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«L'arrivée de la Cédéao en Guinée-Bissau montre que le pays n'est pas sorti d'un cycle d'instabilité»

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Un peu à l'image de l’ancienne Écomib qui était restée huit ans avant de se retirer en 2020, la Cédéao a commencé à déployer, depuis le 20 juin, une force de stabilisation en Guinée-Bissau, où le président Umaro Sissoco Embalo a échappé en février à une tentative de coup d'État. Cette mission se déploie pour un an renouvelable alors que des législatives anticipées sont prévues à la fin de l'année. Paulin Maurice Toupane, chercheur au bureau de Dakar à l'Institut d'études de sécurité est l'invité de RFI.

Le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo lors de son discours après la tentative de coup d'État à Bissau, le 2 février 2022.
Le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo lors de son discours après la tentative de coup d'État à Bissau, le 2 février 2022. © AFP/Aliu Embalo
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RFI: Une force de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à Bissau, on pensait que c’était du passé. Finalement, elle revient, signe que l’instabilité est toujours de mise ?

Paulin Maurice Toupane : Oui, tout à fait. L’arrivée de cette force de la Cédéao en Guinée-Bissau nous montre que le pays n’est pas encore sorti de ce cycle d’instabilité qu’il connaît depuis l’indépendance en 1974. Et en Guinée-Bissau, les antagonismes entre les principaux acteurs politiques et leur soutien au sein de l’armée ont souvent structuré le jeu politique et ont été à l’origine des différentes crises que le pays a connues.

Et dans son mandat, il est question de protéger les institutions dont le président lui-même…

Oui. Sécuriser le président de la République qui a été victime d’une tentative de coup d’État au mois de février, et dans la foulée, c’est lui-même qui avait demandé à la Cédéao le déploiement de cette force. Mais au-delà du président de la République, cette mission a pour mandat de protéger les principales institutions de ce pays, mais aussi de façon générale, créer un climat de sécurité pour les citoyens bissau-guinéens.

Combien d’hommes en tout ?

Il est prévu le déploiement de 631 hommes venus du Sénégal, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Burkina Faso.

Le retour de cette force de la Cédéao crée-t-elle des frustrations au niveau de l’armée ?

Il n’y a pas de signe qui pourrait nous permettre de parler de défiance au sein de l’armée. Mais pour bon nombre d’acteurs en Guinée-Bissau, l’arrivée de cette force crée des frustrations au sein d e certaines factions de l’armée qui ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de cette mission de la Cédéao en Guinée-Bissau. Et on sait que le déploiement de troupes dans ce pays a souvent été critiqué tant au sein de l’armée que de la classe politique. C’est notamment le cas avec la mission angolaise qui avait été déployée en 2011 en Guinée-Bissau et qui a été perçue, à certains moments, par certains acteurs influents de l’armée comme une force de protection privée de l’ancien Premier ministre d’alors Carlos Gomes Junior. Ce qui avait créé des tensions entre l’armée et ce Premier ministre débouchant sur le coup d’État de 2012. Il ne faudrait pas que, pour la Cédéao, cette force soit perçue par les acteurs bissau-guinéens comme une force privée du président de la République. Et pour ce faire, elle devrait instaurer un dialogue permanent tant avec les autorités politiques et militaires, qu’avec aussi les acteurs politiques de l’opposition et de la société civile.

Autre difficulté, le Parlement a été dissous. Une sorte de gouvernement provisoire a été mis en place qui a du mal à s’imposer. Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC) a refusé d’y entrer. Est-ce à dire que le ver est dans le fruit ?

Oui. Le cafouillage noté lors de la cérémonie de prestations des nouveaux membres du gouvernement nous renseigne sur les tensions au sein même des partis politiques, surtout dans la perspective de l’organisation des élections législatives qui génèrent souvent des tensions politiques et des crises post-électorales qui pourraient faire basculer le pays dans une nouvelle crise.

Ces élections législatives en décembre. Pourront-elles avoir lieu en temps et en heure ?

Deux défis se posent actuellement pour l’organisation des élections législatives. C’est la nomination du président de la Commission nationale électorale et la mobilisation de fonds pour l’organisation de ces élections. Et les tensions qu’il y a entre les acteurs politiques et au sein même des partis politiques ne présagent rien de bon. Et vu les défis, le report des élections ne pourra pas être exclu. Et actuellement, même dans le scénario le plus positif où ces élections se tiendront, le risque que le pays bascule encore dans une nouvelle crise institutionnelle reste très possible d’autant plus que, pour nous, les réformes institutionnelles qui sont indispensables pour la stabilité du pays n’auront pas été discutées et mises en œuvre.

► À lire aussi : La Cédéao déploie une force de stabilisation en Guinée-Bissau

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