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Guido Gryseels (Belgique): «On a réussi ces 20 dernières années la transformation du musée Tervuren»

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C’est la fin d’une époque à l’AfricaMuseum de Tervuren en Belgique. Son directeur emblématique, Guido Gryseels, part à la retraite ce 1er septembre après avoir passé 21 ans à la tête de cette institution qui possède de vastes collections du patrimoine culturel et naturel africain, dont 128 000 objets ethnographiques et des millions de spécimens biologiques. Longtemps considéré comme l’archétype du musée colonial, Tervuren s’est profondément renouvelé ces dernières années, adoptant un regard critique sur le passé colonial belge. Une transformation en profondeur qui est toutefois loin d’être terminée, estime Guido Gryseels.

Une vue du Musée Royal de l'Afrique Centrale à Tervuren en Belgique.
Une vue du Musée Royal de l'Afrique Centrale à Tervuren en Belgique. Rolfmueller/wikimedia.org
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RFI : Quel sentiment vous anime à l’heure de quitter l’AfricaMuseum de Tervuren ?

Guido Gryseels : D’abord, je suis très fier de ce qu’on a réussi ces 20 dernières années. On a fait une transformation du musée, on a fait des activités scientifiques avec beaucoup d’impact, on a relancé des activités éducatives et culturelles, et on a eu une voix importante dans le débat sociétal sur le passé colonial et la restitution. Donc moi, je suis très content et très fier. Et maintenant, c'est un nouveau directeur qui va prendre le relais et renforcer les messages que nous avons développés depuis 20 ans.

Vous dites être fier de ce qu’est devenu Tervuren aujourd’hui. Vous partiez de très loin, car le Musée royal de l’Afrique centrale a longtemps été perçu comme le musée colonial par excellence…

Oui, absolument. Quand moi, je suis arrivé ici, la mission du musée, c'était encore de promouvoir des réalisations belges en Afrique. La dernière grande rénovation avait eu lieu en 1956, donc quatre ans avant l’indépendance, et donc c’était encore un musée qui donnait le regard de la Belgique sur l’Afrique d’avant l’indépendance.

À quel moment avez-vous décidé de revoir de fond en comble l’esprit du musée ?

On a tout de suite fait un plan stratégique. Il était clair que notre priorité devait être la rénovation du musée, et pour faire cela, il fallait d’abord développer des liens avec les diasporas et les Africains eux-mêmes. On a dû faire tout un changement d’esprit, on a développé les liens avec les diasporas et on a commencé en faisant quelques expositions temporaires, une sur l’origine de nos collections, une sur le passé colonial du Congo. Et tout cela étaient des expositions qui étaient très innovants et qui donnaient un nouveau regard sur le passé colonial belge au Congo. À l’époque, on était un musée colonial, aujourd’hui, nous sommes un musée qui invite le visiteur à réfléchir de façon critique sur ce passé colonial.

Évidemment qu’on change d’avis !

Vous aussi, vous avez dû personnellement faire évoluer votre regard, comment ça s’est passé ?

Oh oui, mais clairement, parfois, on me demande : « Mais monsieur, on a fait une recherche Google de tout ce que vous avez dit dans des interviews dans ces vingt ans et on a l’impression que vous changez d’avis. » Et je dis : « Évidemment qu’on change d’avis ! » On a développé des collaborations avec des diasporas africaines, avec des Africains eux-mêmes, on a ouvert nos portes pour ceux qui étaient critiques de ce passé colonial, donc on a appris tous les jours.

Notre environnement a changé fortement, ces dernières années surtout, il y a eu toutes les activités de Black Lives Matter, il y a la commission parlementaire sur le passé colonial, il y a la déclaration de M. Macron sur la restitution qui a suscité tout un débat. Il est vrai que nos pensées ont évolué, mais pas uniquement. Moi, je pense que tout le monde, inclus les diasporas africaines, maintenant, regarde notre passé colonial et notre collaboration de façontrès différente en comparaison à il y a vingt ans.

►À écouter aussi : Grand Reportage - Les restitutions d’œuvres à l’Afrique : enquête sur le processus français

Il reste encore du travail à faire à Tervuren selon vous pour continuer d’expliquer ce qu’a été la colonisation ?

Absolument, il y a souvent des gens qui me demandent : « Est-ce que le musée de Tervuren est décolonisé ? » Moi, je dis toujours : « Non, on a fait une première étape, une étape importante, mais il reste beaucoup à faire. » Il faut d’abord une nouvelle façon de travailler avec les diasporas, où elles ne donnent pas uniquement des conseils, mais où elles partagent le pouvoir avec nous. Deuxièmement, il faut re-regarder toutes nos collections, toutes nos collections ont été décrites par des chercheurs blancs, on doit faire de la recherche de provenance pour supporter le processus de restitution, et inclure les Africains dans ces études. Troisièmement, la façon dont nous faisons nos recherches doit être beaucoup plus en partenariat avec les institutions congolaises ou africaines.

Et finalement, ce qui est extrêmement important, c’est de pouvoir appliquer une politique de diversité, pas uniquement parmi le personnel, mais surtout parmi nos organes de gestion. Et là, c’est un défi. Je pense que ça prendra encore une génération pour arriver à un musée qui est complètement décolonisé.

Guido Gryseels, ex-directeur du musée de Tervuren en Belgique.
Guido Gryseels, ex-directeur du musée de Tervuren en Belgique. © press.africamuseum.be

►À écouter aussi : Invité Afrique - Wouter de Vriendt, député belge : « On veut vraiment confronter le passé colonial de la Belgique »

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