Hugo Sada: la mort de Soumeylou Boubèye Maïga «est une grande perte pour le Mali»
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Sa mort suscite une vague d'émotion au Mali et dans toute l'Afrique de l'Ouest... L'ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, est décédé ce lundi à Bamako après sept mois de détention. Dans un message sur Twitter, le président du Niger déclare : « Je pensais que de tels assassinats relevaient d'une autre époque ». Mohamed Bazoum révèle aussi sur RFI que la Cédéao a demandé plusieurs fois l'évacuation sanitaire du prisonnier. Réaction aujourd'hui de son ami Hugo Sada. L'ancien diplomate français et ancien délégué à la Francophonie témoigne au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Comment réagissez-vous à la mort de Soumeylou Boubèye Maïga ?
Hugo Sada : Avec une grande tristesse de perdre un ami de longue date et puis, surtout, avec une grande colère par rapport aux circonstances dans lesquelles il est mort. On l’a traité dans des conditions vraiment inhumaines. Il est devenu une cible. On l’a laissé mourir sans le soigner, en prison. Tristesse et colère.
Tout le monde a connu Soumeylou Boubèye Maïga comme chef des services de renseignement, comme ministre des Affaires étrangères, comme ministre de la Défense, comme Premier ministre. Mais vous, Hugo Sada, vous l’avez connu avant tout cela. Que faisait-il à l’époque ?
Je l’ai connu quand [Alpha Oumar] Konaré est arrivé au pouvoir [juin 1992]. Il était journaliste et il a rejoint l’équipe de Konaré, qui lui a confié des responsabilités dans les services de renseignement. Et depuis, il a joué ce rôle central et surtout il avait une pertinence dans ses analyses qui étaient vraiment très respectées.
C’était un vrai sécurocrate ?
Non, ce n’était pas un grand sécurocrate. C’était un grand politique, qui avait une grande culture et une vraie compétence politique, intellectuelle et c’est vrai que, sur les questions de sécurité, c’était quand même celui qui avait les analyses les plus percutantes et les plus justes.
Ce qui faisait qu’il était souvent consulté par le voisin algérien ?
Oui, parce que Soumeylou Boubèye Maïga vient de Gao. Sa famille vient de Gao. Et Gao, il y a très longtemps, était la base arrière du FLN et c’est à Gao qu’il a connu [Abdelaziz] Bouteflika. Et depuis, il a gardé des relations amicales et proches avec les Algériens. Et il était écouté par les Algériens, mais il était aussi écouté dans toute l’Afrique de l’Ouest. Et il était aussi écouté à Bruxelles ou à Paris.
Et aujourd’hui, le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra lui rend un hommage très émouvant. Quelle était la plus grande qualité de Soumeylou Boubèye Maïga ?
Je crois que c’était sa compétence, sa vision et son calme. C’est quelqu’un qui ne s’énervait jamais, mais qui avait toujours des réflexions vraiment au-dessus de la mêlée.
Soumeylou Boubèye Maïga a été inculpé pour « faux et usage de faux » dans une affaire d’achat d’équipements militaires. Est-ce que cette détention vous paraissait justifiée ?
Non, non. Certainement pas. On sait qu’à l’époque où il était ministre de la Défense et qu’il y a eu ces histoires d’achat de matériel militaire et de l’avion présidentiel, c’était quand même un régime où la corruption régnait beaucoup. Mais le problème, c’est qu’il n’y a jamais eu de procès. On a enfermé Boubèye, et voilà.
Pensez-vous qu’on l’a enfermé pour d’autres raisons ?
Je pense qu’on l’a enfermé parce qu’il était craint. C’était quand même un de ceux qui, à la sortie de la transition, était en position pour jouer encore une fois un rôle important. Il avait cette capacité de durer, de retomber sur ses pattes, qui était quand même impressionnante.
Suite à son transfert sous bonne garde, dans une clinique de Bamako, c’était en décembre 2021, les appels à son évacuation sanitaire se sont multipliés. Est-ce que vous avez été témoin de ces appels ?
Oui. Tout le monde a essayé de sensibiliser les dirigeants maliens. Mais il n’y a eu aucune écoute, aucun comportement humanitaire. Ce sont des comportements qui relèvent quasiment de l’assassinat.
Pourquoi, à votre avis, le colonel Assimi Goïta et le Premier ministre Choguel Maïga ont refusé son évacuation sanitaire ?
Parce que je pense qu’ils avaient peur de lui. Ils avaient peur de ses capacités à jouer un rôle important dans l’avenir du Mali.
Dans une première réaction, le président du Niger Mohamed Bazoum déclare : « Sa mort en prison rappelle celle du président Modibo Keïta [1977]. Je pensais que de tels assassinats relevaient d’une autre ère ».
Oui. Il faut savoir aussi que, par les fonctions qu’il a occupées, Boubèye connaissait bien les militaires et connaissait bien les politiques. Il en savait beaucoup et cela aussi a suscité la crainte chez les membres de la junte et chez les membres de ce gouvernement, chez le Premier ministre et son clan.
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