OIF: «Il y a une discrétion pratiquée par Louise Mushikiwabo sur les questions régaliennes»
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Où en est la Francophonie, quatre ans après l’arrivée de Louise Mushikiwabo à sa tête ? La question se pose à l’occasion de la sortie d’une bande dessinée très documentée, Éléments de langage, Cacophonie en francophonie, (éd. la Boîte à Bulles) et qui raconte les mésaventures de Michaëlle Jean, la précédente secrétaire générale de la Francophonie. Le Franco-Canadien Bertin Leblanc, co-auteur de la BD, n’est autre que l’ancien porte-parole de Michaëlle Jean. Il ne mâche pas ses mots et fait même le pari que le prochain sommet, prévu en novembre en Tunisie, sera annulé. Bertin Leblanc répond aux questions de RFI.

RFI : Quatre ans après le départ de Michaëlle Jean, que pensez-vous de la Francophonie sous la direction de Louise Mushikiwabo ?
Bertin Leblanc : On peut évidemment critiquer la non présence de l’administration actuelle sur un certain nombre de sujets, entre autres en ce qui concerne les droits humains. Mais globalement, la pertinence du projet reste là. Le prochain sommet pourra être une occasion de redéfinir les grands contours de l’organisation et de ses objectifs.
Dans votre livre « Éléments de langage, cacophonie en francophonie », vous dites que, lors du sommet il y a quatre ans, avec le départ de Michaëlle Jean et l’arrivée de Louise Mushikiwabo, « la France va refaire de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) son objet diplomatique ». Est-ce que c’est ça qui est arrivé ?
Depuis quatre ans, effectivement, il y a une discrétion qui est pratiquée par l’administration actuelle et par Louise Mushikiwabo sur les grandes questions régaliennes qui concernent la France et l’Afrique en général. Michaëlle Jean avait l’habitude de prendre la parole sur plusieurs sujets. Elle considérait que la France était un des pays parmi tant d’autres au sein de la Francophonie, et certes elle finance une grande partie du budget, mais au niveau de l’attention, au niveau de ce qu’elle représente, elle ne devait pas dépasser un siège, comme celui de Sénégal ou du Mali ou du Québec ou du Nouveau Brunswick. Aujourd’hui, c’est vrai que, depuis le début du mandat de Louise Mushikiwabo, sur les grandes questions de droits humains où l’organisation reste assez discrète, on peut s’interroger effectivement. Et puis, sur le reste, il y a eu cette question importante sur l’Ukraine, où le Canada et le Québec ont dû taper du pied pour que l’OIF s’engage sur cette question ukrainienne. On était très inquiet du fait que la secrétaire générale soit restée muette pendant près d’un mois. Et il y a eu cette pression qui est venue de Québec et d’Ottawa pour que l’OIF dénonce l’invasion russe en Ukraine. Mais, il a fallu près d’un mois. L’Ukraine, je vous le rappelle, est un pays membre observateur de l’organisation, surtout quand on considère que l’OIF est quand même constituée de cette valeur fondamentale autour du respect des frontières et du respect des droits de l‘homme, et que l’agresseur était évident.
Dans votre livre, vous rappelez le très beau discours d’adieu de Michaëlle Jean le jour de sa chute au sommet d’Erevan d’octobre 2018, quand elle dénonce la « realpolitik ». Est-ce que vous n’avez pas tendance à embellir le passé et à faire de Michaëlle Jean une défenseuse des droits de l’homme face aux tenants de la « realpolitik » d’aujourd’hui ?
Michaëlle Jean a fait la preuve de ses convictions. Effectivement, on lui a reproché un certain nombre de choses, mais il y a une chose sur laquelle elle n’a jamais cédé, c’est sur ses idéaux, les droits humains, les valeurs fondamentales de la Francophonie. J’ai envie de dire que c’est assez rare que des politiques vont jusqu’au bout de leurs convictions. Michaëlle Jean aurait pu saisir plein d’opportunités, comme vous pouvez voir dans le livre. On lui a proposé plein de choses, mais elle a tenu à se battre pour des idées. Et même si cela lui a coûté son poste, elle est allée jusqu’au bout. On a tellement peu de chance aujourd’hui de trouver des personnages de cette trempe-là, que je pense que ça méritait un coup de projecteur particulier pour qu’on puisse se rendre compte, qu’il y a malgré tout dans cet univers, dans cette sphère diplomatique, des gens qui ne sont pas prêts à toutes les compromissions pour garder des postes.
Le prochain sommet est prévu en novembre en Tunisie. Mais depuis neuf mois, le Parlement est dissous et le président Kaïs Saïed veut faire adopter un nouveau régime présidentiel par référendum constitutionnel en juillet prochain, sans consulter les partis politiques tunisiens. Est-ce que vous pensez que cela peut poser problème ?
En tout cas, si le président de la République française reste cohérent avec lui, il y a des chances que le sommet soit annulé. On a du mal à imaginer que le président français, le Premier ministre canadien et les autres ministres de la Francophonie se trouvent à la même table qu’un président qui se serait accaparé l’ensemble des pouvoirs du pays hôte. Donc, je crois qu’il va falloir qu’ils trouvent une solution probablement alternative. Dans les solutions évoquées depuis quelques mois, c’est un sommet rapide à Paris pour peut-être exprimer une certaine méfiance par rapport à ce qui se passe en Tunisie, sachant l’histoire importante de la Tunisie dans la Francophonie et le développement des démocraties dans la région.
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