Le grand invité Afrique

Yacouba Banhoro sur les 50 ans du livre de Ki-Zerbo: «C’était la première fois qu’un Africain noir écrivait sur l'histoire de l'Afrique»

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Il y a cinquante ans, fin décembre 1972, l'historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo publiait son Histoire de l'Afrique noire, d'hier à demain. Un livre fondateur, qui a consacré l'émergence de la première génération d'historiens africains. Quel est le contexte dans lequel cette publication a eu lieu, avec quelles positions Ki-Zerbo a-t-il rompu, à quel point ce livre a-t-il inspiré les historiens actuels de l'Afrique ? Pour en parler, notre invité ce matin est Yacouba Banhoro, historien, maître de conférences à l'université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. Il répond aux questions de Laurent Correau. 

Couverture du livre « Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain 
 » de Joseph Ki-Zerbo.
Couverture du livre « Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain » de Joseph Ki-Zerbo. © decitre.fr
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Pourquoi l’Histoire de l’Afrique noire de Joseph Ki-Zerbo, publiée il y a 50 ans, est-il un des ouvrages importants de l’historiographie africaine ?

Yacouba Banhoro : Dans le monde francophone africain, c’était la toute première fois que non seulement on écrivait une histoire de l’ensemble de l’Afrique noire, mais également qu’un Africain noir écrivait également cette histoire. Il faut dire que c’est à partir des années 1960-1961-1962 que l’histoire même de l’Afrique s’implante en France, notamment à la Sorbonne avec la création de chaires. Et les chaires en France, c’étaient des chaires sur l’histoire africaine qui étaient attribuées à des Français. Et c’est donc pratiquement une décennie après que l’ouvrage de Joseph Ki-Zerbo sort et, cette fois-ci, c’est un Africain qui a eu l’agrégation en 1957 en histoire et qui écrit un ouvrage sur l’histoire de l’Afrique noire. C’est vrai qu’il y avait des historiens qui avaient déjà soutenu leur thèse. Par exemple, en 1955, Abdoulaye Ly, Sénégalais, avait soutenu une thèse d’État [«La Compagnie du Sénégal»] ; il y avait également Cheikh Anta Diop qui avait également soutenu une thèse d’État [en 1960, « L'Afrique noire précoloniale et L'Unité culturelle de l'Afrique noire »]. Donc, il y avait ce fond d’histoire africaine qui était en train de commencer, mais qui n’était pas suffisamment implanté.

Quelle place ce livre tient-il dans l’œuvre de Joseph Ki-Zerbo ?

En 1964, avant Histoire de l'Afrique noire, il avait publié Le monde africain noir. Donc, c’est une deuxième publication. Je pense que c’est l’ouvrage majeur de Joseph Ki-Zerbo. C’est l’ouvrage à partir duquel, vraiment, il a développé d’autres théories, comme le développement endogène par exemple qui est développé dans La natte des autres [1993]. Pratiquement, le fond de ces différents ouvrages parle de l’histoire de l’Afrique noire d’hier à demain.

Avec quel type de récit historique, est-ce que Joseph Ki-Zerbo rompt au travers de cette Histoire de l’Afrique noire ?

L’histoire de l’Afrique n’apparaissait qu’en appendice de l’histoire européenne. Le discours qui prévalait disait que l’Afrique n’avait pas d’histoire, parce que l’Afrique n’a pas d’écriture. Joseph Ki-Zerbo réussit à montrer qu’il fallait utiliser d’autres méthodes en utilisant la tradition orale, en utilisant la linguistique, en utilisant des éléments de l’archéologie, en utilisant des éléments de l’anthropologie, combinés pour pouvoir aboutir à une histoire de l’Afrique noire.

C’est un ouvrage qui raconte toute l’histoire de toute l’Afrique noire…

C’est un ouvrage qui prend l’Afrique noire dans son ensemble depuis pratiquement le paléolithique jusqu’à la création de l’Organisation de l’unité africaine [OUA-1963]. Comme le dit Joseph Ki-Zerbo lui-même, il ne s’agit pas d’une histoire qui est racontée pour toujours. C’est une entreprise scientifique qui est amenée à être mise à jour en fonction justement de l’état des connaissances. Son combat, c’était de dire ''les Africains ont une identité''. Et à partir de cette histoire de l’Afrique, les Africains peuvent se décomplexer des préjugés qu’on avait d’eux dans le monde scientifique, dans le monde occidental, pour pouvoir construire leur avenir avec une certaine sérénité.

Quel est l’héritage de ce livre ? Est-ce qu’il a joué un rôle pour la génération suivante d’historiens burkinabè, et plus généralement africains ?

Oui. Je pense que, quand on lit les différents documents qui ont été publiés en hommage à Joseph Ki-Zerbo, que ce soit par Présence africaine, que ce soit par l’Association des historiens africains, nous voyons que cette histoire-là a marqué tous les historiens du continent, et même au-delà du continent africain, dans la mesure où cet ouvrage a été traduit dans plusieurs langues. Et pour nous, c’était la Bible de l’historien. Et donc, quand on avait besoin de quelque chose sur l’histoire de l’Afrique, pendant nos exposés, on commençait bien sûr par là.

Et 50 ans après, est-ce que cette histoire de l’Afrique noire, c’est un texte que vous recommandez toujours à vos étudiants, c’est encore un texte à lire aujourd’hui ?

Oui. C’est un texte à lire. Quand on relit pratiquement la partie méthodologique de l’ouvrage de Joseph Ki-Zerbo, on voit qu’elle est très actuelle et nous l’enseignons toujours dans nos universités. On peut naturellement varier les domaines d’investigation et innover en matière de récolte d’informations et d’analyses d’informations, mais la méthodologie de l’histoire qu’il a eue à décrire dans son ouvrage, de mon point de vue, cette méthodologie reste toujours valable. Et je pense que les historiens doivent s’en approprier, même s’ils veulent innover.

À (ré) écouter :  Joseph Ki-Zerbo, pionnier de l’histoire africaine

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