Rabah Arezki: «Dans de nombreux pays africains, l'inflation est à deux chiffres»
Publié le :
Des prix qui grimpent, des produits pétroliers qui commencent à être plus difficiles à trouver, les économies africaines sont touchées comme le reste de la planète par la guerre qui sévit en Ukraine, à des milliers de kilomètres du continent. Mais quels sont les mécanismes qui font que les combats à Marioupol ou Odessa ont des répercussions sur les marchés des grandes villes africaines ? Quelles peuvent être les conséquences sur les pays du continent ? Rabah Arezki, chercheur associé à l'université d'Harvard, est l’invité de Laurent Correau.

RFI: À quel point les Africains sont-ils touchés par la guerre en Ukraine ?
Rabah Arezki : L’inflation dans de nombreux pays africains est une inflation maintenant qui est à deux chiffres. Une augmentation de 40 à 50 % des prix des produits alimentaires énergétiques, pour bon nombre de ménages, ça a un effet majeur sur leur budget. Il y a vraiment des risques importants concernant la sécurité alimentaire, mais aussi des risques de troubles sociaux.
« Risques de troubles sociaux », dites-vous. Quelle est l’ampleur de ces risques ?
Les prix des produits alimentaires sont bien au-delà de ce qu’on a vu dans les crises alimentaires de 2008 et de 2011. Comme vous le savez, en 2011, il y a eu toute une série de soulèvements qui ont aussi mené à des situations de crises très graves dans bon nombre de pays d’Afrique du Nord. Étant donné le fait qu’on a surpassé cette crise, ces risques d’instabilité sont très importants… et je vous rappellerai que cette crise vient après la grande récession des années 2008, la crise Covid, qui ont entamé tous les filets de sécurité, toutes les possibilités que les pays avaient de répondre efficacement. Ils ont très peu de marge de manœuvre.
Quels sont les mécanismes par lesquels les économies africaines sont touchées par cette guerre en Ukraine ?
Il y a une grande dépendance pour nombre de pays aux importations qui viennent directement soit de l’Ukraine, soit de la Russie. C’est le cas pour les importations de blé, d’huile de tournesol, mais aussi de fertilisants. La hausse des prix, qui touche tous les pays, a un effet « détrimental » sur les balances courantes de ces pays, c’est-à-dire que les déficits des balances courantes se creusent et les pays qui essaient de répondre efficacement, soit en contrôlant les prix, soit en faisant des transferts en nature, soit en cash, sont obligés de creuser des déficits publics qui alourdissent leur dette très rapidement.
On voit déjà dans certains pays des problèmes d’accès aux produits pétroliers. Comment est-ce que la guerre en Ukraine gêne l’accès à l’essence et au gazole ?
Les prix du pétrole ont explosé. Ils sont maintenant bien au-delà de 100 dollars par baril. Donc, on est dans une situation où la facture énergétique de bon nombre de pays importateurs est telle qu’ils ne peuvent plus subvenir à ces besoins énergétiques. Ce qui fait qu’effectivement, on a des difficultés d’approvisionnement très grandes.
Que faut-il faire ? Quels sont les choix de politique économique qui vous semblent nécessaires à court terme pour faire face à cette situation ?
Il y a un certain nombre de réponses, de politiques économiques qui ont été mises en place, notamment au Ghana avec des restrictions à l’exportation de productions domestiques. Il y a un certain nombre d’interventions de la part d’organisation comme la Banque mondiale qui essaient d’aider les pays à s’approvisionner. Donc, c’est quelque chose de très immédiat. Il y a ensuite, je dirai, quelque chose de plus stratégique et de très important, c’est de vraiment prendre à bras-le-corps cette question de la dette, de l’endettement et de la restructuration de la dette, parce que sinon tout transfert financier ira directement aux créditeurs privés. Alors, il faut absolument régler cette question de la dette rapidement pour que toute intervention de la communauté internationale soit efficace et qu’elle touche effectivement les ménages les plus pauvres. Il y a aussi l’importance de se coordonner au niveau du libre-échange de produits alimentaires. Il y a un certain nombre de pays dans le monde, qui sont en train de mettre des restrictions à l’exportation de produits alimentaires, par exemple, l’Indonésie qui est un très grand producteur d’huile de palme, qui a interdit l’exportation d’huile de palme et donc, du coup qui a fait exploser les prix sur les marchés internationaux. Sur un certain nombre de produits, c’est le cas. Et donc, sans coordination, on va revivre des situations qu’on a vues avec les masques, avec les vaccins, avec un risque que les produits alimentaires aillent vers le Nord et que le Sud se retrouve encore dans une situation très précaire.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne