Anne Lafont, historienne de l'art: penser l'Afrique comme «un continent en dialogue avec les autres»
Publié le :
C'est l'un des livres marquants de cette fin d'année en matière d'histoire de l'Afrique. Les éditions La Découverte ont publié L'Afrique et le Monde : histoires renouées. Cet ouvrage collectif invite à sortir des cadres géographiques fermés et à voir à quel point l'Histoire s'est faite dans la circulation des hommes et des idées entre l'Afrique et le monde. Anne Lafont, l'une des coordinatrices de l'ouvrage, est notre invitée.

RFI : L’ouvrage que vous co-dirigez avec François-Xavier Fauvelle nous parle d’histoire renouée entre l’Afrique et le monde. Il est nécessaire d’écrire, expliquez-vous, une histoire mondiale de l’Afrique et une histoire africaine du monde, qu’est-ce que ça veut dire ?
Anne Lafont : Alors c’est assez simple comme concept, c’est-à-dire de ne pas penser qu’il y a un continent qui est seulement un continent qui subit finalement les actions des autres populations sur Terre, mais bien qui est en dialogue, en discussion avec les autres et qui est aussi en interaction. Donc, c’est penser les formes de diasporas, comment l’Afrique s’est exportée dans le monde, mais c’est aussi penser comment elle a accueilli, dans les luttes, dans les violences et aussi dans l’hospitalité, les différentes sociétés d’ailleurs qui sont venues s’installer sur place.
Alors justement, au sujet de cette connexion de l’Afrique et du monde, on retrouve dans plusieurs chapitres une référence à l’idée d’un « Atlantique noir » qui se serait formée à partir de la traite esclavagiste, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qu’est cet « Atlantique noir » ?
J’ai emprunté cette expression à Paul Gilroy qui est un auteur, un sociologue culturel britannique, et en fait ce qu’il essaie de mettre en avant, c'est de penser que cette circulation entre l’Afrique et l’Atlantique, à l’époque de l’esclavage, a ouvert à une culture qui serait propre finalement à cet « Atlantique noir » et que malgré le dénuement des Africains réduits en esclavage, ils transportent avec eux justement toute une culture qui renaît notamment dans les colonies américaines et qu’il peut être intéressant de pointer. Donc « l’Atlantique noir », c’est à la fois ne plus penser un centre qui soit continental, mais bien Atlantique, océanique, et par ailleurs de mettre l’accent sur la contribution africaine, justement au développement de cette modernité, qu’est la période qui va du XVème au XIXème siècle.
Alors dans le chapitre que vous signez, Anne Lafont, vous nous expliquez aussi que la naissance de l’art baroque a pu avoir lieu grâce aux échanges, aux déplacements qui existaient entre l’Occident et l’Afrique, comment s’est fait cet apport africain à l’art baroque international ?
Alors, il y a deux niveaux. D’abord, je crois qu’on doit penser désormais un certain nombre d’artistes et prendre connaissance du fait qu’il y avait des artistes noirs, notamment au Brésil, mais aussi en Espagne, qui ont contribué justement à la fabrique de l’art baroque traditionnel, comme on l’entend dans les Beaux-Arts en Europe. Et je pense à Juan de Pareja qui était d’abord l’apprenti de Velásquez et qui était métisse donc, qui a une carrière ensuite, qui fait notamment un tableau très connu qui s’appelle la Vocation de Saint-Matthieu. Il y a Aleijadinho qui est un artiste, un sculpteur brésilien du baroque international brésilien du XVIIIème siècle. Et puis, il y a un autre aspect qui est plus une colonisation par les motifs et par l’iconographie, qui correspond en fait à un certain nombre d’objets africains qui passent par les cabinets de curiosité européens, et que l’on retrouve aussi dans les tableaux.
Alors ce que l’on découvre aussi avec vous, c’est que les Lumières, le mouvement des Lumières, n’a pas été uniquement un mouvement européen et qu’il a connu des apports africains…
Oui, tout à fait, il y a un certain nombre d’Africains et d’Africaines, puisque je parle de Phillis Wheatley qui était une poétesse noire, qui ont été esclaves, qui à travers cette expérience d’esclave accèdent néanmoins à la lecture et à l’écriture, alors que dans la plupart des cas, c'était interdit, il y a toujours des exceptions, et qui au moment de leur émancipation décident de prendre la plume et de témoigner de leur vie. Et à ce compte-là, ils fournissent des arguments à ceux qui veulent abolir l’esclavage. Et on voit que leurs réflexions sur la religion, leurs réflexions sur l’humanisme, sur l’universalisme, leurs réflexions sur l’éducation sont tout à fait les arguments qui sont discutés par les philosophes classiques, je dirais, et souvent Européens, des Lumières.
Et puis, il y a un autre exemple de cette circulation des idées et des Hommes qui est étudié dans votre ouvrage, un exemple tout à fait fascinant, c’est le panafricanisme qui émerge, nous expliquez-vous, dans l’interaction entre des intellectuels noirs de la diaspora et des intellectuels et des hommes politiques du continent…
Absolument, la naissance du panafricanisme, c'est vraiment une prise de conscience, dans certains points du monde, du fait que l’expérience sociale des Noirs est assez commune, qu’il y a des points de convergence, et qu’il est nécessaire désormais de s’organiser finalement de manière solidaire pour penser une réponse et pour accéder à une forme d’émancipation parce que les expériences justement des Noirs en Europe, aux États-Unis, ou dans les Caraïbes finalement peuvent avoir des points de convergence par rapport à une domination blanche, quand même, du monde qui à ce moment-là, est l’objet d’une lutte.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne