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Général Laurent Michon (Barkhane): «Les populations auprès desquelles nous (opérons) sont plutôt tristes de nous voir partir»

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L’opération Barkhane prend un nouveau visage au Sahel. Emmanuel Macron a annoncé la fin de leurs opérations au Mali le 17 février. Presque trois semaines après cette annonce, trois bases maliennes, à savoir Menaka, Gossi et Gao, sont en cours de retrait. Barkhane entend conserver une présence dans la zone dite des « trois frontières » – où se rencontrent le Mali, le Burkina Faso et le Niger –, bastion des groupes terroristes dans la région. Et cela passe par une coopération avec les armées régionales, notamment celle du Niger et du Tchad. Le général Laurent Michon, commandant de l’opération Barkhane, coordonne ce redéploiement sur le terrain. Il répond aux questions de RFI depuis l’état-major de Barkhane à Ndjamena, au Tchad.

Le commandant de la force française Barkhane, Laurent Michon, ici à Ouagadougou le vendredi 17 septembre 2021 (illustration).
Le commandant de la force française Barkhane, Laurent Michon, ici à Ouagadougou le vendredi 17 septembre 2021 (illustration). © OLYMPIA DE MAISMONT/AFP
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RFI : L’armée française a annoncé lundi 7 mars avoir tué un haut cadre du groupe al-Qaïda au Maghreb islamique au Mali, alors que l’opération Barkhane est en plein redéploiement, est-ce le signe que la présence française au Mali est toujours nécessaire ?

Général Laurent Michon : C’est surtout le signe que conformément à ce que nous avons annoncé et échangé avec tous nos partenaires africains dans le cadre de la transformation profonde de Barkhane, nous continuons à lutter contre les chefs terroristes, le haut de la hiérarchie qui est affilié à al-Qaïda et à l’État islamique.

Vous rentrez justement du Mali, vous avez notamment coordonné le redéploiement des bases de Menaka, Gossi, et Gao, où en est ce déménagement ?

Nous avons dès les annonces politiques effectuées, prises au niveau militaire, les dispositions pour organiser ce retrait du Mali en bon ordre. Donc je rencontre toujours avec le même plaisir et surtout la même efficacité militaire, le Général Diarra qui est le chef d’état-major des forces maliennes, ainsi que le force commander de la Minusma, nous continuons à nous coordonner pour nous retirer aussi vite que possible du Mali.

Vous dites « aussi vite que possible », avez-vous des délais ?

Il y a un objectif très clair qui est de faire cela entre quatre et six mois, je pense que ça prendra plutôt six mois au vu de l’ampleur du dispositif d’une part, mais surtout en vue de la sureté que nous devons assurer avec justement les Fama pour éviter tout vide sécuritaire dont profiterait l’ennemi terroriste et qui au final ferait que ce soit les populations qui pâtissent de cela

Au Mali, les troupes françaises passent donc le relai aux forces armées maliennes, sont-elles prêtes à lutter contre le terrorisme ?

Elles ne sont pas « prêtes » à lutter contre le terrorisme, elles luttent contre le terrorisme. Le général Diarra souhaite poursuivre le mouvement de redéploiement des Fama, y compris par exemple au Liptako, donc j’espère que les Fama vont continuer ce mouvement-là, elles en sont capables. Je crains simplement que de nouveaux acteurs, les mercenaires viennent mettre à mal cette évolution qui était favorable.

Vous dites que les forces armées maliennes sont prêtes, mais elles ont perdu vendredi 4 mars au moins 27 soldats dans une attaque terroriste à Mondoro dans le centre du pays…

Bien sûr, nous compatissons beaucoup avec ce type de revers qui font mal à l’armée malienne. Le fait que l’armée malienne se redéploye, y compris dans des contrées parfois assez isolées, forcément elle prend des risques,  et c’est tout à son honneur.

Lors de cet assaut jihadiste à Mondoro, l’état-major malien vous a-t-il demandé un soutien aérien pour repousser l’assaut ou pour traquer les assaillants après l’assaut ?

Il y a depuis quelques mois désormais, une zone d’interdiction temporaire de vol, et dictée par les Maliens, qui nous interdit d’aller voler dans une bonne partie de l’espace malien. Mondoro est de très loin à l’intérieur de cette zone d’interdictions, donc nous n’avons pas le droit d’y aller, et nous n’avons pas reçu de demande d’appui.

À son arrivée il y a neuf ans au Sahel, l’armée française était acclamée par les populations locales, maintenant elle est désavouée, comment expliquez-vous cela ?

Ce que je vois en tant que commandant de la force, c’est que là où nous sommes la population ne désavoue pas du tout Barkhane. Et à Gossi il y a deux jours comme à Gao et à Menaka et je sais que c’est la même chose, les populations auprès desquelles nous sommes sont plutôt tristes de nous voir partir. Le désaveu existe, néanmoins parfois dans certaines capitales où les gens connaissent moins ce que Barkhane fait sur le terrain, et puis surtout dans le monde des réseaux sociaux où certains qui habitent parfois très loin d’ici entretiennent un vrai sentiment contre l’action française.

Mais ce sentiment anti-français n’est pas que sur les réseaux sociaux, un convoi militaire a d’abord été bloqué au Burkina Faso, puis la cible de manifestants au Niger…

Ce qui est certain c’est que la fatigue face au terrorisme d’un certain nombre de populations au Sahel est réelle, nous en sommes bien conscients, et que nous sommes là nous pour les aider et qu'évidemment ce sont des drames locaux, mais c’est vraiment quelque chose qui est aussi attisé de l’extérieur et pas simplement le fait des populations locales.

Qui accusez-vous en particulier ?

Je pense à des choses qui sont assez prouvées sur des acteurs extérieurs, parfois assez loin du Sahel qui aident à diffuser ce genre de rumeurs, de fake news, qui payent un certain nombre de chose aussi.

L’armée française redoute-t-elle une expansion des miliciens du groupe Wagner au Sahel ?

Ce n’est pas tellement, ni moi, ni les Français qui redoutons Wagner. Nous ne voulons rien avoir affaire avec eux, nous ne voulons pas de colocalisation etc. Nous savons ce dont ils sont capables de la façon dont ils combattent comme des mercenaires, je ne vous donne pas de détails sur les exactions etc. Je pense que c’est surtout les populations qui peuvent redouter l’extension de Wagner, quand on voit ce qui se passe dans différents pays, vous regardez partout où Wagner est intervenu, Syrie, Centrafrique, mais aussi Mozambique et Venezuela, je pense que ceux qui redoutent le plus un mercenaire qui vit sur le pays, qui vit de la guerre, c’est bien les populations, et on commence à le voir malheureusement.

Selon certaines sources la Russie doit réduire ses effectifs au Mali, et en RCA à cause de la guerre en Ukraine, vous confirmez ?

Je ne suis pas au courant de cette information qui me surprend, mais si cela arrivait je pense que ce serait pour le plus grand bonheur des Fama et de la population malienne.

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