Le grand invité Afrique

Yamina Saheb (GIEC): «L’Afrique peut se développer tout en limitant ses émissions»

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L’invitée Afrique ce mardi matin 5 avril, est la Fanco-Algérienne Yamina Saheb. Elle fait partie des experts du GIEC qui ont publié hier le troisième volet de leur sixième rapport, consacré à l’atténuation du changement climatique, c’est-à-dire à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle est interrogée par Claire Fages.

Des manifestations sur le climat ont eu lieu dans une centaine de pays du monde entier. «Justice pour le climat, maintenant ! » à la manifestation de Merebank en Afrique du Sud, le 12 décembre 2009. (Illustration)
Des manifestations sur le climat ont eu lieu dans une centaine de pays du monde entier. «Justice pour le climat, maintenant ! » à la manifestation de Merebank en Afrique du Sud, le 12 décembre 2009. (Illustration) AFP/Rajesh Jantilal
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RFI : L’Afrique est le continent qui souffre et qui souffrirait le plus du réchauffement climatique. Comment peut-elle elle-même contribuer à limiter les émissions de gaz à effet de serre, puisque c’est l’objet de ce 3ème volet du rapport du GIEC, sans hypothéquer son développement ?

Yasmina Saheb : Alors un point très important dans ce rapport-là, par rapport au rapport cinq qui était sorti en 2014, c'est que ce rapport fait le lien entre l'atténuation du changement climatique et les objectifs de développement durable. Et la littérature montre que les deux ne sont pas contradictoires, ce qui veut dire que l'Afrique peut se développer tout en limitant ses émissions.

Est-ce que cela remet en question les grands projets d’extraction d’hydrocarbures en Afrique ?

Alors l'Afrique a un potentiel énorme d'énergie renouvelable, l'un des plus importants dans le monde. Ce qui veut dire que l'Afrique pourrait travailler sur l'accès à l'énergie pour tous avec des ressources renouvelables si des mesures d'atténuation sont aussi mises en place pour réduire la demande. Et cela veut dire pour les énergies fossiles que ce soit en Afrique ou ailleurs, la fin des énergies fossiles, il ne faut pas se mentir.

Réduire la demande d’énergie en Afrique ? C’est pourtant le continent qui est le plus sobre en la matière et il a des besoins immenses ?

Alors, il y a des limites à la sobriété. La limite inférieure, c'est de garantir pour tous un niveau de vie décent et là l'Afrique a du rattrapage à faire, dans les limites planétaires, dans les limites du budget carbone qui nous reste. Du coup, la sobriété ne remet pas en question le développement de l'Afrique. Ce que la sobriété remet en question, c'est un développement de type développement occidental qui a conduit à l'état actuel du monde d'un point de vue climatique.

Le rapport évoque le manque de financement et de transfert de technologie vers les pays en développement. Ce sont les principaux freins à la limitation des gaz à effet de serre en Afrique ?

L'un des freins les plus importants pour les pays en développement, c'est justement l'accès au financement, l'accès au savoir-faire qui n'est pas que technologique parce que par exemple la sobriété ce sont des solutions non technologiques. Le savoir-faire qui tient compte de la nature, l'Afrique a toujours ce savoir-faire-là, alors il n'est pas aussi développé qu'il devrait être pour justement répondre aux questions climatiques. En revanche, effectivement, il faudrait que les financements promis par les pays occidentaux arrivent en Afrique. Il faudrait qu'il y ait un transfert de technologie, il faudrait arrêter de faire de l'Afrique la poubelle de l'Europe, les équipements ou les voitures par exemple qu'on utilise plus en Europe sont envoyés en Afrique, même des vêtements... Mais pour que cela s'arrête, il faudrait des politiques africaines qui disent « on n'en veut plus ». Le Ghana, par exemple, a interdit l'importation des frigos qu'on utilisait plus en Europe justement parce qu'ils n'étaient pas efficaces en énergie. Donc ça, ce sont des politiques qui ne peuvent être mises que par les pays africains eux-mêmes, c'est pour ça que je dis qu'il y a un potentiel en Afrique de travail qui doit être fait par les pays africains.

Quand on voit la croissance incontrôlée des villes africaines avec toutes les conséquences que cela entraîne en termes de transports anarchiques et de pollution, est-ce que l’on peut inverser la tendance ?

Alors un autre point important que montre ce rapport, c'est que ce n'est pas l'augmentation de la population qui est responsable de l'augmentation des émissions, c'est plutôt les modes de vie, et plutôt les modes de vie des plus riches qui sont responsables des émissions. Et ça c'est quand même un message important, on peut inverser cette tendance. Moi qui suis née Africaine, qui suis Africaine, et Européenne à la fois, je pense que les pays qui n'ont pas subi l'industrialisation carbonée qui existe en Europe et dans les pays occidentaux, ont une chance inouïe d'offrir à leurs citoyens une vie moderne, avec les exigences du monde moderne, sans ruiner leurs ressources naturelles, sans détruire les écosystèmes. L'Afrique dans tous les cas de figure, ses émissions vont devoir augmenter un peu, mais la question c'est quel type d'augmentation on va avoir et je pense vraiment que ces pays-là ont une opportunité énorme devant eux pour se développer sans aller dans une augmentation exponentielle de leurs émissions de carbone comme les pays occidentaux.

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