Mali: «Depuis le départ de Barkhane, il y a une compétition entre les forces terroristes»
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Au Mali, « il y a une montée en puissance de l'armée contre les groupes jihadistes », affirment les autorités militaires de transition. Mais qu'en est-il réellement ? Quel rôle jouent les supplétifs russes dans ce combat contre les groupes terroristes ? Dans son dernier rapport, le Timbuktu Institute dresse un bilan de l'année 2022 sur le plan sécuritaire. Entretien avec Bakary Samb, directeur régional de ce centre d'études africain sur la paix.
RFI : Quel est le bilan des actions de l’armée malienne contre les groupes jihadistes pour l’année 2022 ?
Bakary Samb : Il est vrai qu’on nous a annoncé, à coups de communiqués, une forme de montée en puissance de l’armée malienne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, mais il s’est trouvé que présentement cette fameuse montée en puissance, c’est contre les communautés. On nous a parlé beaucoup d’une montée en puissance de l’armée, mais ceci ne s’est pas traduit par la reconquête d’espace, et l’on sait que, pour le centre du Mali, c’est aujourd’hui dominé par la Katiba Macina et que les éléments d’Al-Qaïda sont actuellement en compétition avec l’état islamique, notamment à Ménaka et dans la région de Gao.
Donc il n’y a pas eu de reconquête de l’espace malien, c’est ça que vous voulez dire ?
Je ne crois pas qu’il y ait une reconquête de l’espace malien, d’autant plus que dans le nord, après le départ de Barkhane, actuellement il y a une rude compétition entre les différentes forces terroristes de la région. Mais aussi dans le centre, où la Katiba Macina, non seulement domine l’espace, mais s’étend sur d’autres pays comme le Burkina Faso, à travers tout le Liptako-Gourma. La montée en puissance dont on parle est malheureusement et paradoxalement une montée en puissance contre les communautés, avec des exactions que l’on signale tous les jours.
Et vous parlez notamment de l’attaque du camp militaire de Tessit, dans la zone des trois frontières en août 2022, c’est par l’état islamique au Sahara, c’est ça ?
Oui, l’attaque du camp militaire de Tessit, le 7 août 2022 par l’état islamique au Sahara, et une vidéo, qui a été publiée en guise d’allégeance au nouveau khalife Abou Hassan al-Hashimi al-Qurashi, le 1er décembre, montrent que la capacité de coordination des groupes est intacte et que leur puissance de feu aussi se renforce de jour en jour. Je crois que cela montre qu’il y a dans cette région un arsenal de guerre récupéré dans les garnisons attaquées, et des renforts qui arrivent du Nigeria, du Niger et du Burkina Faso.
Et aujourd’hui, quel est le pourcentage du territoire malien qui est sous le contrôle de l’armée malienne ?
Certains avancent le chiffre de 40%. Ils s’étonnent que, lors de la célébration de la fameuse journée de la souveraineté retrouvée, cette souveraineté-là ne puisse pas être une réalité sur l’ensemble du Mali, pendant que les groupes jihadistes approchent de plus en plus de Bamako et pendant que la situation sécuritaire sur le terrain est tout simplement catastrophique.
Alors vous dites aussi quelque chose d’étonnant dans votre rapport, vous pensez qu’il est possible de voir un rapprochement entre la CMA [la coordination des mouvements de l’Azawad] et le JNIM d’Iyad Ag Ali ?
Il n’y a jamais eu d’étanchéité entre les groupes terroristes et certaines organisations politiques, notamment au nord, si l’on s’intéresse aux différents intérêts en terme économique, tel que le contrôle des vastes zones de passage, qui à la fois profite aux mouvements signataires mais aussi aux groupes terroristes.
Et cette alliance éventuelle entre la CMA et le JNIM pourrait se faire, dites-vous, contre l’autre mouvement jihadiste, l’EIS [état islamique au Sahara] ?
Je ne parle pas d’une alliance structurelle assumée entre les deux mouvements, mais de part et d’autre d’une convergence d’intérêts stratégiques. Il ne faut pas oublier que Iyad Ag Ghali, le fondateur d’Ansar Dine, était quand même connu dans la rébellion des années 90 et que cette étanchéité longtemps théorisée et instituée dans le cadre de la résolution 2058 [de l’ONU], qui distinguait les groupes armés des groupes terroristes, et dans le cadre de l’intervention de Serval, je crois que cela relevait plus d’une illusion, alors qu’on a les mêmes populations avec les mêmes vulnérabilités.
Et peut-on imaginer qu’Alghabass Ag Intalla, qui préside actuellement la CMA et que le général Gamou et même Moussa Ag Acharatoumane s’éloignent de Bamako et se rapprochent des jihadistes du JNIM d’Iyad Ag Ghali contre l’état islamique au Sahara ?
Aujourd’hui, l’enjeu, c’est un repositionnement sur toute l’étendue du nord. Et face à cette impasse politico-sécuritaire, les trois grands leadeurs qu’on a cités décident quand même de capitaliser sur les acquis. Ça veut dire que chacun est en train de sécuriser ses positions pour éventuellement se préparer à toute éventualité, avec ce qui se dessine comme un véritable divorce entre Bamako et le nord du Mali, autant avec les mouvements signataires, mais aussi les groupes terroristes qui vont essayer aussi de se repositionner dans le cadre de cette vaste compétition pour le contrôle des territoires.
Vous dites aussi dans votre rapport qu’au Mali, l’option Wagner n’a pas donné les résultats escomptés, est-ce à dire que, malgré les démentis officiels des autorités de transition de Bamako, il y a bien, selon vous, sur le territoire malien des combattants de Wagner ?
Les populations et les communautés que nous interrogeons à travers nos études parlent, utilisent le terme Wagner, cela veut dire qu’aujourd’hui, dans le cadre des opérations de ratissage menées notamment dans le centre contre des communautés notamment Peules, il faut le dire, il y a bel et bien des témoignages de populations qui parlent de Wagner. En tant que chercheur, on ne peut qu’utiliser les termes qui sont mis en avant par les communautés elles-mêmes, et cela veut dire que la fameuse montée en puissance, finalement, se fait contre les communautés et qu’aujourd’hui on est en train de semer les germes de conflits intercommunautaires interminables, notamment dans le centre du Mali, mais aussi dans tout le Gourma.
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