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Zipporah Ndione: «Il faut dénoncer les violences faites aux femmes pour que les lois s’appliquent»

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Ce vendredi 25 novembre, c'est la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Un phénomène qui perdure dans ses différents visages : violences conjugales, féminicides, ou encore harcèlements de rue... Mais une mobilisation s'organise, des voix s'élèvent de plus en plus nombreuses pour que la situation change. C'est l'une de ces voix que nous entendons ce matin : celle de la militante féministe sénégalaise Zipporah Ndione, l'une des coordonnatrices du Réseau des jeunes féministes d'Afrique de l'Ouest. 

Zipporah Ndione, est juriste et présidente du Réseau Ouest Africain des Jeunes femmes Leaders du Sénégal.
Zipporah Ndione, est juriste et présidente du Réseau Ouest Africain des Jeunes femmes Leaders du Sénégal. © Studio Graphique / RFI
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RFI : Les violences faites aux femmes avaient malheureusement augmenté pendant la période du confinement, comment est-ce que la situation a évolué depuis le déconfinement de la population ?

Zipporah Ndione : Depuis le déconfinement, on note toujours des cas de violences, il ne se passe pas un jour au Sénégal, sans qu’on entende parlerde cas de violences faites aux femmes et aux filles, des cas de violences sexuelles surtout. Parce qu’on note aujourd’hui qu’il y a beaucoup de cas de violences sexuelles qui ne sont pas connues qui ne sont pas dénoncées. Il y a également beaucoup de féminicides que l’on note dans nos différents pays et ces violences-là attirent particulièrement notre attention dans nos pays.

Vous disiez que ces violences ne sont pas connues, est-ce que c’est parce que ces jeunes femmes elles-mêmes n’osent pas dénoncer leurs agresseurs ?

C’est exactement cela. On note une culture du silence qui s’est répandue dans nos différents pays, et il y a tout un ordre social qui ne favorise pas aujourd’hui la dénonciation. On s’est rendu compte qu’il ne suffit pas seulement d’avoir des lois, encore faudrait-il que les gens puissent dénoncer pour que ces lois-là puissent être effectivement appliquées. Et on s’est rendu compte, dans le cas spécifique du Sénégal où on a eu la loi 2020-05 criminalisant les actes de viols et de pédophilie, qu’il n’y a pas encore de rush dans la dénonciation, il n’y a pas de sensibilisation, les populations ne se sont pas encore approprié la loi.

Vous diriez, Zipporah Ndione, qu’il y a aujourd’hui un problème d’accompagnement des victimes ?

Absolument. Il y a un problème d’accompagnement des victimes parce qu’il n’y a pas encore de structures qui puissent prendre en charge les survivantes de violences à tous les niveaux, que ce soit au niveau médical, judiciaire, ou psychosocial. On sait aujourd’hui qu’il y a par exemple des boutiques de droit qui existent, mais qui ne sont pas encore installées dans toutes les régions du Sénégal. On a vu également qu’il y a certaines structures qui sont mises en place, mais il y a un manque d’accompagnement de ces survivantes qui peut, en tout cas, décourager les survivantes de dénoncer.

Vous disiez tout à l’heure que la culture de la dénonciation n’était pas suffisamment installée dans les esprits, notamment ceux des victimes, mais est-ce que les mentalités ne sont pas en train de changer, est-ce qu’avec tous les mouvements qu’on a vu apparaitre sur les réseaux sociaux les jeunes femmes n’ont pas une parole plus libre maintenant sur ces questions ?

Relativement. Beaucoup de jeunes femmes, on l’a noté, ont une parole plus libre, mais il faut se dire que dans nos pays, il y a encore beaucoup de travail à faire, surtout dans les milieux les plus reculés, dans les milieux ruraux. En milieu urbain, on note, de manière relative, l’émergence de plusieurs figures, mais également de beaucoup d’actions qui sont mises en place, mais le chemin reste encore long.

Est-ce qu’il y a des actions que vous citeriez comme bonnes pratiques ?

Absolument. On a vu au Sénégal le collectif Dafadoy par exemple, qui signifie en wolof : « ça suffit ». C’est un collectif qui a été mis en place dans un contexte d’augmentation des cas de violences sexuelles suivies de féminicides. Grâce à ce mouvement-là, on a vu que ça a poussé et que ça a vraiment favorisé l’adoption de cette loi criminalisant le viol et la pédophilie. Et on a vu qu’après l’adoption de cette loi, le collectif ne s’est pas arrêté là et c’est dans ce cadre-là que nous sommes en train de mener toutes les activités visant à vulgariser la loi, pour faire en sorte que la population puisse s’approprier la loi, mais également accentuer les actions de sensibilisation, surtout à l’intérieur du pays.

Est-ce que l’entrée de plus de femmes dans les Parlements ou les exécutifs permet de faire avancer cette lutte contre les violences faites aux femmes ?

Absolument. La présence de plus de femmes, mais spécifiquement, de plus de jeunes femmes, dans les instances de décisions est une porte d’entrée aujourd’hui pour avoir des changements. Aujourd’hui, le patriarcat perpétue certaines normes sociales, et aujourd’hui, il est très difficile de mettre fin à ce patriarcat, mais on y travaille. Et je pense qu’aujourd’hui, le fait que nos voix soient portées au plus haut niveau, même si c’est un long processus, il y a un travail qui est en train d’être fait et nous espérons que nous arriverons à vraiment mettre fin à toutes ces normes patriarcales qui empêchent les jeunes femmes et les jeunes filles de s’épanouir dans nos pays.

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