Crise alimentaire en Afrique: Luca Russo de la FAO redoute «un recul de l’assistance humanitaire»
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L'Afrique de l'Ouest va devoir affronter une grave crise alimentaire, s'alarme la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. En Afrique de l'Ouest et au Sahel, 27 millions de personnes souffrent actuellement de la faim ou de malnutrition. Ce chiffre pourrait bondir de 40% et atteindre 38 millions de personnes d'ici juin. En cause, l'insécurité, la sécheresse mais aussi les effets inflationnistes sur les prix des denrées, consécutifs à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Luca Russo, analyste principal de la FAO pour les crises alimentaires, est notre invité.

RFI : Pour la troisième année consécutive, les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont confrontés à une grave crise alimentaire. Cette année, vous craignez même une forte augmentation de la malnutrition. Expliquez-nous ces prévisions. Pourquoi va-t-on assister à une augmentation de la malnutrition cette année ?
Luca Russo : La première chose que je voudrais vraiment mettre en avant, c’est la rapidité dans laquelle la crise du Sahel est en train de s’aggraver. Durant les quatre dernières années, les chiffres ont quadruplé. Donc, on a aujourd’hui 38 millions de personnes au Sahel dans une insécurité alimentaire grave. Il y en avait seulement 9 millions il y a quatre ans.
Quels sont les facteurs qui expliquent cette aggravation ?
Il y a des facteurs structurels qui font vraiment partis de l’histoire du Sahel, donc c’est la pauvreté rurale et la marginalité rurale. Ça, c’est la première cause de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire au Sahel. Mais il y a une série de facteurs qui se sont enchainés depuis quelques années. Alors naturellement d’un côté, il y a la question des conflits, et puis l’autre facteur, c’est la fragilité étatique. On a eu quatre coups d’État récemment au Sahel.
Expliquez-nous en quoi un pays comme le Mali, le Burkina Faso, est impacté dans sa sécurité alimentaire par la succession de coups d’État. Ça veut dire qu’il y a une rupture du fonctionnement des administrations ?
Oui, il y a ça, et naturellement dans ces cadres-là, les dépenses sécuritaires commencent à devenir de plus en plus importantes. Donc moins d’investissement pour les filets sociaux.
Vous évoquez aussi les questions de déplacements de population. J’imagine qu’avec le nombre de personnes déplacées, que ce soit au Mali ou au Burkina Faso, les terres agricoles ne sont plus travaillées, les gens n’ont plus accès à leurs champs et ne peuvent plus garantir leur sécurité alimentaire ?
Écoutez, un des chiffres record que l’on est en train d’atteindre cette année, c’est le nombre de personnes déplacées au Sahel. On va avoir 6,7 millions de personnes déplacées au Sahel cette année. Et la chose la plus préoccupante, c’est que ces déplacements sont des déplacements qui sont très prolongés. Ce ne sont plus des déplacements temporaires. En moyenne, les personnes déplacées restent déplacées pendant sept ans. Donc, dans ce cadre-là, ça veut dire un changement de rythme de l’économie, ils abandonnent certaines zones où ils avaient des activités économiques et ils se transfèrent dans d’autres zones où il y a aussi des gros risques de conflits avec les populations autochtones.
Vous évoquez aussi l’inflation qui est le résultat, en partie, de la guerre en Ukraine. En quoi ce conflit ukrainien aggrave la situation pour les populations du Sahel ?
Les estimations de l’inflation pour l’année dernière, donc avant la crise en Ukraine, c’était jusqu’à 25%. Nous, on pense qu'aujourd’hui, on ne voit pas encore les effets potentiels de la crise ukrainienne. Beaucoup de pays dans le Sahel dépendent largement des importations du blé de l’Ukraine ou de la Russie. Donc, la crise ukrainienne, ça pourrait être vraiment le cygne noir de l’insécurité alimentaire au Sahel.
Quelles solutions, la FAO et les partenaires sur le terrain, pouvez-vous mettre en œuvre ? Quels appels lancez-vous aussi à la communauté internationale pour vous aider à trouver des solutions ?
Le grand risque de la crise ukrainienne, c’est que les autres crises soient oubliées. Donc, on a la question au Sahel, mais on a aussi la question sur la Corne qui est vraiment aussi grave. Donc, aujourd’hui, il n’y a aucune attention à ces crises-là. On est en train de les oublier. On risque de voir une baisse importante de l’assistance humanitaire dans ces pays.
Est-ce que vous pensez que les Européens vont moins donner à l’Afrique, vont moins aider l’Afrique, maintenant qu’ils doivent prendre en charge des millions, voire des dizaines de millions d’Ukrainiens ?
Aujourd’hui, on va faire un appel aux bailleurs de fonds, cet après-midi justement, pour essayer de refocaliser l’attention par rapport au Sahel. Parce que, comme vous pouvez l’imaginer, une nouvelle crise au Sahel risque d’engendrer une série de phénomènes non seulement de genre humanitaire, mais aussi sécuritaire.
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