Sénégal: «Ces législatives sont un échauffement avant la présidentielle de 2024»
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Dernier jour de campagne ce vendredi 29 juillet au Sénégal, avant les élections législatives de dimanche. Ces dernières semaines, les candidats de la majorité Benno Bokk Yaakaar ont essentiellement vanté le bilan du président Macky Sall. La principale coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi, menée par Ousmane Sonko -qui lui-même ne peut pas être candidat- vise à lui imposer une cohabitation. Quels sont les principaux enjeux de ce scrutin, le dernier avant la présidentielle prévue en 2024 ? Le docteur Mamadou Lamine Sarr, enseignant en sciences politiques à l’université virtuelle du Sénégal, répond aux questions de Charlotte Idrac.
RFI : Quel premier bilan faites-vous de cette campagne pour les législatives ?
Mamadou Lamine Sarr : Je pense que c’est une campagne assez terne, parmi les campagnes qui se sont déroulées ces dernières décennies c’est peut-être la campagne la moins intéressante, on va dire ça comme ça, qui a moins sollicité en tout cas de débats publics, qui a moins, à mon avis, amené d’engouement au niveau de la population. Il y a des programmes qui sont rédigés, etcetera, mais les partis n’ont pas réussi à mobiliser l’opinion. Je pense que les gens ont la tête aux élections de 2024, et donc tous les débats politiques actuels sont monopolisés par cette élection présidentielle-là.
D’ailleurs, les deux principales figures qui sont sur le devant de la scène c’est le président Macky Sall et c’est Ousmane Sonko, alors même qu’ils ne sont pas investis, ils ne sont pas candidats.
Tout à fait, et ça démontre justement cette vampirisation. On a des candidats possibles à l’élection présidentielle prochaine qui sont présents dans les discours, dans les postures des différentes coalitions et tout l’enjeu par exemple pour l’opposition ou pour le parti au pouvoir, c’est cette fameuse cohabitation qui, je le rappelle, peut ne pas avoir lieu. Même en cas de défaite par exemple du camp présidentiel, le président de la République n’est pas tenu, aujourd’hui, de nommer un Premier ministre, déjà, et ensuite de nommer un Premier ministre qui serait issu du Parlement. Donc le fait de vouloir faire de cette cohabitation-là un enjeu de ces législatives-là, des deux bords,a constitué à mon avisune erreur qui illustre un peu tout ce qu’on a dit sur la présence en arrière-plan de l’élection présidentielle de 2024.
L’une des thématiques aussi qui a été mise en avant par l’opposition c’est celle d’un refus d’une éventuelle troisième candidature du président Macky Sall en 2024, qu’est-ce que vous pensez de cet argument, est-ce que cette question devrait être tranchée finalement ?
Oui, l’opposition a peut-être raison de soulever cette question-là, mais est-ce que c’est la bonne période au milieu des législatives de soulever cette question-là ? Mais le fait d’être dans cette perspective-là, dans cet environnement-là où on ne sait pas si le président Macky Sall va se présenter ou pas, à mon avis n’a pas toujours de bonnes répercussions, ni pour l’opposition, ni pour le parti présidentiel ni pour l’opinion publique sénégalaise. Tout cela, encore une fois, démontre l’omniprésence de l’élection présidentielle de 2024.
On est dans une sorte d’échauffement ?
Oui, je pense que les gens se préparent, c’est un échauffement comme pour les sportifs, parce que notre système présidentiel, notre régime politique veut cela et que le président de la République est au cœur de l’action politique au Sénégal.
Est-ce que vous êtes surpris par cette bipolarisation avec ces élections-là entre Benno Bokk Yaakaar et Yewwi Askan Wi ?
Non, pas du tout, parce qu’au vu de l’évolution des derniers scrutins, à un moment donné on s’est dit que le président Macky Sall n’avait plus d’opposants en face de lui, et la venue de Sonko a un peu bouleversé les cartes. C’est un « phénomène politique » comme on dit, qui a un certain engouement, une certaine popularité, et donc beaucoup de gens frustrés par les politiques du gouvernement, ou en tout cas l’évolution du Sénégal depuis 2012, se sont reconnus à travers Sonko. Ça a toujours été comme ça dans l’histoire politique du Sénégal, on a eu des affrontements Senghor -Dia, ensuite on a eu Diouf- Wade, ensuite on a eu Wade et la coalition de Macky Sall, aujourd’hui c’est certainement la coalition de Macky Sall et celle d’Ousmane Sonko.
Est-ce que ces élections sont l’occasion pour vous de faire évoluer le rôle de l’Assemblée nationale ?
Fondamentalement, je pense que les acteurs de tous bords doivent saisir cette opportunité-là de donner une autre perspective, une autre envergure au Parlement, à l’Assemblée, qui joue un rôle important, de voter des lois, mais également de contrôler l’action du gouvernement. Et donc le rôle du parlementaire en lui-même doit être valorisé davantage, doit être expliqué, compris par la population et par les différents acteurs, et je pense que ça peut aider à la consolidation, non seulement du Parlement en tant que second pouvoir du pays, mais également dans la consolidation plus générale de la démocratie sénégalaise.
Quoi qu’il en soit on aura des nouvelles têtes, des nouveaux profils ?
Oui, tout à fait, vu les problèmes qu’on a eu au niveau des listes, annulées ou autorisées, etcetera, vu également les nouvelles coalitions je pense qu’il y a un moyen d’avoir une assemblée nationale renouvelée, et je pense que l’Assemblée nationale doit refléter le Sénégal, le vrai Sénégal, c’est-à-dire un pays jeune, un pays où on a beaucoup de femmes, un pays avec une diversité qui va au-delà de Dakar, je pense que le Parlement doit refléter la population sénégalaise, doit refléter les ambitions et les problèmes des Sénégalais, l’inflation, la vie chère, l’éducation, la santé, l’agriculture… Tout cela doit être au cœur de l’action de la nouvelle Assemblée nationale. En tout cas, je prie pour que ce soit le cas pour les prochaines élections législatives.
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