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RDC: un report des élections en 2024? L'opposant Martin Fayulu ne dit pas non, mais…

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L'homme politique congolais Martin Fayulu, leader du parti ECIDE, est l'invité de RFI et de France 24. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier et Marc Perelman.

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Martin Fayulu, le 27 octobre 2022 dans les studios de RFI et France 24.
Martin Fayulu, le 27 octobre 2022 dans les studios de RFI et France 24. © RFI
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Des élections en 2024 ? L’opposant congolais Martin Fayulu l’envisage, car il entend l’avis des experts qui estiment qu’il est impossible d’avoir des élections correctes et impartiales dans les délais, c’est-à-dire avant le 31 décembre 2023. Mais le leader du parti ECIDE (Engagement pour la citoyenneté et le développement) et candidat à la prochaine présidentielle, pose deux conditions.

Premièrement, que l’actuel président Félix Tshisekedi quitte le pouvoir dans les délais constitutionnels, c’est-à-dire au plus tard le 23 janvier 2024. Deuxièmement, que le président de transition (le président du Sénat, selon la loi), qui lui succédera, organise les élections présidentielle et législatives dans un délai maximum de quatre mois, c’est-à-dire avant le 23 mai 2024, comme le prévoit la loi en cas d’empêchement présidentiel.

Dans une interview à France 24 et Radio France Internationale, Martin Fayulu, qui continue de revendiquer la victoire à la présidentielle de 2018 avec 62 % des voix, se dit confiant dans la victoire finale, car il pense que les Congolais sont exaspérés par le « régime corrompu » de Félix Tshisekedi, qui, selon lui, « a dilapidé l’argent public en donnant 21 000 dollars par mois à chaque député au lieu d’équiper l’armée face aux agresseurs rwandais ».

À quelles conditions les prochaines élections seront-elles transparentes ? « À condition que l’Union sacrée de Félix Tshisekedi, le FCC de Joseph Kabila, [sa] coalition politique Lamuka et la société civile se réunissent autour d’une table pour revoir la loi électorale et réexaminer la composition de la CENI et de la Cour constitutionnelle ».

Enfin, suite à la reprise des combats dans l’est du Congo, Martin Fayulu réclame que le Congo rompe ses relations diplomatiques avec le Rwanda et dénonce le projet de déploiement dans son pays d’une force militaire des pays de la Communauté d’Afrique de l’Est. « Le Congo n’est pas dans l’Afrique de l’Est, il est dans l’Afrique centrale », affirme-t-il.


RFI/France 24 : Vous maintenez jusqu’à ce jour avoir gagné la dernière élection présidentielle, vous êtes d’ores et déjà candidat pour la prochaine élection présidentielle prévue fin 2023. Je veux commencer cependant avec la situation qui est grave, on peut le dire, dans l’est de la RDC, on voit qu’il y a des violences qui continuent, les accusations mutuelles d’escalade militaire entre la RDC, le Rwanda. Le président Tshisekedi à la tribune des Nations unies a dénoncé sans détour l’agression militaire directe du Rwanda, les accords bilatéraux ont été suspendus… Le président Tshisekedi fait-il ce qu’il faut ?

Martin Fayulu : Monsieur Tshisekedi a annoncé l’agression de son ami, son ami qui a réussi à le placer au pouvoir, monsieur Kagame. Si monsieur Tshisekedi avait refusé les deals concoctés par Kagame et Kabila, nous n’en serions pas là. Et si le Congo avait respecté les résultats des urnes, la vérité des urnes, aujourd’hui le Congo serait géré différemment, on n’aurait pas eu cette guerre atroce que le Rwanda nous impose.

Mais le président Tshisekedi accuse le président Kagame de lui avoir planté un couteau dans le dos, de trahison, dorénavant les choses sont claires quand même, il dit les choses clairement, il les dénonce…

Mais il dit les choses clairement quand il me suit, il adopte maintenant mon langage, le langage que j’ai depuis une dizaine d’années, à savoir que c’est Kagame qui est la cause de nos malheurs, et aujourd’hui, parce qu’il ne peut rien faire, c’est ce qu’on appelle la scissiparité, ils sont ensemble, mais ils font ce que le peuple dit, parce que le peuple ne veut pas de cette guerre, le peuple ne veut pas de cette agression, le peuple ne veut pas de cette violence et Tshisekedi n’a pas d’autres choix que de suivre le peuple.

Alors de façon très concrète, est-ce qu’il faut rompre les relations diplomatiques avec le Rwanda ?

Mais tout à fait. La première chose, je l’ai dit et je le répète, on devait renvoyer l’ambassadeur rwandais à Kinshasa et rappeler notre ambassadeur à Kigali, rompre les relations diplomatiques, porter l’affaire à l’Union africaine et aux Nations unies très clairement.

La solution qui est prônée dans l’est de votre pays par la communauté internationale et par Félix Tshisekedi, c’est le déploiement d’une force des pays d’Afrique de l’Est, notamment le Kenya, le Burundi, l’Ouganda… Est-ce que ça ne serait pas quand même une bonne solution ?

Non, ce n’est pas une bonne solution. Le Congo n’est pas dans l’Afrique de l’Est, et ça, c’est monsieur Kagamé qui a amené monsieur Félix Tshisekedi dans cette affaire pour l’avoir davantage, pour balkaniser maintenant économiquement le Congo.

Le Rwanda ne serait pas dans cette force multinationale…

Tout à fait, mais le Rwanda y est, parce que c’est le Rwanda qui est dans le renseignement. Vous savez bien que, dans les opérations militaires, le renseignement, c’est la clef, donc le Rwanda y sera. Donc pour nous, Eastern African Community, ce n’est pas notre affaire, le Congo doit renforcer son armée, entraîner son armée, équiper son armée, et avec la volonté des Congolaises et des Congolais, nous allons gagner cette guerre. Et si nous voulons un renfort, c’est que nous devons nous adresser aux pays partenaires, les vrais, du Congo pour combattre l’agression.

Mais en attendant le renforcement des FARDC, qui va prendre deux ans, trois ans, on fait quoi en attendant ?

En attendant, il faut demander à monsieur Kagame de retirer ses troupes…

Militairement, comment vous allez faire face à toutes ces armées venues au Congo, si vous n’avez pas pour l’instant des alliés forts en dehors de ces pays que sont le Kenya, le Burundi et l’Ouganda ?

Militairement, monsieur Tshisekedi est là depuis près de quatre ans. En quatre ans, on ne peut pas mettre en place une armée équipée, une armée entrainée, une armée qui peut combattre ? Ce ne sont pas les vaillants militaires qui manquent, il y en a eu, Mamadou Ndala a été tué, Bahuma a été tué, pourquoi ? Et c’est depuis Kabila. Cette agression, et ça ne date pas d’aujourd’hui, cette agression, c’est Kabila qui a passé ça à Tshisekedi et donc voilà le proxy, des gens que Kagame a installés, et ces gens-là sont des gens qui mènent un complot contre le Congo.

Alors je veux en venir aux élections, elles sont prévues en théorie fin 2023, en décembre 2023… Félix Tshisekedi a dit à France 24 et RFI, il y a un mois à New York, que le calendrier serait tenu malgré les doutes par exemple du PNUD, mais beaucoup de commentateurs disent « attention, les conditions ne sont pas réunies », est-ce qu’il ne vaut pas mieux faire de bonnes élections propres, transparentes, bien organisées en 2024, plutôt que des élections bâclées et sujet à controverse en 2023 ?

J’ai entendu qu’il a dit qu’il n’y a pas de calendrier, et que le calendrier n’était pas important, et ça, ça m’étonne que quelqu’un, moderne, qui planifie des actions, dise que le calendrier n’est pas important. Mais le calendrier doit être tenu, c’est-à-dire que la date des élections est consignée par la constitution, parce que la constitution de la RDC est claire : le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, cinq ans renouvelables une seule fois. Cinq ans, ce n’est pas cinq ans plus une seconde, donc il faut tenir, c’est une obligation constitutionnelle, c’est un « must ».

Donc maintenant, si on va plus loin, monsieur Tshisekedi s’est lancé dans des opérations de fraudes, le 17 juillet 2020, il met en place la Cour constitutionnelle, il nomme les membres de la Cour constitutionnelle en violation flagrante de la constitution, il se prépare pour l’institution qui proclame les résultats définitifs. Après, il met en place la commission électorale, la CENI, avec que des gens à lui et des gens qu’il a débauchés. Il fait adopter au Parlement une loi électorale en sa faveur, maintenant la CENI est entrée en fonctions et depuis, on ne fait rien. Il faudra absolument avoir les élections, maintenant, comme vous le dites, les experts ont dit que ce n’est pas possible d’avoir des élections correctes, des élections impartiales à temps…

Alors si ce n’est pas à temps, vous savez, il y a un mot qu’affectionnent les Congolais, c’est le « glissement ». Quand nous disons « pas de glissement », qu’est-ce que ça veut dire ? Monsieur Tshisekedi a prêté serment le 24 janvier 2019, cela veut dire que le 23 janvier 2024, il doit partir, « pas de glissement », c’est ça, il part. Mais maintenant, si les experts nous disent un mois, deux mois, trois mois, mais pas au-delà des quatre mois, parce qu’on suit la constitution, nous pouvons retarder les élections pendant ce délai qui est prévu dans la constitution, parce que la constitution, dans son article 75, dit qu’en cas d’empêchement, pour le poste de président à la république, on est tenu de remplacer ce président par le président du Sénat, qui a trois mois pour organiser les élections, si dans trois mois il n’y arrive pas, on lui donne encore un mois, donc quatre mois.

Donc des élections au plus tard en avril 2024 ?

Au plus tard, parce que la constitution permet, si les élections ne sont pas organisées, s’il y a empêchement, que le président parte, et monsieur Tshisekedi le 23 janvier 2024 à minuit doit partir. Et là, on peut regarder et voir ce que dit la constitution, le président du Sénat, est-ce que nous sommes d’accord avec le président du Sénat ? Si oui, ok. Sinon, on s’organise pour mettre quelqu’un de neutre, quelqu’un qui vient de la société civile, pour utiliser cette possibilité constitutionnelle. Si dans trois mois, on organise, c’est bon. Sinon, on donne un mois de plus et quatre mois au total, on organise les élections présidentielle et législatives nationales pour le Congo.

Alors vous dites que la CENI n’est pas indépendante, et du coup pour l’instant votre parti ECiDé n’a pas envoyé de représentant au bureau de la CENI, mais est-ce que ce n’est pas contradictoire, Martin Fayulu, de boycotter la CENI, et de ne pas boycotter les élections ?

Non, on ne boycotte pas la CENI, comme on ne peut pas boycotter les élections. Nous n’avons pas envoyé nos représentants à la CENI, parce que nous ne nous sommes pas convenu sur les règles du jeu, nous ne nous sommes pas convenu sur la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI, donc nous ne pouvions pas envoyer nos éléments, et on ne nous a pas demandé d’envoyer des éléments.

Donc vous renoncez à tout représentant ?

Non, on ne renonce pas. Pour cela, nous disons qu’il faut que toutes les parties prenantes se voient, se rencontrent, et discutent. Il n’y en a pas beaucoup, il y a l’Union sacrée [de Félix Tshisekedi], il y a le FCC [de Joseph Kabila], il y a Lamuka [de Martin Fayulu] et il y a la société civile, ces quatre-là doivent se voir pour recomposer la CENI. Deuxièmement, revoir quelques articles de la loi électorale. Troisièmement, fixer les calendriers. Quatrièmement, parler de la sécurisation des élections. Cinquièmement, voir comment recomposer la cour constitutionnelle. Et sixièmement, voir tout autre élément qui concerne l’organisation des élections.

Ça fait beaucoup de conditions... Vous êtes en tout cas pour le moment officiellement candidat pour 2023, vous parlez à longueur de temps des échecs multiples de Félix Tshisekedi, mais bon, la croissance est à 7 %, le FMI a accordé un prêt de 1,5 milliard de dollars l’an dernier, les rentrées d’impôts, d’après le ministre des Finances, ont doublé en quatre ans, c’est un bilan honorable quand même sur le point économique ?

Les rentrées d’impôts ont doublé, c’est pour payer les politiques, pour donner 21 000 dollars à chaque député et pour s’enrichir et remplir des comptes à l’étranger. Les rentrées sont là, pourquoi l’armée n’est pas équipée ? Pourquoi l’armée n’est pas renforcée ? Pourquoi on ne prend pas d’autres Congolais qui sont en âge et qui peuvent combattre, pour les former rapidement ? Avec l’entrée de l’argent dans les caisses de l’État, pourquoi il y a toujours la misère du peuple ? La croissance est due, vous le savez, à cause du secteur minier. Mais cette croissance, est-ce qu’elle profite aux Congolais ? Et comme on dit au Congo, est-ce que le panier de la ménagère reflète cette croissance ?

Non. La croissance, c’est pour l’enrichissement de monsieur Félix Tshisekedi et de ses amis, ces entrées, c’est pour le vol de la part de ces gens. Aujourd’hui ils ont mis encore en vente aux enchères 23 blocs pétroliers. Tout ça, c’est pour des gens qui n’ont jamais été préparés pour gérer l’État, mais qui ont été préparés pour chercher comment s’enrichir.

Il y a quatre ans, vous n’étiez que deux grands candidats dans l’opposition, vous étiez le principal candidat... L’année prochaine, il va y avoir beaucoup de monde dans l’opposition, notamment vos anciens alliés, Moïse Katumbi, c’est très probable, Adolphe Muzito, il a annoncé qu’il serait candidat. Sans parler de Matata Ponyo et pourquoi pas de l’ancien président Kabila... Une opposition morcelée dans une élection à un seul tour, n’est-ce pas un scénario rêvé pour le sortant Félix Tshisekedi ?

Kabila ne pourra plus jamais être candidat au Congo. Je vous ai dit : président élu pour cinq ans, mandat renouvelable une seule fois. Kabila a déjà brigué son deuxième mandat...

Alors un représentant du FCC ? 

Un représentant du FCC, oui, mais c’est le peuple qui jugera. La constitution est ouverte et le jeu est ouvert, il faudrait que la population décide, donc il faut qu’il y ait une démocratie.

Vous ne craignez pas tous ces adversaires ?

Non, je ne crains personne, parce qu’en 2018, on m’a dit « voilà, Kabila a mis des moyens énormes et vous allez être battu à plate couture », et c’est moi qui ai battu tous les candidats à plate couture. Donc je n’ai pas peur et j’ai confiance en mon peuple. 

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