Suicides en Côte d'Ivoire: les jeunes, principales victimes
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La Côte d’Ivoire se range au troisième rang des pays où le taux de suicide est le plus élevé en Afrique, d’après une étude de l’unité de médecine légale du CHU de Treichville. La Côte d'Ivoire comptabilise en moyenne 23 cas de suicides par an. Si plusieurs cas de suicide ont été relayés par la presse ces derniers jours, ce problème de santé publique reste tabou. Comment le prévenir ? Entretien avec Moussa Coulibaly, médecin légiste et co-auteur de l'étude.

RFI : Quel est le profil des personnes qui se suicident ?
Moussa Coulibaly : Le profil est varié. Il peut s’agir aussi bien des hommes que des femmes, aussi bien dans le secteur privé que le secteur public, et la plupart sont des personnes sans emploi.
Quelle est la cause de la plupart de ces suicides ?
Une dispute avec un supérieur hiérarchique. On a vu que le problème était généralement un problème lié au travail, c’est-à-dire une perte d’emploi ou bien une discussion, une dispute avec un supérieur hiérarchique. Et nous avons noté que sur 101 cas, il y avait 38 cas de dépression qui représentaient environ 37,6% de notre échantillon.
Dans votre étude, vous montrez aussi que ce sont surtout les jeunes entre 20 et 29 ans qui sont les plus touchés par ce phénomène. Comment expliquez-vous cette situation ?
Elle pourrait s’expliquer d’une part par le chômage, par la difficulté d’avoir un emploi pour cette jeunesse. Et puis, parfois les difficultés qui sont liées au relationnel, c’est-à-dire les familles ou bien le refus de l’aide par exemple de la famille au jeune qui l’amène également à se suicider. Comme nous l’avons également décrit dans l’étude, des suicides concernaient même des enfants, mais c’était des cas quand même rares.
Un tiers des suicides, selon votre étude, surviennent sans facteur de risque. C’est difficile donc pour l’entourage d’une victime d’anticiper ce problème. Que préconisez-vous pour prévenir les risques de suicide ?
Nous, on pense qu’il serait important que la famille soit vraiment unie, qu’il y ait beaucoup de discussions entre les membres d’une même famille, parce que le suicidé ne se suicide pas du jour au lendemain. Il commence à s’isoler de la famille, il devient plus distant de ses amis, il perd tout goût à la vie. Donc, lorsque les familles constatent ce genre de symptômes, elles devraient vraiment se rapprocher plus ou moins de l’individu. Comme nous l’avons dit, c’est une étude dont nous avons repris les facteurs de risque auprès des familles, donc parfois, c’est un peu difficile d’aborder les thèmes de suicide parce que c’est un sujet qui est tabou. Et c’est une honte pour les familles lorsque ce drame survient.
Comment peut-on expliquer que ce sujet-là soit tabou aujourd’hui ?
Comme je vous l’ai dit, c’est un drame familial. Et vous voyez que les familles le plus souvent seront un peu muettes sur le cas honteux de dire que « j’ai tel parent, tel oncle, telle sœur qui s’est suicidé ». Ça déteint la notoriété vraiment de la famille.
Et par ailleurs, il y a peut-être un autre facteur sociologique. Pour les familles, la disparition d’une personne, c’est un peu une double peine puisqu’il faut dans beaucoup de communautés prévoir financièrement les funérailles ?
Que la personne soit décédée de façon naturelle ou pas, il y aura toujours les funérailles. Mais, les circonstances dans lesquelles le décès survient posent souvent vraiment des problèmes, parce que, aller dire lors d’une réunion de famille que tel est suicidé, ça altère l’image des familles. Donc, elles auront tendance à ne pas l’aborder et même ne pas le dire. Donc, du coup, ça passe sous silence. Et comme on le dit souvent, le suicide est vraiment sous-estimé.
Quel rôle le corps médical peut-il jouer en termes d’alerte et de prévention sur ce problème-là ?
On a interpelé les professionnels de la santé mentale, parce que ce sont eux qui sont en charge de tous les patients qui ont des dépressions, des pathologies psychiatriques. Donc, il serait important que ceux-ci aient une communication, une approche parfaite avec les patients, les encourageant à reprendre goût à la vie, et qu’ils n’aient pas honte de parler de toutes les difficultés qu’ils traversent. Il peut s’agir de difficultés sociales, de problèmes liés aux finances, même à des disputes entre frères et sœurs, ou entre enfants et parents.
► À écouter aussi : Suicide, comment mieux le prévenir?
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