujourd’hui-. Et ce qui est important à souligner, c’est qu’elles sont actives, non seulement au niveau local -surtout au niveau local-, mais aussi au niveau national. Ces dernières années, on a vu des jeunes femmes s’illustrer. Je peux donner l’exemple de la présidente du Conseil national de la jeunesse, qui est la première jeune femme à représenter cette organisation -70 % de la population centrafricaine a moins de 35 ans- et à la tête de cette organisation, on a une jeune femme qui est là, qui accompagne et qui porte la voix de cette population-là. On a des femmes leaders qui portent vraiment la voix, non seulement des femmes mais aussi du pays, auprès des partenaires… Elles le font au niveau de la Centrafrique, mais aussi au niveau international. On a cette nouvelle génération, aussi, au niveau local, qui essaie vraiment de prendre sa place. On va vers les élections locales et il y a vraiment une mobilisation des femmes et des jeunes femmes pour pouvoir être candidates. Donc là, c’est vraiment quelque chose qui est assez extraordinaire pour la République centrafricaine. Si on parle de ce pays, il y a dix ans, il n’y aurait pas eu ce type de mouvement. Et donc c’est qu’il y a quelque chose qui est en train de se faire et les femmes sont vraiment actrices de ce changement.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, que les femmes s’investissent plus sur la scène nationale ?
Elles ont compris le rôle qu’elles jouent et le poids qu’elles représentent. Vous savez, les pesanteurs socioculturelles sont tellement lourdes en République centrafricaine qu’en fait même les femmes, à un moment donné, acceptaient qu’elles n’aient pas un rôle à jouer. La nouvelle génération avait du mal à accrocher au discours qui se basait seulement sur les questions de paix et de sécurité. Mais aujourd’hui, quand on parle de plus en plus des questions relatives au développement, au relèvement… Là, on a cette nouvelle génération de jeunes femmes qui accompagne la dynamique. Et ça, c’est positif pour le pays.
Concrètement, de quelle manière s’engagent-elles pour le développement ?
Le secteur agricole est vraiment le secteur où l’on retrouve le plus de femmes. Et bien entendu, elles ont choisi ce secteur-là pour pouvoir s’intéresser à toute la chaîne de valeur qui est liée à ce secteur, de la terre à la table. Et on voit qu’il y a une forme d’innovation, ce qui n’était pas très visible à l’époque. On voit aussi que de plus en plus de jeunes femmes, principalement, s’intéressent à de nouveaux secteurs. Par exemple, au secteur de l’énergie, au secteur de l’accès à l’eau, au secteur de l’accès à l’éducation… Et elles essaient de proposer des solutions concrètes.
Quels sont les combats sur lesquels les jeunes femmes sont en train de se mobiliser ou doivent se mobiliser à l’avenir ?
Je pense qu’elles s’investissent déjà sur énormément de combats. Mais là où je pense qu’il y a vraiment un besoin de voir de plus en plus de jeunes femmes, c’est sur les questions de développement durable et principalement sur les questions d’environnement. C’est là où se trouve le défi, surtout si on veut penser l’avenir de la République centrafricaine.
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