Présidentielle française: «La jeunesse africaine n'attend plus grand-chose de la France en général»
Publié le :
Emmanuel Macron face à Marine Le Pen dans deux semaines pour le second tour de la présidentielle en France. Le même duel qu'il y a cinq ans. À ce stade, rien n'est joué, à en croire les sondages. Comment l'Afrique francophone appréhende-t-elle ce duel ? Nessan Akemakou, directeur de publication du think tank L'Afrique des idées, répond aux questions de Nathalie Amar.

RFI : Est-ce que ce scrutin intéresse les Africains ?
Nessan Akemakou : Oui, ce scrutin intéresse beaucoup les Africains, notamment dans la partie francophone, évidemment. Disons que la perception des deux finalistes est assez contrastée puisqu’Emmanuel Macron est perçu comme l’équilibriste du « en même temps » : c’est en même l’auteur du discours de Ouagadougou en 2017 porteur de promesses de rupture et, en même temps, c’est celui qui a été très vite rattrapé par la realpolitik, par exemple au Tchad, où il a versé dans le marigot françafricain comme ses prédécesseurs.
Donc, il y a une forme de déception quelque part vis-à-vis de ce candidat président ?
Oui, plutôt. Les jeunesses africaines sont plutôt déçues et disons qu’elles sont plutôt désabusées. Elles n’attendent plus grand-chose de ce président et de la France en général si l’on se fie à ce qu’on peut observer sur le continent à travers le sentiment anti-français qui est de plus en plus prégnant.
Ce sentiment anti-français qui s’est effectivement développé depuis 2017 durant la présidence d’Emmanuel Macron. Cela marque aujourd’hui la perception africaine de ce grand rendez-vous politique français pour vous ?
Notamment. Pas que, mais notamment. Ce sentiment anti-français, il est nourri par les réminiscences du passé colonial, toujours présent à travers certaines pratiques coloniales, la fatigue des populations régulièrement endeuillées au Sahel par les attaques jihadistes, la misère, mais aussi ce qu’on entend surtout la condescendance et voire l’arrogance de certaines autorités françaises que peut incarner parfois le président Macron.
Vous évoquez la perception du président sortant et candidat Emmanuel Macron. Comment sa rivale du 24 avril Marine Le Pen est-elle perçue en Afrique ?
Marine Le Pen fait plutôt figure d’épouvantail puisque, pour elle, l’Afrique est d’abord synonyme d’immigration et que, selon elle, l’immigration serait la source de tous les maux de la France. Donc, elle fait plutôt figure d’épouvantail.
Donc, elle a cette image attachée à ses discours sur l’immigration alors que, pendant la campagne précisément en France, elle a tenté de faire oublier ce côté-là pour se concentrer sur des questions plus consensuelles comme le pouvoir d’achat. Elle reste quand même attachée chez les Africains francophones à cette dominante de l‘immigration ?
Oui, tout à fait. Pendant un certain temps, son concurrent qui est encore plus à droite qu’elle, à savoir monsieur [Éric] Zemmour à travers ses propos outranciers, a pu la « gauchiser ». Mais le vernis craque rapidement et le fond anti-immigration et xénophobe du Rassemblement national est toujours là et perçu comme tel par les populations africaines.
Vous évoquiez à l’instant Éric Zemmour qui a obtenu finalement hier 7% des suffrages des Français. Pour sortir de ce duel Macron-Le Pen, quels sont les candidats qui ont attiré l’attention en Afrique, sur les 12 qui étaient en lice ?
Le candidat qui avait le plus la faveur des populations africaines, c’était sans nul conteste monsieur Jean-Luc Mélenchon. Alors que ce soit pour les Français d’origine africaine qui vivent en France ou pour les Africains en Afrique. On a par exemple un sondage qui a été commandé par Jeune Afrique de l’Ifop qui nous enseignait que 36% des Français d’origine africaine comptaient voter pour Jean-Luc Mélenchon. Même en Afrique, ils sont séduits par ses propositions puisque, dans son programme, il revenait sur la réforme du franc CFA qui est plébiscitée par de nombreuses sociétés en Afrique et il préconisait le départ des troupes françaises de l’Afrique. Donc, il emportait la faveur populaire en Afrique.
« Il emportait la faveur populaire » et il loupe malheureusement la qualification pour ce second tour de l’élection présidentielle en France. Y a-t-il une attente quelconque en Afrique francophone vis-à-vis du prochain président français. On a évoqué la désillusion vis-à-vis du mandat d’Emmanuel Macron. Y a-t-il encore une attente ?
Il y a quand même une attente, au moins une abstention, cela veut dire que les jeunesses africaines entendent elles-mêmes se saisir de leur destin et elles espèrent que la France et notamment les dirigeants africains cessent et s’abstiennent de s’ingérer dans leurs affaires internes et d’être complices de certains dirigeants corrompus qui n’ont que faire de l’intérêt général de leur pays et de leur population.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne