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Présidentielle au Nigeria: la violence, un «cercle vicieux» dans lequel l’Etat a une responsabilité

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Les élections présidentielles de la fin février au Nigeria pourront-elles se tenir dans suffisamment de régions du pays pour que les résultats soient valables ? L'un des responsables de la commission électorale a évoqué en début de semaine les risques d'annulation ou de reports créés par l'insécurité... Mais quelle est l'ampleur de cette insécurité ? Quelles en sont les causes ? Pour en parler notre invité ce matin est le chercheur Vincent Hiribarren, maître de conférences au King's college à Londres.

Depuis 2009, la guerre provoquée par le groupe terroriste Boko Haram dans les pays du bassin du lac Tchad n’en finit pas et alimente encore aujourd'hui les violences, qui pourraient compromettre le bon déroulé des élection présidentielles au Nigéria. Photo de Ngarannam, État de Borno, Nigéria, le 22 octobre 2022.
Depuis 2009, la guerre provoquée par le groupe terroriste Boko Haram dans les pays du bassin du lac Tchad n’en finit pas et alimente encore aujourd'hui les violences, qui pourraient compromettre le bon déroulé des élection présidentielles au Nigéria. Photo de Ngarannam, État de Borno, Nigéria, le 22 octobre 2022. REUTERS - CHRISTOPHE VAN DER PERRE
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RFI : Le président de la commission électorale nigériane dit que l'insécurité pourrait déboucher sur l'annulation ou le report des élections dans suffisamment de circonscriptions pour empêcher la proclamation des résultats. Est-ce que cette violence est localisée dans certaines régions ? Ou est-ce qu'elle est diffuse sur la plus grande partie du territoire ?

Vincent Hiribarren : Depuis les dernières élections, effectivement, la violence s'est diffusée dans beaucoup de parties du territoire nigérian, et c'est sans doute la nouveauté par rapport aux précédentes élections. Depuis 2011, tout le Nigeria est menacé de violence. Dans tout le pays, on a plusieurs sortes de violences. On a régulièrement donc des reports d'élections. A chaque élection présidentielle, on annonce que ces élections vont être reportées à cause de la violence, et c'est effectivement la raison pour laquelle la commission électorale veut reporter ces élections encore une fois.

Dans ce contexte de violence généralisée, est-ce qu'on a tout de même des zones du Nigeria où la violence est plus forte qu'ailleurs ?

Oui, le nord-est du Nigeria est toujours en guerre, ça fait maintenant plus de dix ans que le pays est en guerre contre Boko Haram ou les différentes factions issues de Boko Haram. Dans le nord-ouest, on a des violences qui sont liées plutôt à ce qu'on appelle vaguement le banditisme, mais qui sont, en fait, liées à des conflits entre éleveurs et agriculteurs, entre éleveurs eux-mêmes mais aussi -surtout- avec des tensions nées des mines d'or dans l'Etat de Zamfara, qui est un état du nord-ouest du Nigeria. On a aussi quelques zones dans le delta du Niger où, clairement, là aussi, on a ces problèmes de pétrole, ces problèmes de piraterie qui sont plus violents qu'ailleurs. D'année en année, effectivement, on a l'impression que la situation sécuritaire empire.

Est-ce que ces violences signifient que dans de nombreuses régions, l'Etat nigérian est absent, ou est en recul ?

On a quand même un Etat qui s'occupe très peu de la plupart des régions du pays, qui se concentre dans les grandes villes, qui a du mal à contrôler certains territoires. On peut dire que dans certaines régions rurales en particulier, effectivement, il est en recul ou a du mal à trouver des points d'appui très forts. Alors c'est pour ça qu'on parle de la création par exemple de milice dans de nombreuses parties du pays... On a un Etat qui n'hésite pas aussi à envoyer l'armée pour faire le travail de la police, une armée qui est très violente. C'est un des facteurs qui explique cette violence au Nigeria : c'est une armée qui répond à la violence par la violence, cela fait partie d'un enchainement, d'un cercle vicieux, ce qui fait que la violence est tout le temps là au Nigeria.

Quelles sont les conséquences au quotidien de ces violences pour les populations ?

Beaucoup de personnes vivent dans une insécurité permanente... Et, au jour le jour, on peut le voir : dès qu'il fait nuit, les gens ont de plus en plus tendance à rentrer chez eux, même dans les grandes villes qui, auparavant, étaient plus ou moins sûres. On a un effet sur la peur de voyager. Prendre la route entre la capitale Abuja et la ville de Kano dans le nord du pays, par exemple, reste très difficile. Beaucoup de personnes préfèrent soit prendre le train quand c'est possible, ou prendre l'avion... Ça peut être Boko Haram aussi qui tue des musulmans quand ils partent à la Mosquée le vendredi. Ça peut être énormément de moments de la vie quotidienne qui sont menacés au Nigeria.

Est-ce que la campagne électorale génère elle-même de l'insécurité sur une échelle importante au Nigeria actuellement ?

Tous les quatre ans, on a ces élections présidentielles, mais aussi les élections des gouverneurs du Nigeria, un peu comme aux Etats-Unis : ce sont des personnes qui sont à la tête de chaque Etat et ces élections-là en particulier génèrent des tensions politiques très localisées, avec des débats politiques très locaux qu'on aperçoit que très peu. Mais ceux-là en particulier génèrent des violences, puisqu'on accuse souvent de façon très peu masquée son opposant politique d'avoir recours à des violences, c'est-à-dire d'engager une jeunesse désœuvrée, sans emploi, pour impressionner tel ou tel adversaire politique. Alors, évidemment, on a toujours des candidats à la présidentielle qui dénoncent la violence, mais c'est difficilement contrôlable.

La violence est l'un des thèmes de la campagne actuelle ?

Oui, effectivement, cette fois-ci encore, on a la violence au cœur de cette campagne présidentielle avec chaque candidat qui est censé parler de la violence des autres régions et qui ne parle pas beaucoup forcément de la violence qui est dans sa propre région d'origine... C'est un jeu politique qui veut qu'on dénonce la violence chez ses voisins, et on parle moins de la violence chez soi. C'est un passage obligé de cette campagne, avec finalement très peu de solutions qui sont offertes, il y a toujours un discours contre la violence au moment des élections, mais finalement pour l'instant peu de résultats.

Au-delà de la campagne, est-ce que d'ailleurs ce thème de l'insécurité provoque du débat au sein de la société civile, au sein des milieux intellectuels nigérians ? Est-ce que des voix s'élèvent et proposent des solutions ?

Oui, de nombreux universitaires, penseurs, journalistes, travaillent sur cette question. Malheureusement, ces rapports ou tous ces articles ne sont pas forcément écoutés ou lus. Beaucoup tendent à répéter les mêmes choses. On a l'impression d'être coincé dans une sorte de cercle vicieux. On parle beaucoup de la violence, elle est là, mais finalement on n'arrive pas forcément à trouver des solutions applicables directement pour le pays.

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