Elin Martinez (HRW): plaidoyer pour protéger les jeunes filles-mères, notamment à l’école
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Sur le continent africain, il est difficile pour de nombreuses jeunes mères de poursuivre leur scolarité quand elles sont enceintes. C'est ce qui ressort d'un rapport publié cette semaine par Human Rights Watch. L'organisation affirme que, même si la plupart des gouvernements ont désormais adopté des lois ou des politiques pour protéger l'accès à l'éducation, ces jeunes filles rencontrent des obstacles dans près d'un tiers des pays africains. Des avancées ont toutefois été enregistrées dans plusieurs pays ces dernières années. Elin Martinez, chercheuse à la division droits de l'enfant de Human Rights Watch, est notre invitée.

RFI : A-t-on une idée, pour commencer, du nombre ou de la proportion de jeunes filles dont l’accès à l'éducation est entravé lorsqu’elles deviennent mères, sur le continent africain ?
Elin Martinez : C’est impossible de savoir combien de filles sont affectées par les grossesses précoces et combien sont exclues de l'école parce qu’il n’y a pas de données dans tous les pays africains, même si on sait que l’Afrique a le taux le plus haut de grossesses précoces au monde.
Pourquoi est-ce important que les jeunes mères puissent continuer à étudier après leur grossesse ?
Le droit à l’éducation est l’un des droits les plus fondamentaux pour les enfants, et surtout le manque d’éducation renforce un cycle de pauvreté pour les filles, pour leur famille et communauté.
Les jeunes mères sont confrontées à de nombreuses difficultés, c’est ce que vous dites dans votre rapport, quelles sont les difficultés principales auxquelles elles font face dans leur accès à l’éducation ?
Une fois que l’école apprend qu’une fille est enceinte, cela peut se passer de deux façons. Dans la première, l’école soutient la jeune fille pour qu’elle reste à l’école pour terminer ses études et ne quitte l’école que temporairement pour accoucher. Mais il y a aussi beaucoup de filles (et c'est le 2e cas de figure) , ça dépend vraiment du pays, où on voit que les autorités de l’école, une fois qu’elles apprennent que la fille est enceinte, l’excluent immédiatement. Normalement, cette exclusion est accompagnée par une stigmatisation : les autorités des écoles utilisent ces filles comme exemples d'un manque de moralité, les stigmatisent jusqu’au moment où elles sont exclues, normalement de manière très publique.
Quand il y a des difficultés, est-ce que vous diriez qu’elles sont liées à un manque de politique en faveur de ces filles-mères, est-ce que c’est un manque d’application des textes existants, quels sont les principaux obstacles et blocages ?
La plupart des pays ont des lois ou des mesures de protection pour s’assurer que les filles qui sont enceintes ou les filles-mères peuvent rester à l’école. Il reste un tiers des pays qui n’ont pas ce type de politique. Mais même dans les pays qui ont des politiques très claires, il y a toujours une faiblesse dans la mise en oeuvre de ces mesures au niveau de l’école parce qu’il y a toujours des professeurs ou des autorités au niveau des écoles qui estiment que les filles ne doivent pas rester à l’école si elles sont enceintes.
Dans le deuxième groupe de pays, de nombreuses filles sont affectées par les mariages précoces et des grossesses précoces. C'est le cas par exemple de l’Égypte, du Maroc, de la Mauritanie. On sait que les grossesses précoces, surtout chez les filles qui ne sont pas mariées, sont gravement stigmatisées dans beaucoup de communautés, surtout en Afrique du Nord mais pas exclusivement : les filles sont immédiatement exclues, non pas forcément par leur école mais par leur famille et leur communauté, donc c’est une problématique qui dépasse le cadre scolaire.
Vous donnez dans votre rapport des exemples d’avancées sur le continent africain, des pays où des textes ont été soit abrogés, soit remplacés par d’autres qui font avancer la cause de ces filles-mères. Est-ce que vous pouvez nous donner aussi des exemples de choses qui vont mieux ?
Oui, heureusement il y a de bonnes nouvelles. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, le Togo et le Niger avaient des décrets et une circulaire qui indiquaient l’expulsion immédiate des filles qui étaient enceintes, et surtout l’expulsion immédiate des filles qui sont mères ou bien qui sont mariées. Et à partir de 2019, ces deux pays ont abrogé ces décrets. C’est important parce que si on pense au Niger, le pays avec le plus haut taux de mariages précoces et un des pays avec le plus haut taux de grossesses précoces, beaucoup de filles qui ont été affectées.
En l’Afrique de l’Est, la Tanzanie était l’un des seuls pays dans la région qui avait une politique d’exclusion totale. L’année dernière, la présidente actuelle, une femme (Samia Suluhu Hassan, NDLR), a décidé d’abroger cette décision et ces politiques.
Donc il y a quand même une évolution ?
Oui, c’est une évolution très claire, en une dizaine d’années on a vu ces changements progressifs dans les politiques nationales ; on a vu que les gouvernements acceptaient cette idée de vraiment protéger les filles, dans n’importe quelle circonstance et surtout dans un moment de vulnérabilité.
Et donc quelles sont les solutions que vous mettez en avant, quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour faire avancer ce sujet-là ?
Nos recommandations se concentrent sur l’Union africaine et ses institutions pour qu’elles puissent adopter des mesures qui s’adaptent à presque tous les pays membres, parce qu’on sait qu’il y a presque quarante membres de l’Union africaine qui ont des mesures positives, et ces membres qui ont pris ces mesures peuvent pousser les autres pour que le continent adopte une politique de protection pour toutes les filles.
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