Le grand invité Afrique

Hassoumi Massaoudou: le groupe Wagner est «une menace pour la démocratie et les institutions de la région»

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Le sommet États-Unis – Afrique s’est tenu à Washington la semaine dernière. Cinquante délégations africaines s’y sont rendues. Le Niger, que les Américains considèrent comme un pays clé dans leur engagement au Sahel, était présent. Le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, est l'invité de RFI. Quel regard le pays porte-t-il sur les propos du président du Ghana concernant une éventuelle présence du groupe de mercenaires russes Wagner au Burkina Faso ? Quelle coopération avec les États-Unis en matière de sécurité ?

Hassoumi Massaoudou, le ministre nigérien des Affaires étrangères, à Berlin le 11 octobre 2022.
Hassoumi Massaoudou, le ministre nigérien des Affaires étrangères, à Berlin le 11 octobre 2022. © AFP / TOBIAS SCHWARZ
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RFI : Le président américain a annoncé 55 milliards de dollars de financement pour l’Afrique. Il va plaider pour un siège de l’Afrique au G20. Ce sont les deux grosses annonces du sommet États-Unis – Afrique. Est-ce que c’est assez ?

Hassoumi Massaoudou : Le premier bilan, c’est d’abord que ce sommet se tienne, parce que c’est le retour des États-Unis. Il n’y a pas si longtemps, les États-Unis avaient mis une cloche sur l’Afrique. Et aujourd’hui, nous apprécions le fait que l’administration Biden s’intéresse à l’Afrique, mette l’Afrique à son agenda, et s’engage à ce niveau-là. Je trouve cela très appréciable et nous sommes très satisfaits.

Après les engagements des États-Unis, attendez-vous du concret, comme le font d’autres pays – la Chine par exemple – en Afrique ?

Je suis très confiant dans la suite à donner à cet engagement vu la personnalité qui a été désignée, il s’agit de M. Johnnie Carson, le sous-secrétaire Afrique au temps de l’administration Obama. Sa silhouette hantait les sommets de l’Union africaine. Je pense que ce choix est déjà un manifeste pour nous amener à croire que cet engagement sera suivi de faits.

Qu'allez-vous dire à vos autres partenaires, la Chine, la Russie, la Turquie par exemple après ce sommet ?

La Chine, c’est un partenaire économique pour nous. La Turquie aussi. La Russie, pas vraiment. La Russie n’est pas très présente en Afrique au plan économique. Sa présence, malheureusement ces derniers temps [se fait] de manière quasi-criminelle avec une société de mercenaires. Je ne mets pas d’intervention dans notre région, de la Chine au même plan que celle de la Russie. Par contre, avec les États-Unis, nous partageons des valeurs communes. Nous apprécions davantage l’engagement des États-Unis en Afrique.

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Ce faisant, qu'allez-vous dire à la Chine 

Elle est la bienvenue, nous avons de bons rapports avec la Chine. Nous considérons que la présence de la Chine au Niger est bénéfique. Par exemple, l’exploitation du pétrole par la Chine au Niger est positive, parce qu’il n’y avait personne. Par conséquent, nous sommes tout à fait à l’aise dans notre relation avec la Chine et nous accueillons très, très bien cet engagement américain, qui chez nous est déjà un fait. Aujourd’hui, le niveau d’engagement américain sur le plan sécuritaire est très élevé. Son niveau d’engagement sur le plan de l’aide publique au développement est le plus élevé, il n’a rien à voir avec l’engagement de la Chine.

Les noms de la Chine, de la Russie, n’ont pas été vraiment prononcés par le président Biden pendant ce sommet. Mais on sent que c’est aussi un sommet pour reprendre du terrain en Afrique. Est-ce que, à un moment donné, les Américains demandent aux Africains un engagement ?

Je n’ai pas senti de demande d’engagement autre de la part des États-Unis. Mais nous sommes engagés sur des valeurs avec les États-Unis. Et nous assumons de manière sereine et à l’aise ce choix d’amitié avec les États-Unis, la France et les pays occidentaux. Évidemment, ces valeurs, nous les partageons avec ceux-ci, pas avec ceux-là. Néanmoins, nous accueillons les investissements, d’où qu’ils viennent notamment de la Chine et de la Turquie.

Le président du Ghana a évoqué la société Wagner dans un entretien avec Antony Blinken, le secrétaire d’État américain. Nana Akufo-Addo a dit que les hommes de Wagner peuvent maintenant s’implanter au Burkina, et qu’une mine, située juste à la frontière avec le Ghana, peut être exploitée par Wagner. Vous confirmez cette information ?

Je ne peux pas confirmer, certainement qu’il a plus d’informations que moi. En ce qui me concerne, je ne l’ai pas encore, mais je pense que c’est une information vraisemblable.

Vous partagez une frontière avec le Burkina. Le fait qu’il puisse y avoir prochainement des éléments de Wagner à votre frontière, vous inquiète-t-il ?

Évidemment, que ça nous inquiète parce que nous n’acceptons pas des mercenaires dans notre espace. Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, c’est condamné par la loi internationale. Et deuxièmement, nous voyons bien le rôle négatif que cela joue, donc nous considérons que c’est une menace pour la démocratie et pour les institutions de la région.

Le capitaine Ibrahim Traoré est allé en déplacement à l’étranger mais il ne s’est pas rendu au Niger. Pourtant, vous êtes des pays très proches. Pour vous, il montre clairement les choix de ses nouvelles alliances et vous n’en faites pas partie ?

Pour le moment, sa trajectoire n’est pas celle que nous souhaitons. C’est pour ça que j’appelle les autorités burkinabè à se ressaisir, à venir dans cet espace-là, conformément aux engagements qu’ils ont pris avec la Cedeao et à avoir des relations sereines avec leurs voisins. C’est notre souhait, c’est notre appel.

Mais vous avez des relations avec le Burkina, vous avez des échanges ?

Là, non. On avait commencé à avoir une coopération militaire avec l’armée burkinabè, avant le coup d’État, mais jusqu’ici, nous sommes dans une situation d’attente. Les relations sont revenues à un niveau zéro. Mais le Burkina occupe encore une place plus centrale que le Mali. Si le Burkina s’effondre et malheureusement les signes sont là annonciateurs, c’est carrément le golfe de Guinée qui est menacé. Donc, par conséquent, c’est une situation très sérieuse à prendre avec beaucoup d’inquiétude. Il faut que la Cedeao considère que le Burkina est une préoccupation majeure numéro un, aujourd’hui, pour notre espace.

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Revenons sur l’engagement américain au Niger, qu'y font les forces américaines ?

Elles font beaucoup de choses. Premièrement, il y a la base aérienne d’Agadez. Une base de drones qui renseigne sur tout ce qu’il se passe dans cet espace ; deuxièmement, sur le plan militaire, ce sont les premiers formés, les bataillons des forces spéciales ; troisièmement, les États-Unis nous équipent de manière considérable : en forces blindées, en matériel de communication, en avions, qui nous permettent de projeter des forces d’un point à un autre. Donc, les États-Unis sont pour nous un allié important dans la lutte contre le terrorisme à travers ses formes multiples de soutien.

Les drones à Agadez, font-ils uniquement du renseignement ?

Pour le moment, ils ne font que du renseignement, oui. Ce ne sont pas encore des drones tueurs. Nous, nous avons acheté des drones de combat avec la Turquie que nous allons utiliser. Mais pour le moment, la fonction essentielle, c’est du renseignement et nous en sommes extrêmement satisfaits.

La France est engagée aussi, elle est basée au Niger. Est-ce que les contours de cette nouvelle force française au Niger, sont maintenant définis et clairs ?

C’est clair. La France, non seulement fait la même chose que les autres, en formant nos forces, en nous équipant aussi, mais là, c’est le seul pays avec lequel nous avons également un partenariat de combat. Les forces françaises basées au Niger combattent aux côtés des forces nigériennes, sous commandement nigérien, les jihadistes. Ça se passe sous un format qui est un peu différent du format de Barkhane, avec des grandes unités et ça se passe bien.

Au niveau des effectifs, cela donne quoi ?

Les effectifs, ce n’est pas très important en réalité. Ce qui est important, c’est la nature du partenariat et les résultats. Les effectifs sont élastiques en fonction de nos besoins.

Mais ils ont augmenté ?

Avant, il n’y avait pas de partenariat de combat. Les forces françaises combattaient au Mali. On avait à la base aérienne de Niamey des forces aériennes de soutien. Maintenant, on a des forces combattantes au Niger, ce qui marque une différence par rapport à la situation d’avant. Du reste, nous avons posé la question à l’Assemblée nationale, il y a eu un vote. Donc par conséquent, nous le faisons en accord avec le peuple nigérien et ce qui nous importe, c’est le résultat.

Il y a pourtant des demandes, dans la société civile, de manifestations – qui sont souvent refusées d’ailleurs – contre la présence des forces françaises au Niger. Le peuple nigérien n’est pas unanimement favorable à cette présence.

Ils sont tout à fait marginaux. Pourquoi parfois est-ce que nous interdisons ces manifestations ? La première fois qu’on les a laissé manifester - d’abord, ils n’étaient pas nombreux – mais on n’a vu que des drapeaux russes. Nous n’acceptons pas que chez nous, voyant ce qu’il se passe ailleurs, que quelques groupuscules donnent l’impression à l’opinion internationale que le peuple nigérien appelle la Russie à venir. Soyons sérieux. Donc, nous n’accepterons pas ça.

Ceux qui s’y opposent disent aussi qu’ils sont nombreux…

Ils sont nombreux, mais ils n’osent pas dire qu’ils sont majoritaires. Mais je ne pense pas que nous allons les laisser défiler avec des drapeaux russes pour donner l’impression qu’il y a une revendication de ce genre-là par rapport à une organisation criminelle de mercenaires de Wagner. Ça, nous n’accepterons pas ça.

Un dernier mot sur l’affaire de Tamou. La société civile a parlé de dizaines de morts, dont des civils. Où en est l’enquête de votre côté ?

L’enquête, certainement qu’elle est en cours. Je ne suis pas très près de cette question, mais je pense que les juridictions continuent l’enquête.

Vous n’avez pas d’autres éléments sur ce qu’il s’est passé à Tamou ?

Non non, je n’en ai pas d’autres, non. Mais une enquête étant ouverte, j’attends les résultats de l’enquête.

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