Sophie Bessis: En Tunisie, la popularité de Kaïs Saïed n'est «plus du tout ce qu'elle était en juillet 2021»
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En Tunisie, deuxième semaine de grève des magistrats pour dénoncer l’ingérence du président dans le pouvoir judiciaire, suite à la révocation par Kaïs Saïed de 57 de leurs confrères. Le 25 juillet dernier, le chef de l’État tunisien s’était arrogé les pleins pouvoirs. Depuis, la pratique solitaire du pouvoir semble s’être encore accentuée avec la dissolution du Parlement fin mars et la mise en place d’une Commission électorale à sa main. Kaïs Saïed entend désormais réécrire la Constitution. La population tunisienne sera appelée à se prononcer par référendum sur ce nouveau texte. Le vote aura lieu le 25 juillet prochain. Où en est le pays six semaines avant ce scrutin ? Que dit cette nouvelle Constitution ? Le président Saïed bénéficie-t-il toujours d’un soutien populaire ? Éclairages de l'historienne et politiste Sophie Bessis, spécialiste de la Tunisie.

RFI : La grève des magistrats, appel à la grève le 16 juin lancé par l’UGTT la puissante centrale syndicale dans le secteur public, la contestation contre Kaïs Saïed est-elle en train de franchir un cap selon vous ?
Sophie Bessis : Tout à fait oui, il est évident que depuis que l’union générale tunisienne du travail, le grand syndicat tunisien a décidé de ne pas répondre à la convocation du chef de l’État et a décidé d’entrer dans l’opposition alors que jusqu’à maintenant sa position était assez ambiguë, il est évident qu’un tournant a été pris vu le rôle que joue cette centrale dans la vie politique tunisienne.
Est-ce que le président tunisien bénéficie encore de ce soutien populaire qui lui avait permis d’accéder au pouvoir en 2019 ?
Son coup de force par étapes si l’on peut dire, qui a abouti à la situation actuelle, a été approuvé au départ par une large partie de l’opinion publique incontestablement, mais il a été approuvé pour deux raisons principales, dans la mesure où il a mis fin à l’hégémonie politique du parti islamiste Ennahdha et du fait que le parlement était devenu une sorte de partitocratie qui privilégiait les intérêts de ses membres et non pas l’intérêt général, l’intérêt du pays. Mais cette popularité, incontestablement est en train de s’effriter aujourd’hui, elle n’est plus du tout ce qu’elle était en juillet 2021.
Kaïs Saïed veut mettre en place une nouvelle république via une nouvelle Constitution, ce nouveau texte devrait supprimer toutes références à l’islam, c’est du moins ce qu’affirme Sadok Belaïd le juriste chargé par le président de rédiger cette nouvelle Constitution, comment l’interprétez-vous ?
Vous savez très bien d’abord que le président de la république est extrêmement conservateur et a une vision tout à fait conservatrice de l’islam. Il y a quelques années, quelque temps après son élection, le président de la République avait dit que dire que l’islam était religion d’État est une absurdité dans la mesure ou selon lui l’État n’a pas de religion, et c’est ce que reprend en réalité le doyen Sadok Belaïd dans sa dernière déclaration, et il faut faire très attention à ne pas se leurrer, c’est-à-dire que si la référence à l’islam est ôtée dans un des attendus de la Constitution, l’islam rentrera par la fenêtre dans la Constitution, donc il est hors de question de penser un seul instant que l’islam et la référence au religieux va disparaitre de la vie publique et de la vie politique tunisienne, je pense que c’est une profonde erreur que de croire cela.
L’idée de cette nouvelle Constitution n’est-elle pas d’affaiblir le pouvoir du parlement et de passer à un régime présidentiel ?
Bien entendu ! C’est le but de cette nouvelle Constitution, et ce que je crains pour ma part c’est qu’on ne se dirige pas seulement vers un régime présidentiel, mais vers un régime présidentialiste, mais justement le chef de l’État a récusé la Constitution de 2014 dans la mesure où il s’agit pour lui de rétablir un régime ou la primauté du président de la république n’est partagée avec personne, c’est-à-dire que vous savez que la Constitution de 2014 est une Constitution de type parlementaire et le chef de l’État n’en veut pas.
Le problème pour Kaïs Saïed c’est que la situation économique ne cesse d’empirer, que certains bailleurs internationaux comme les Etats-Unis conditionnent désormais leurs appuis financiers à des avancées démocratiques ?
Tout à fait, malheureusement le chef de l’État pour l’instant est totalement focalisé sur les questions institutionnelles alors que la situation économique ne cesse de se dégrader, les négociations avec le Fonds monétaire international n’ont pas abouti, les pays occidentaux sont si vous voulez dans une certaine contradiction, dans la mesure ou à la fois ils conditionnent l’octroi de financement à des avancées démocratiques ce qui n’est pas le cas pour le moment et en même temps effectivement ne souhaitent pas que la Tunisie tombe dans le chaos ou dans une crise plus importante que celle qu’elle connait aujourd’hui, et que donc il y a des aides comme les aides récentes de l’Union européenne qui permettent à la Tunisie de surnager. Mais enfin il est évident qu’on ne va pas pouvoir continuer avec des financements totalement occasionnels, donc effectivement on peut craindre une détérioration encore plus importante de la situation économique.
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