Langue méroïtique: «Le déchiffrement d'une écriture c'est tout ou rien»
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« Je tiens mon affaire ». C’est par ces mots qu'en 1822, Jean-François Champollion annonce à son frère aîné qu’il vient de réussir à décoder les hiéroglyphes égyptiens. Exactement 200 ans après, un autre chercheur français tente de percer le secret du méroïtique, une langue disparue parlée au nord de l'actuel Soudan, au début de notre ère. Claude Rilly, directeur de recherches au CNRS, sera-t-il le Champollion de 2022 ?

Pourquoi Champollion a réussi à traduire les hiéroglyphes égyptiens il y 200 ans et pourquoi on n’arrive toujours pas à comprendre les inscriptions du royaume de Méroé qui prospérait il y a 2 000 ans dans le nord du Soudan actuel ?
Claude Rilly : Dans le cas de Champollion, la langue était en gros connue. C’était l’égyptien ancien. On ne connaissait pas l’égyptien de la période de Ramsès, mais on connaissait le dernier stade de l’égyptien, qu’on appelle le copte. Et donc, l’on peut considérer que la langue, du moins dans un état tardif, était connue. Et en revanche, l’écriture était complexe et était inconnue. Dans le cas du méroïtique, c’est l’inverse. L’écriture est assez simple, elle est presque alphabétique, on appelle cela alpha syllabique. Et elle a été déchiffrée en 1911, donc il y a plus de 100 ans. Et le problème est simplement que la langue n’est pas connue. Alors évidemment, les choses sont beaucoup plus complexes lorsqu’il s’agit de déchiffrer une langue que de déchiffrer une écriture. Une écriture, c’est plusieurs centaines de signes maximum, tandis qu’une langue, c’est au minimum plusieurs milliers de mots. Donc la solution reine, c’est évidemment d’obtenir la position linguistique de la langue, à savoir à quelle langue elle est apparentée. L’idéal, c’est évidemment quand la langue a continué à exister sous une autre forme, c’est ce qui s’est passé avec l’égyptien, avec le grec aussi par exemple. Mais on n’a pas de langue dérivée pour le méroïtique.
Pas de langue dérivée actuellement du méroïtique, mais y a-t-il des langues vivantes qui sont apparentées quand même au méroïtique ?
Oui, tout à fait. Cela a été très très long. Il a fallu une centaine d’années entre le déchiffrement de l’écriture méroïtique et puis la détermination de sa position linguistique, qui est mon œuvre principale en quelque sorte. Il s’agit donc d’une famille qui s’appelle le nilo-saharien, qui contient le méroïtique et puis des langues de sa famille, qui ne sont pas aussi proches par exemple que le français et l’italien. La plus proche, c’est le nubien. Ce n’est pas une seule langue, c’est un groupe de langues, qui est parlé essentiellement le long du Nil entre Assouan et Dongola, et un petit peu au Darfour également, et dans les monts Nouba. Ça, c’est vraiment la langue la plus proche. Puis, il y en a une autre, le nara parlé en Érythrée. Tout un groupe de langues, comme le tama, sont parlées à la fois au Darfour et au Tchad. Et enfin, dans les monts Nouba, se trouvent deux petites langues, l’afitti et le nyimang, qui sont également apparentées, mais d’un petit peu plus loin.
Et aujourd’hui, combien de mots écrits en méroïtique vous arrivez à comprendre ?
Effectivement, c’est la question qui fâche, dans la mesure où une langue, c’est avant tout, je dirais, du vocabulaire. Et le vocabulaire, c’est vraiment le point faible là du déchiffrement du méroïtique. Quand j’ai commencé à travailler dessus, on possédait à peu près la traduction de 40 mots de vocabulaire courant. J’ai à peu près doublé ce nombre. Et si on met ensemble les noms des villes par exemple, des pays et les noms des dieux notamment, on arrive à peu près à 150 mots, ce qui est vraiment très peu. Une langue naturelle, c’est plusieurs milliers de mots.
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Et est-ce qu’un jour, vous pourrez crier comme Champollion à son frère : « Je tiens mon affaire » ?
Probablement pas (rires). Probablement pas, parce que le déchiffrement d’une écriture, c’est tout ou rien, c’est-à-dire qu’on passe de rien à tout. J’exagère un peu parce qu’il y a quand même quelques étapes intermédiaires, mais en gros c’est ça. Tandis que la langue, c’est quelque chose d’arithmétique. On va au fur et à mesure comprendre de plus en plus de mots. Puis à un moment, on pourra basculer dans la compréhension totale d’un texte. C’est déjà fait pour les textes funéraires. Ils sont compris à 98%. En revanche, les textes royaux, par exemple, qui nous racontent les règnes qui sont évidemment importants pour la compréhension de l’histoire, cela a bien avancé, mais on est à peu près à 30%.
On saura s’il y avait des femmes pharaons au royaume de Méroé ?
Ça, on le sait déjà. On le sait depuis longtemps, puisque, même avant que les textes méroïtiques ne soient déchiffrés, on possédait les textes des auteurs classiques, des historiens. Et Strabon, un Grec, qui écrivait au 1er siècle avant JC, nous raconte comment Rome a eu fort à faire avec la candace, c’est le nom de ces femmes qui sont à la tête du pouvoir, qui sont des reines régnantes, avec la candace Amanirenas qu’il décrit comme une « femme masculine, borgne, tapant dur au combat ». Effectivement, on savait depuis très longtemps que, dans le royaume de Méroé, les femmes pouvaient exercer le pouvoir et même mener des armées à la guerre.
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