Le grand invité Afrique

Saleh Kebzabo: le gouvernement de transition va «amener le Tchad à des élections libres et sincères»

Publié le :

Saleh Kebzabo a été nommé Premier ministre du Tchad ce mercredi 12 octobre. Ancien adversaire farouche d’Idriss Déby, il devient donc le chef du gouvernement de son fils. Alors que le pays entre dans une seconde phase de transition de 24 mois devant déboucher sur des élections, celui qui a beaucoup œuvré lors des derniers 18 mois explique pourquoi il a accepté cette mission. 

Au Tchad, Saleh Kebzabo a été nommé Premier ministre le 12 octobre 2022.
Au Tchad, Saleh Kebzabo a été nommé Premier ministre le 12 octobre 2022. © AFP/Marco Longari
Publicité

RFI: Pourquoi avez-vous accepté de devenir le Premier ministre de la transition ?

Saleh Kebzabo : J’ai accepté cette lourde charge parce que je suis dans la transition, dans la pré-transition d’abord qui est en train de prendre fin, et puis dans la transition ensuite, depuis la mise en place du nouveau système. J’ai apporté ma contribution à tous les niveaux. J’ai participé à la préparation du dialogue lui-même en tant que vice-président du Codni [Comité d'organisation du dialogue national inclusif]. J’ai fait trois pays africains de l’Ouest pour le pré-dialogue et puis ensuite, j’ai participé au pré-dialogue de Doha avec les politico-militaires pendant cinq mois. Et j’ai participé à tous les dialogues à Ndjamena. Je pense que tout cela est assez motivant pour accepter tout ce qui va s’en suivre.

Est-ce une récompense pour les services rendus pendant les derniers 18 mois ?

Le récompense, je l’ai déjà eue. Après Doha, on m’a décoré de la plus haute fonction honorifique du Tchad, je crois que c’est suffisant.

Cette implication, c’est parce que vous croyez vraiment que cette transition peut changer le système tchadien ?

Je ne fais jamais ce en quoi je ne crois pas et je m’implique toujours quand j’y crois. C’est ce que j’ai fait, je me suis donné corps et âme, et tous les Tchadiens le savent. Tout ce processus que je viens de décrire qui est parti depuis l’année dernière jusqu’à aujourd’hui, je me suis impliqué à fond parce que j’y crois profondément. Et je pense que les Tchadiens ont là la seule opportunité de mon point de vue de se réconcilier, de faire en sorte que vraiment la page douloureuse du passé, on la tourne définitivement -et c’est possible-, et qu’on envisage l’avenir. Je crois que le dialogue nous en a offert toutes les perspectives. Nous devons saisir toutes les opportunités et faire en sorte que ça change. Et c’est possible que ça change.

Vous avez passé plusieurs décennies à vous opposer à Déby père. Pourquoi aujourd’hui travailler pour Déby fils ? Est-ce qu’il est différent de son père ?

Je n’ai pas de problème de patronyme. Je n’ai pas de problème de Déby-famille, Déby Itno et autres. J’avais une opposition politique farouche contre le président Déby [Idriss Déby Itno] qui est décédé, paix a son âme. Je ne veux pas transporter ce combat-là de père en fils ou de fils en père.

Certains vont vous accuser d’être la caution de la transmission dynastique du pouvoir ?

Mais quand on est dans la vie politique active, il faut être prêt à recevoir tous les mots, voire toutes les accusations pourvu que vous soyez quitte avec vous-même, avec votre conscience, avec votre pays, dans ce que vous faites.

Et vous êtes quitte avec la possibilité de participer aux élections en ce qui concerne Mahamat Idriss Déby à la fin de la transition ? L’éligibilité, ça vous va ?

Les élections sont ouvertes à tous les Tchadiens, sauf ceux qui sont frappés par la loi. Je n’en suis pas. Il y a eu des manœuvres pour m’éliminer avec la règle des 70 ans. Et finalement, on l’a fait sauter. Donc, tous les Tchadiens, qui sont en accord avec la loi, avec leur conscience, avec eux-mêmes et qui ont la capacité physique et morale, sont libres d’être candidats.

Y compris le président de la transition ?

Cela a déjà été dit, vous-mêmes vous en avez parlé ces derniers jours.

Mais est-ce que vous ne risquez pas de vous couper de vos partenaires internationaux, notamment de l’Union africaine qui s’oppose à cette éligibilité des dirigeants de la transition ?

Je pense que les premiers moments passés, je crois que les partenaires du Tchad devront sans doute revenir à de meilleurs sentiments, parce que l’année dernière, on était dans les mêmes circonstances, ils ont trouvé que le Tchad était une exception. Cela n’a pas changé, le Tchad est toujours une exception. On ne change pas en un an et demi. Et je crois qu’on va revenir sur cette question pour permettre aux Tchadiens, qui se sont réunis dans un dialogue national inclusif et souverain [de décider]. Ce sont vraiment des représentants de la nation qui ont parlé et qui ont pris une décision. Il ne faudrait pas que les organisations extérieures viennent contredire les vœux exprimés par les populations tchadiennes.

Votre priorité, c’est d’organiser des élections crédibles dans 24 mois ?

L’une des priorités en effet. Pour arriver à des élections crédibles dans 24 mois, il faut passer par plusieurs cases, par la case sécurité, par la case réconciliation, par la case réforme de l’armée et différentes autres cases qui sont tout aussi importantes. C’est l’ensemble de tout cela qui va nous amener à de bonnes élections. Et croyez-moi, j’en suis vraiment fier parce que je me suis battu pendant 25 ans pour avoir des élections transparentes. J’en ai l’opportunité aujourd’hui et croyez-moi, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir et tout ce que dieu va me donner comme capacités pour faire en sorte que le Tchad ait enfin des élections transparentes et que le Tchad soit un pays exemplaire, sinon en Afrique centrale, du moins dans toute l’Afrique du point de vue de la démocratie ouverte.

Justement, vous vous en êtes plaint pendant des années du fait que le Tchad n’avait jamais eu d’élections transparentes. Est-ce que vous avez obtenu des garanties pour que ce soit différent la prochaine fois ?

Je crois que le dialogue a dessiné toute l’architecture qu’il faut pour aller à des élections transparentes. Nous allons nous y atteler dès maintenant. C’est donc l’ensemble des Tchadiens qui sont interpelés. Il n’y en a pas qui vont rester sur la touche ou qui vont rester aux fenêtres pour parler. Il faut que tout le monde mette la main à la pâte. Et c’est ainsi qu’on aura des élections transparentes. C’est l’affaire de tous. C’est l’affaire de toutes les couches de population de notre pays. Ce n’est pas la faute d’une catégorie ou d’une infime minorité.

Vous avez 75 ans. Est-ce qu’organiser ces bonnes élections serait votre héritage politique ?

Ça peut, si vous voyez les choses de cette façon-là, c’est bien. Mais ce qui est certain, c’est que tant que Dieu m’en donnera la force, les capacités et les moyens, je donnerai tout ce que j’ai pour servir ce pays pour l’amener vraiment à sortir des ornières, pour être un pays libre et démocratique. Je le ferai, c’est ça mon souhait.

Justement le président de la transition a dressé une liste de priorités, une liste étoffée. Est-ce que vous vous sentez d’attaque pour mener de front tous ces chantiers qui sont nombreux ?

C’est un défi. C’est un défi commun, et ce n’est pas un défi personnel, ni pour lui ni pour moi. Il n’a fait que relever ce que le dialogue a dit. Nous sommes à l’écoute du dialogue qui a duré 45 jours pour lequel les Tchadiens se sont exprimés en toute liberté. Et ce qu’ils ont dit, il ne faut pas l’oublier. Je crois que c’est ainsi que je commence ma charge, je me remets à l’écoute du dialogue et je suis ouvert au dialogue.

Hors des élections, quelles sont les priorités : c’est la lutte contre la corruption, contre les délestages, l’accès à l’eau potable, les conflits intercommunautaires ?

Vous avez cité les principaux [problèmes] sur lesquels on peut axer notre action. Mais je dis, attention, un gouvernement de transition n’est pas un gouvernement normal. Nous ne sommes pas un gouvernement ordinaire qui va tout prendre en charge et qui va vouloir tout faire pour le pays. Non. Nous avons une mission spécifique qui est d’amener ce pays à des élections transparentes, libres, sincères. Et pour y arriver, il faut baliser la route par la paix -La paix d’abord est le facteur numéro 1-, par les soucis des conflits intercommunautaires qui est un problème de sécurité, par les conflits entre les éleveurs et les cultivateurs, par d’autres soucis liés à des pratiques comme celles que vous avez citées, la corruption et tout ce que ça peut entraîner comme corollaire, et aussi le nationalisme, le patriotisme, remettre les Tchadiens au travail parce que ce pays ne travaille pas. Les Tchadiens ne travaillent pas depuis près de 40 ans. Il faut qu’ils réapprennent à travailler. Il faudra construire un État de droit dans lequel il fait bon vivre, avec le respect de toutes les libertés : liberté d’association, liberté de manifestation, liberté de participation au parti de son choix, et ainsi de suite.

Concernant votre gouvernement, quand aura-t-on sa composition ?

Dans les jours qui viennent. Il n’y a pas de précipitation pour ça. On va le faire tranquillement avec le maximum de précautions pour ne pas se tromper. Il faut avoir un bon gouvernement qui va durer deux ans.

Est-ce que vous allez proposer à des membres des Transformateurs et de Wakit Tama de vous rejoindre ?

Le gouvernement sera ouvert à tous les Tchadiens. Je ferai effectivement appel à tous les Tchadiens. Là -dessus, je suis de concert avec le président, nous sommes d’accord qu’il faut faire appel à tous les Tchadiens pourvu qu’ils acceptent de venir dans ce gouvernement. Ils auront leur place.

À Doha, au Qatar, en août 2022, après plusieurs mois de tractations, vous n’avez pas pu rallier tous les groupes rebelles à l’accord, pas le Fact en premier lieu. Pensez-vous pouvoir les ramener à la table des négociations ?

Depuis notre départ de Doha, nous avons toujours dit que l’accord était ouvert. Nous n’allons pas les laisser comme ça, on va travailler à ce que le Fact, le CCMSR [Conseil de commandement militaire pour le salut de la République] et ainsi de suite, ceux qui sont vraiment des mouvements importants sur le terrain, tout comme ceux qui le sont moins, ou ceux qui sont encore en exil, puissent revenir avec nous dans la case commune qui est le Tchad. C’est ça le plus important. Je crois qu’il faut balayer toutes les forces dissidentes qui nous minent inutilement et qui créent des conflits qui perdurent pour rien. Je crois que chacun de ces mouvements a sa place au Tchad. On va essayer de faire en sorte que dans les discussions parallèles ou par pays interposés ou autres, pendant les jours, les semaines ou les mois qui viennent, que les Tchadiens se retrouvent vraiment dans leur intégralité.

Ne craignez-vous pas que ces groupes non-signataires tentent à nouveau de déstabiliser le pays ?

Ils auraient tort de le faire, parce que déstabiliser le pays voudrait dire tenter encore la rébellion armée pour s’emparer du pouvoir par les armes. Voilà quelque chose dont les Tchadiens ne veulent plus. S’il y a un point important sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est bien celui-là. Et je crois qu’il faut qu’il y ait des discussions. Tout est à mettre sur la table. Ceux qui étaient à Doha l’ont fait. Si on pense que l’accord n’est pas suffisant, qu’il y a des points d’ombre, des zones d’ombre ou s’il y a encore des points sur lesquels il faut revenir, je pense que c’est tout à fait possible et c’est tout à fait normal. L’accord est ouvert.

► À lire aussi : Tchad: Saleh Kebzabo nommé Premier ministre

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes