Rupture des accords France-Mali: «Cette décision est un prétexte sans fondement juridique véritable»
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La France conteste la rupture des accords de défense, annoncée par le Mali lundi soir. « Cette décision est injustifiée, car il n'y a pas eu de violation de ces accords par la force Barkhane », affirme le ministère français des Affaires étrangères. Pourquoi le régime militaire de Bamako durcit-il encore plus son bras de fer avec Paris ? Est-ce que Moscou joue un rôle en coulisses ? Nicolas Normand a été ambassadeur de France à Bamako. Dans un mois, il va publier aux éditions Eyrolles une édition augmentée et mise à jour de son ouvrage « Le grand livre de l'Afrique ».

RFI : Bamako dénonce ses accords de défense avec la France parce que celle-ci a porté atteinte « de façon flagrante à la souveraineté du Mali », quelles peuvent être ces atteintes flagrantes ?
Nicolas Normand : Alors du point de vue malien, les atteintes seraient des violations de la souveraineté, mais on se demande un peu lesquelles. Les Maliens ont déjà accusé la France d’espionnage au sujet d’un drone qui avait survolé la base française de Gossi, mais en fait, vérification faite, tout ceci était autorisé, il y a bien une zone de non-survol, mais ça ne comprenait pas cette zone particulière où le drone était, donc en réalité il n’y a pas de fondement juridique véritable, c’est vraiment un prétexte pour une décision de nature politique, me semble-t-il.
Alors vous parlez de ce drone français, c’est vrai qu’il y a deux semaines, après le retrait des militaires français de la base de Gossi, un faux charnier a été attribué aux Français et ceux-ci, avec des images de drones à l’appui, ont prouvé que tout ceci était un montage, est-ce que cela n’a pas fâché Bamako ?
Oui, alors ça a pu fâcher Bamako, mais ça a fâché encore plus la Russie, parce que Bamako avait réagi d'une manière un peu embarrassée sans accuser l’armée française de ce faux charnier qui est un faux charnier monté par les mercenaires russes. Le drone français avait réussi à filmer les mercenaires russes de la société Wagner, transportant des cadavres et les enterrant à côté du camp militaire français de Gossi, pour ensuite accuser la France de crime de guerre, d’exactions. Malheureusement pour les Russes et heureusement pour les Français, la manipulation a été observée par un drone, filmée, et donc on a pu dénoncer la manipulation, donc les Russes n’ont pas apprécié qu’on les prenne la main dans le sac dans leur mensonge, dans leur manipulation, et ils ont cherché visiblement d’autres moyens d’embêter les militaires français.
Alors au-delà de l’affaire de ce pseudo charnier de Gossi, il y a les sujets qui fâchent depuis un an et notamment depuis le deuxième putsch des militaires maliens, après lequel Emmanuel Macron a décidé de retirer la moitié des effectifs de Barkhane du Mali sans prévenir la nouvelle junte. Est-ce que du coup cette mesure vexatoire n’a pas provoqué toute la crise qui a suivi depuis un an ?
Alors pas seulement ça, en réalité effectivement il y a une escalade depuis un an, mais qui vient au départ d’une offensive malienne, puisque c’est le Premier ministre malien qui, le premier, a attaqué de façon inattendue la France depuis New York à l’assemblée générale des Nations unies, et à la suite de ça les réactions françaises ont été assez virulentes et donc ça a déclenché une escalade.
Mais est-ce que tout cela ne donne pas une certaine popularité au régime militaire malien ? Et est-ce que la France, dans son escalade verbale, n’a pas tendance à tomber dans ce piège ?
Si, je suis de cet avis aussi, c’est-à-dire que d’abord la junte militaire cherche une certaine légitimité à défaut d’avoir été élue, elle exploite un sentiment anti-français qui est réel, qui vient d’une déception du fait du maintien de l’insécurité malgré Barkhane. L’opération Barkhane a sans doute empêché le Mali de perdre la guerre, a empêché les villes d’être conquises par les jihadistes, mais n’a pas supprimé le terrorisme. Et donc la population malienne est un peu déçue, et les Russes ont exploité ce sentiment de mécontentement, de déception, en suscitant une véritable colère par des vidéos de désinformation accusant la France par exemple de coopérer avec les jihadistes au lieu de les combattre. Tout ceci, ce sont évidemment des mensonges.
Et qu’est-ce qui vous prouve que la main des Russes est derrière toutes les décisions anti-françaises de ces derniers mois ?
Ce qui est prouvé, c’est qu’il y a de très nombreuses vidéos clairement de fabrication russe qui sont présentes sur les réseaux sociaux maliens, et qui accompagnent à chaque fois toutes ses décisions, et donc le régime en tire profit sur le thème du ressentiment anti-français, c’est le fonds de commerce politique de la junte militaire issue de deux putschs militaires.
Et pensez-vous que tant que durera la guerre en Ukraine, la guerre des mots continuera entre Bamako et Paris, attisée par Moscou ?
Alors il y a un antagonisme fondamental entre la Russie et les pays occidentaux et, depuis longtemps, le Mali est le talon d’Achille de la France dans l’esprit des Russes, c’est un moyen d’attaquer la France. Les Russes ne sont pas là pour aider le Mali, ils sont là pour embêter les Français au Mali, et le Mali est donc un moyen pour eux. Alors, la guerre d’Ukraine, c’est une affaire de longue haleine. Le seul élément de changement qui pourrait intervenir à Bamako, ce sont des élections qui feraient place à un nouveau gouvernement, à ce moment-là une réconciliation ou une entente normale avec la France deviendrait possible.
Le retrait des militaires français de Barkhane est en cours, mais il va prendre encore quatre mois minimums, concrètement qu’est-ce que la décision de Bamako de ce lundi peut changer dans ce retrait ?
Alors d’abord il reste 2400 militaires français au Mali, les militaires français sont maintenant en présence illégale, du jour au lendemain on leur dit « vous n’avez plus le droit d’être là », alors évidemment on ne peut pas partir en 24H, et donc ça crée une situation évidemment incertaine. Est-ce que le Mali cherche à créer un incident sécuritaire avec l’armée française ? On le saura dans les prochains jours, en tout cas cela ne peut que compliquer le retrait ordonné qui est en cours.
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