Le grand invité Afrique

Décès d'Elizabeth II: «De nombreux territoires africains ont eu des réactions contrastées»

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Depuis la mort d'Elizabeth II, les hommages affluent de par le monde. Mais certaines voix discordantes se font entendre, notamment en Afrique, chez les anciennes colonies britanniques. Ce qui rappelle certains épisodes sombres de la décolonisation à partir des années 1950, qui se sont notamment déroulés sous le règne d'Elizabeth II. Entretien avec Maud Michaud, maîtresse de conférences à l'université du Mans, spécialiste de la décolonisation britannique.

La reine Elizabeth II avec le président ghanéen Kwame Nkrumah, tandis que son mari danse avec l'épouse du président, Fatia Nkrumah, lors du bal d'adieu donné en l'honneur de la reine et duc à Accra, au Ghana, le 18 novembre 1961. La musique intitulée « bienvenue votre majesté » a été spécialement composée pour l'occasion. Cette image n’a pas manqué de susciter des polémiques.
La reine Elizabeth II avec le président ghanéen Kwame Nkrumah, tandis que son mari danse avec l'épouse du président, Fatia Nkrumah, lors du bal d'adieu donné en l'honneur de la reine et duc à Accra, au Ghana, le 18 novembre 1961. La musique intitulée « bienvenue votre majesté » a été spécialement composée pour l'occasion. Cette image n’a pas manqué de susciter des polémiques. ASSOCIATED PRESS
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À la mort d’Élizabeth II, les Combattants pour la liberté économique (EEF), parti d'idéologie panafricaniste, en Afrique du Sud, ont dit qu’ils ne pleuraient pas la reine. J’imagine que ce n’est pas une surprise cette réaction ?

Maud Michaud : Ce n’est pas vraiment une surprise en effet. Il y a de nombreux territoires en Afrique qui ont des réactions contrastées à la mort de cette reine, qui a été reine à un moment où le Royaume-Uni était encore à la tête de nombreux territoires sur le continent africain et qui a donc vu le vent du changement souffler sur tous ces territoires qui sont devenus indépendants dans les années 1950-1960, parfois dans la violence.

La violence a été particulièrement forte au Kenya où les réactions ont également été très partagées au décès d’Élizabeth II. La guerre de décolonisation était très sanglante. Que s’est-il passé ?

La décolonisation du Kenya a été marquée par le sang et la violence, car c’est un territoire qui faisait un peu exception. C’était l’une des rares colonies de peuplement du continent africain où petit à petit, des colons, notamment des aristocrates, se sont installés sur ces terres qui étaient réputées très fertiles et plus saines que l’Afrique de l’Ouest, et ont créé là-bas de grands domaines de plantation de thé et de café notamment, en déplaçant et en expropriant des agriculteurs autochtones, notamment ceux qui appartenaient à l’un des peuples kényans bantous, qui s’appelait les Kikuyus. Et dans les années 1950, certains de ces agriculteurs décident de se rebeller contre cette présence de colons britanniques blancs qui les ont expropriés, qui les empêchent de voyager librement également et qui décident d’essayer de faire valoir leurs droits contre cette minorité blanche. On parle d’environ 10 000 colons blancs qui tiennent à la fois les institutions politiques du pays, mais également, bien entendu, toute l’économie qui tourne autour de l’agriculture de ce pays.

Cela a été la révolte de ce qu’on a appelé des « Mau Mau ». Comment l’empire britannique a tenté de briser ce mouvement ?

Les Mau Mau étaient au départ une société secrète qui utilisait des méthodes assez violentes, notamment à l’encontre d’autres Kényans, d’autres Kikuyus qui, selon eux, collaboraient avec les Britanniques. On assiste à des actes terroristes, des assassinats et les Britanniques déclarent l’état d’urgence en 1952 pour lutter contre cette société secrète. Et la façon dont les Britanniques ont maté cette rébellion, en tuant, en exécutant, en pendant les rebelles -on estime qu’il y a environ 20 000 rebelles tués durant cette période, de 1952 en gros jusqu’à 1960-, notamment en utilisant des camps de détention, des camps de travail. Et durant très longtemps, le gouvernement britannique a bien fait en sorte de cacher toutes les archives qui pouvaient documenter cet épisode sanglant de la décolonisation de l’empire britannique. Je pense que ce qui s’est passé en 2013 avec la compensation et les excuses formelles qui ont été données à certains vétérans ont en fait ouvert la porte à d’autres demandes de la part d’autres territoires du Commonwealth aujourd’hui, ou tout simplement de l’ancien empire britannique. Donc, c'est des procès qui sont peut-être à venir puisque l’institution, qu’est la monarchie, a du mal encore à regarder en face et à documenter, à offrir la documentation nécessaire pour que des enquêtes d’historiens soient faites sur ces problématiques. En 2013, le procès, qui a ainsi vu certains Mau Mau gagner et être compensés pour les torts et les tortures qu’ils avaient subies dans les années 1950 au Kenya, avait été rendu possible grâce au travail d’historiens.

On pourrait répondre quelque part que la reine Élizabeth II n’y est pour rien dans ces violences ?

Tout à fait, bien entendu. Ce n’est certainement pas la reine qui a ordonné que ces révoltes soient matées dans le sang, mais son gouvernement, son administration coloniale et ceux qui la représentaient dans ces territoires le faisaient en son nom, puisque c’était bien une colonie de la Couronne.

Un autre pays africain où la décolonisation a entraîné des troubles, c’est le Ghana. Pourtant, l’empire britannique a géré ce processus très différemment de celui du Kenya. Les violences ont été bien moindres. Pourquoi et comment cela s’est passé au Ghana ?

Les discussions avec les leaders indépendantistes se faisaient beaucoup plus sereinement. Et il est vrai que pendant un moment, le Ghana a pu faire figure de décolonisation modèle. C’est le premier territoire qui devient indépendant de l’empire britannique grâce aux actions du président Kwame Nkrumah. On a en tête les images de la reine Élizabeth qui danse avec Kwame Nkrumah lors d’un sommet où elle semble avoir voulu justement montrer que, même si le Ghana était devenu indépendant, il faisait partie de la grande famille du Commonwealth. Donc, au Ghana, les choses se sont passées vraiment complètement autrement, même en dehors du continent africain.

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