Le grand invité Afrique

Jean-Pierre Cabestan: «Le Parti communiste chinois adopte une politique 'attrape-tout' en Afrique»

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À l’heure de son 20ème congrès, le Parti communiste chinois est-il encore un parti marxiste-léniniste qui essaie d’exporter la révolution dans le monde, comme au temps de Mao Zedong ? Il est permis d’en douter quand on apprend que, dans le monde, le PCC a noué des relations politiques avec quelque 600 partis, dont 110 partis africains, qui pour la plupart n’ont rien à voir avec le communisme. Pourquoi cette nouvelle stratégie ? Jean-Pierre Cabestan est chercheur à l'Asia Centre de Paris et vient de publier aux Presses de Sciences Po une édition actualisée de son célèbre ouvrage, La politique internationale de la Chine. En ligne de Hong Kong, il analyse la nouvelle politique africaine de la Chine au micro de RFI.

Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS rattaché à l’Institut de recherche français sur l’Asie de l’Est (IFRAE) de l’INALCO.
Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS rattaché à l’Institut de recherche français sur l’Asie de l’Est (IFRAE) de l’INALCO. © ifrae.cnrs.fr/ifrae
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RFI: Jean-Pierre Cabestan, on voit bien les causes économiques de l'offensive de la Chine en Afrique, mais quelles sont les causes politiques ?

Jean-Pierre Cabestan: Je pense que la principale motivation politique de la Chine, c'est de gagner les pays du sud pour isoler le nord, un petit peu comme Mao Tse Toung entourait des villes en occupant les campagnes à l'époque de la guerre civile. Je prends cette image parce qu'il y a vraiment une stratégie chinoise d'affaiblissement du nord, en gagnant à sa cause des pays du sud.

Et quels sont les instruments de cette influence politique pour la Chine ?

Alors les instruments, ils sont multiples, il y a d'abord un activisme diplomatique sans précédent, c'est impressionnant de voir combien les responsables chinois se rendent dans les pays du sud, notamment en Afrique, contrairement à beaucoup de responsables des pays du nord, je pense d'abord aux États-Unis, dont les présidents se rendent très rarement en Afrique.

Et vous dites que le ministre chinois des Affaires étrangères se rend en Afrique tous les mois de janvier ?

Oui, alors ça, c'est une tradition qui remonte au début des années 1990, par exemple, au début de cette année 2022, ce ministre, le ministre Wang Yi, est allé aux Comores, qui est un pays petit d'une certaine manière, mais en fait, c'est un pays où la Chine a déployé un activisme, notamment pour marginaliser l'influence de la France.

Autres instruments d'influence ?

Alors les autres instruments d'influence, ce sont les relations de partis à partis, ça, c'est relativement nouveau, parce qu'autrefois le parti communiste chinois avait surtout des relations avec les partis communistes ou les mouvements révolutionnaires, les mouvements de guérilla. Maintenant, le parti communiste chinois a adopté une politique attrape-tout qui vise à avoir des relations d'abord avec tous les partis au pouvoir, mais aussi avec les partis d'opposition. Et donc la Chine affiche des relations avec plus de 600 partis politiques au monde, dont une centaine, 110 exactement, en Afrique, c'est impressionnant cet activisme politique. Et plus récemment, ce fut illustré par la construction de cet institut de formation des cadres des partis politiques près de Dar es Salam en Tanzanie, école qui a été inaugurée il y a très peu de temps par l'ambassadeur de Chine dans ce pays.

Et est-ce qu'il y a donc des partis non-communistes, mais qui ont beaucoup d'importance en Afrique centrale par exemple, qui ont peut-être envoyé des délégations à ce 20e Congrès à Pékin ?

Alors, je ne sais pas s'il y a des délégations étrangères parce que la Chine, contrairement à l'ex-Union soviétique, n'accueille pas de délégation étrangère au congrès de son parti, mais le PCC a des relations avec beaucoup de partis qui n'ont aucun atome crochu sur le plan idéologique avec le marxisme-léninisme, je pense notamment au parti dominant de Paul Kagame au Rwanda, le FPR, ou alors aux partis politiques, notamment au Sénégal ou au Mali, qui ont des orientations très différentes.

Et puis alors ce qui est intéressant, c'est qu'on voit que la Chine soutient aussi des pays africains qui sont isolés sur la scène internationale, je pense au Burundi, pourquoi cette stratégie ?

La Chine essaye d'être présente dans tous les pays, afin de maximiser les voix à l'ONU, et surtout la Chine essaye d'accroitre son influence dans des pays qui sont justement négligés, profitant de cette absence d'attention pour avancer ses pions. Alors c'est vrai au Burundi, c'est vrai dans un pays qui est extrêmement isolé comme l'Érythrée, où la Chine est l'un des principaux partenaires politiques et économiques de ce pays, et donc la Chine est partout et je crois que ce qui compte pour la Chine, c'est le nombre de voix à l'ONU qu'elle pourra engranger lors de votes qui sont, pour elle, importants.

Vous dites joliment que la Chine est "agnostique", qu'elle soutient indifféremment tous les régimes africains, et notamment les régimes autoritaires et stables comme en Angola, au Congo-Brazzaville, en Guinée Équatoriale, au Cameroun, mais le jour où l'un de ces pays connaitra un changement de régime, est-ce que le PCC a conscience qu'il risquera d'être mal vu dans ce pays ?

Alors la Chine a deux atouts, je dirai, pour faire face à ce genre d'imprévus. Le premier, c'est un atout économique, c'est que les pays africains, quelle que soit leur orientation politique, ils savent qu'ils ont besoin de la Chine. Le deuxième atout, c'est la flexibilité, je prends pour exemple l'élection en 2021 d'un nouveau président en Zambie, la défaite de Lungu, qui était très proche de la Chine, n'a pas inquiété outre mesure Pékin, qui a tout de suite pris langue avec le nouveau président, qui lui-même s'est montré extrêmement pragmatique.

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